Où en est la loi sur la liberté de création ?

Rédigé par Christine DESMOULINS
Publié le 09/05/2016

Article paru dans d'A n°244

Au moment où se profile l’aboutissement des débats sur le projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine, faisons le point sur les enjeux avec Patrick Bloche, président de la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation à l’Assemblée nationale, et Catherine Jacquot, présidente du Conseil national de l’Ordre des architectes.

Nommée ministre de la Culture et de la Communication en plein débat au Sénat sur la loi CAP (liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine), Audrey Azoulay a défendu devant les parlementaires ce projet de loi lancé sous le ministère d’Aurélie Filippetti. Nourri du rapport de Patrick Bloche sur la création architecturale en 2014 et des réflexions menées dans le cadre de la Stratégie nationale pour l’architecture portée par le ministère, le texte a bien évolué au fil des propositions et des amendements1.

En matière de protection du patrimoine, les remarques énoncées par l’Association des Villes et Pays d’art et d’histoire (ou VMF) ont permis des avancées. Sur le plan architectural, les concours d’architecture, un temps en péril, restent inscrits dans ce projet de loi ; mais dans le domaine des contrats globaux, l’amendement le plus favorable aux architectes n’a pas été retenu. Le « permis de faire Â» apparaît par contre comme une mesure intéressante pour s’affranchir du diktat des normes et favoriser la création architecturale. Enfin d’autres mesures pourraient améliorer la qualité des lotissements et du paysage qu’ils génèrent. Avec pour enjeu de contribuer à vivifier les territoires ruraux et à améliorer l’aménagement des secteurs périurbains, le texte réduit aussi le seuil du recours obligatoire à l’architecte à 150 m2 (au lieu de 170). Que l’on entérine ainsi la fin du combat des 20 m2 d’écart si longtemps porté par les instances professionnelles prête à sourire. Malgré une part louable dans l’objectif, cette mesure témoigne en effet de la limite d’ambition que la société française – ouverte sans grande réciprocité aux talents extérieurs pour des commandes importantes – assigne à ses propres architectes. Jusqu’au texte de loi définitif, la mobilisation de tous les acteurs concernés reste entière.


1.www.senat.fr/espace_presse/actualites/201511/projet_de_loi_relatif_a_la_liberte_de_la_creation_a_larchitecture_et_au_patrimoine.html



Entretien avec Patrick Bloche, député et rapporteur du projet de loi.


D’A : Le projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, adopté par le Sénat le 1er mars 2016, est récemment passé en deuxième lecture à l’Assemblée. Quelles sont les prochaines échéances ?

Patrick Bloche : Une deuxième lecture doit avoir lieu au Sénat fin mai, avant que nous nous réunissions pour la commission mixte paritaire, dans la perspective de trouver un accord sur le texte avec le Sénat.


D’A : Quels sont les points favorables à la création architecturale et à l’exercice de la discipline ?

Le texte, tel qu’il a été adopté par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, comporte de nombreuses mesures favorables à la création architecturale : l’abaissement du seuil de recours obligatoire à l’architecte pour les constructions de particuliers, les dispositions permettant aux collectivités de fixer des conditions et délais dérogatoires d’instruction des demandes de permis de construire pour encourager le recours à l’architecte en dessous du seuil légal, le recours obligatoire à l’architecte pour l’établissement du projet architectural, paysager et environnemental qui accompagne les permis d’aménager les lotissements, l’extension du rôle des CAUE, les dérogations aux règles d’urbanisme prévues par l’article 36, le permis de faire, les dispositions favorisant le recours au concours d’architecture, etc.


D’A : Quels sont les points importants qui restent à débattre ?

Les deux lectures à l’Assemblée nationale ont permis de traiter tous les points importants. Je nourris l’espoir que le Sénat ne revienne pas à nouveau sur ces acquis essentiels pour l’architecture et les architectes.

D’A : Qu’en sera-t-il de la suppression de la disposition soumettant les offices publics de l’habitat aux règles de passation des marchés publics des collectivités territoriales ?

Les offices publics de l’habitat seront soumis à l’ordonnance de 2015 sur les marchés publics, comme les autres acteurs publics. Ce sont les décrets pris en application de l’ordonnance qui fixeront les règles de passation des marchés publics qui leur seront applicables, de la même façon que pour les autres acteurs publics.


D’A : Depuis la publication de votre rapport en juillet 2014 et le lancement de la Stratégie nationale pour l’architecture, quelles sont les évolutions notoires dans ce projet de loi, notamment à travers l’article 26 ?

