4 logements à Vitry-sur-Seine (Anne Durand) |
Dossier réalisé par Raphaëlle SAINT-PIERRE Alors que les modèles coopératifs et d’autopromotion se sont beaucoup développés dans les pays du nord de l’Europe, les projets d’habitat participatif français sortent du cadre hypothécaire traditionnel proposé par les banques et rencontrent des difficultés en matière de crédit, d’accès aux aides au logement, de titre de propriété ou de valeur patrimoniale. Des obstacles en passe d’être levés grâce à la loi ALUR (Accès au logement et un urbanisme rénové) qui apporte une reconnaissance législative et réglementaire à ces projets.
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Les coopératives européennes
Aujourd’hui, la France compte encore peu de réalisations d’habitat participatif et les exemples demeurent à des échelles réduites. Dans certains pays d’Europe ou au Québec, les coopératives parviennent à réunir des centaines de foyers. Il faut cependant distinguer les coopératives d’habitation qui ont comme objectif principal de mettre sur le marché des logements à prix coûtant et les coopératives d’habitants où ceux-ci sont impliqués dès le début du projet. Les coopératives d’habitation représentent 8,8 % du parc immobilier de la Suisse et jusqu’à 20 % à Zurich. En proposant des loyers 30 % inférieurs au prix du marché, elles viennent pallier l’absence de parc social dans le pays et sont investies par les classes moyennes. Depuis deux décennies, le modèle ne cesse de se redévelopper – de surcroît avec une véritable qualité architecturale – et va jusqu’à constituer des quartiers entiers et avoir une influence sur la fabrique de la ville, tel le quartier Hunziker à Zurich, formé par les 450 logements de 35 coopératives avec une réelle attention au lien entre les immeubles et aux espaces de rencontre. Dans les pays du Nord, le système des coopératives d’habitation est institutionnalisé depuis au cours du XXe siècle grâce à un travail entre acteurs publics et privés, un cadre juridique propice et une culture de la coproduction éloignée de l’esprit français.
Mais toutes les réalisations ne relèvent pas forcément du participatif. En Norvège, le logement social représente 13 % du parc national, organisé uniquement en coopératives d’habitation (15 % du parc immobilier du pays et 40 % à Oslo) qui comprennent entre 50 et 60 appartements en moyenne. L’immeuble et le terrain appartiennent à la société coopérative, les membres achètent des parts sociales de la coopérative sur le marché libre qui leur confèrent un droit de jouissance exclusif sur un logement. En Suède, le parc coopératif représente 18 % du parc national (27 % à Stockholm) mais n’implique pas systématiquement un partage des espaces communs ni un projet de voisinage. En Allemagne, les coopératives représentent 10 % du parc locatif du pays et l’habitat participatif 20 % des logements neufs. Soutenus par les municipalités, les baugruppen, des habitats groupés réalisés en autopromotion, se sont développés plus récemment comme le fameux écoquartier Vauban à Fribourg, né au milieu des années 1990 avec la crise du logement.
Un cadre juridique et financier défaillant
Le droit français reste très marqué par la notion de propriété individuelle. Jusqu’à présent, les opérations qui ont vu le jour résultent de montages hybrides complexes réalisés par des gens qui avaient le temps et le capital pour faire face aux aléas du projet. Depuis 2005, l’association lyonnaise Habicoop propose aux groupes un accompagnement juridique, administratif et technique. À partir de 2006, la loi relative aux sociétés anonymes coopératives d’intérêt collectif pour l’accession à la propriété a permis la réapparition timide de la propriété collective sous la forme de coopérative d’habitants, tel le Village vertical à Villeurbanne (ZAC des Maisons-Neuves, architectes Arbor&Sens et Detry&Lévy, études 2007-2011, chantier 2011-2013). Actuellement, la France compte environ 400 projets en jachère, bloqués par le périple administratif consistant à établir un cadre juridique adapté, à convaincre les banques de financer ces projets hors normes, à trouver les bonnes assurances, etc. Les prêts classiques leur sont proposés lorsque chaque membre est propriétaire de son logement ou des parts sociales correspondantes. Mais dans les coopératives d’habitants, l’emprunt est collectif et les parts sociales ne sont pas liées à un logement, si bien que les membres peuvent uniquement accéder au prêt social le moins intéressant. Avec la loi ALUR, un prêt imaginé spécialement pour les coopératives par la Caisse des Dépôts devrait proposer des taux d’intérêt différenciés selon les revenus des foyers.
« L’habitat participatif est une histoire qui doit devenir française. Le mouvement coopératif est la troisième voie car il répond à une demande. Entre ceux qui peuvent avoir accès à un logement social et ceux qui ont les moyens d’un logement privé, il y a une frange considérable de gens sans solution. Enfin, il va y avoir les structures pour le faire », se réjouit Philippe Madec, qui travaille actuellement à son premier projet d’habitat participatif à Bordeaux. Effectivement, la loi ALUR votée en 2014 donne à l’habitat participatif un statut, une reconnaissance officielle et un cadre légal. Le décret promulgué le 23 décembre 2015 précise le fonctionnement des deux nouvelles formes juridiques. D’une part, les sociétés d’autopromotion et d’attribution, de l’autre, les coopératives d’habitants qui permettent à un bailleur social de programmer des logements avec leurs futurs habitants, d’acheter jusqu’à 30 % des parts des coopératives et de proposer à des locataires de devenir des locataires-propriétaires. Si des bailleurs sociaux s’intéressent aujourd’hui à ce modèle, c’est parce qu’ils visent une réappropriation sociale des logements, à l’opposé des locataires-clients, et ils y voient un nouveau moyen de renforcer leur présence tout en diversifiant leurs activités. Pour que l’habitat participatif devienne un modèle économique, il faut que les grands acteurs rentrent dans le processus. « L’enjeu actuel, c’est sortir du cadre militant, en construisant avec des populations et des quartiers moins privilégiés », insiste Alain Costes. Passer par l’habitat participatif peut aussi aider les opérateurs sociaux à renouveler l’accession, notamment dans la capitale intra-muros, où cela restera forcément modeste pour éviter les effets d’aubaine. Ainsi, en février dernier, après un long et fastidieux processus, la ville de Paris a retenu un groupe par terrain pour trois projets d’habitat participatif dans les 19e et 20e arrondissements. Pour ces projets, Coopimmo a créé les deux premières coopératives ALUR.
Le prix du foncier, correspondant en moyenne à 30 % du coût global de l’opération dans les grandes villes et leurs agglomérations, est un frein important. C’est pourquoi les opérations d’habitat participatif reposent sur l’implication des acteurs publics. Le pouvoir des élus locaux se joue dans l’accès au foncier, notamment pour en libérer au cœur du tissu urbain à des prix inférieurs à ceux du marché. Une volonté politique forte est nécessaire pour éviter de mettre en concurrence les groupes d’habitants et les promoteurs privés lors de la recherche du terrain. En outre, certaines de ces opérations, considérées comme relevant de l’action sociale, sont moins imposées. Des villes comme Strasbourg, Grenoble, Ivry-sur-Seine ou Montreuil-sous-Bois (Comme un baobab, 2010-2015) appuient ces initiatives. Dans bien des cas, le recours à un assistant à la maîtrise d’ouvrage (AMO) paraît nécessaire pour aider les groupes à se constituer puis faire l’interface avec le concepteur et l’administration. Courant en Allemagne, ce métier est en pleine expansion en France. Certains AMO interviennent bien en amont en proposant des conduites de projets, tels Hab-Fab en Languedoc-Roussillon Midi-Pyrénées (anciennement Toits de Choix), AERA-Faire-Ville dans le grand Sud-Ouest ou A-Tipic en Île-de-France (réalisations : Unisson à Montreuil et Le verger de Sylvestre à Palaiseau). Ils peuvent aussi aider à trouver du foncier grâce à leurs relations avec les collectivités.
Le décret sur la nature et les modalités de la garantie d’achèvement pour protéger les habitants qui construisent contre les aléas du chantier n’a pas encore été promulgué. En effet, dans le cas de l’autopromotion et de la Vente en futur état d’achèvement (VEFA, qui entraîne un surcoût en frais de notaire représentant 2,5 % du prix total de l’opération), les banques demandent de souscrire une garantie financière d’achèvement (GFA), ce qui s’avère quasi impossible.
Reste aussi à voir comment l’architecte peut trouver son compte dans des opérations particulièrement chronophages. Il doit développer une méthode de projet collaborative avec des ateliers pédagogiques expliquant au groupe ses marges de manœuvre et les contraintes techniques pour que tous comprennent et acceptent les choix. Viennent ensuite les réunions individuelles sur les usages. En phase conception, la rétribution ne peut donc se faire qu’au temps passé en définissant un nombre de réunions et un cadre pour se décider. Idéalement, une mission spécifique de programmation participative et d’accompagnement, réalisée par l’architecte du projet ou un autre (AMO), devrait être identifiée et rémunérée indépendamment de la mission de maîtrise d’œuvre.
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N° 247 - Septembre 2016
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