Le permis de faire est l’exacte transcription de l’une des propositions du rapport qui visait à substituer, en matière de normes, une obligation de résultats à une obligation de moyens afin de libérer la création architecturale. La fixation du seuil de recours obligatoire à l’architecte à un maximum de 150 m2 de surface de plancher est aussi issue d’une proposition du rapport.


D’A : Qu’en est-il de l’avenir des concours d’architecture, de celui de la loi MOP et d’un meilleur encadrement des commandes émanant du secteur privé ?

Il me paraît essentiel d’encourager l’organisation de concours dans le secteur public comme dans le secteur privé, car c’est un gage de qualité et de créativité indéniable. Par ailleurs, il faut aussi trouver des solutions pour que, dans le cadre de contrats globaux, les architectes puissent jouer pleinement leur rôle de conseil du maître d’ouvrage, en toute indépendance vis-à-vis du constructeur, car c’est là aussi une condition de la réussite des projets et une garantie de qualité.


D’A : Que dire du permis simplifié ?

J’ai porté cette idée et je me réjouis que nous ayons adopté une disposition qui permet aux collectivités de fixer des règles dérogatoires en matière d’instruction des demandes de permis de construire, notamment en réduisant les délais, pour leur permettre d’encourager le recours à l’architecte en dessous du seuil.


D’A : Qu’en est-il du permis de faire, qui compte parmi les sujets importants pour la ministre de la Culture ?

Il suscite aujourd’hui beaucoup d’attentes et d’engouement, car il répond à un vrai besoin des acteurs. Cette expérimentation, d’une durée de sept ans, vise à permettre à certains acteurs – État, collectivités, organismes d’habitation à loyer modéré – de substituer des objectifs à atteindre aux normes en vigueur pour la réalisation d’équipements publics et de logements sociaux.


D’A : Quelles sont les mesures favorables à la vitalité des territoires ruraux, sachant que la décentralisation des compétences d’urbanisme et de délivrance des permis de construire a entraîné une urbanisation privilégiant l’habitat individuel ou des zones d’activités consommatrices d’espace au détriment de ces territoires ?

Les dispositions votées sur l’abaissement à 150 m2 du seuil de recours à l’architecte comme sur son intervention désormais obligatoire dans le cadre de l’aménagement des lotissements ont pour objectif de conférer aux territoires ruraux une réelle vitalité architecturale et constituent l’un des moyens de limiter l’uniformisation périurbaine.


D’A : Dans certaines villes, le passage du POS au PLU a eu pour conséquences de permettre la démolition d’édifices remarquables jusqu’alors protégés. Dans le cadre des débats sur la loi CAP, l’Association des Villes et Pays d’art et d’histoire s’est inquiétée des dispositions prévoyant la disparition des AVAP et des ZPPAUP vouées à se fondre dans un PLU qui pourra aisément être remis en cause par des révisions ? Quelles réponses ont été apportées aux propositions d’amendements formulées par l’Association ?

Le texte initial a été substantiellement modifié pour répondre à cette inquiétude. Désormais, c’est un document spécifique, le plan de valorisation de l’architecture et du patrimoine (PVAP), et non le plan local d’urbanisme, qui sera le support des mesures de protection du patrimoine des parties des sites remarquables non couvertes par un plan de sauvegarde et de mise en valeur.



Le point de vue de Catherine Jacquot, présidente du CNOA.


D’A : Que pensez-vous de l’évolution du projet ?

Dans le cadre de la deuxième lecture à l’Assemblée nationale, les travaux et les convictions de Patrick Bloche et d’Audrey Azoulay ont permis que le rétablissement d’articles qui avaient disparu au Sénat, notamment dans des secteurs où l’architecte était peu présent, comme la périphérie des villes et les villages.

Le seuil du recours obligatoire à l’architecte à partir de 150 m2, bien que symbolique, est un point important car une enquête montre que la moitié des agences d’architectes ont le particulier comme principal client. Le permis de construire simplifié facilitera ensuite pour les communes la gestion administrative des demandes de permis pour les constructions de moins de 150 m2. Le troisième point est l’obligation du recours à l’architecte pour l’aménagement de lotissements, qui sera inscrit dans la loi sur l’architecture de 1977 et complété par un seuil à fixer par décret. Enfin le permis de « faire Â», soit d’expérimenter, réservé au départ aux équipements publics, est maintenant étendu aux logements sociaux et aux opérations d’aménagement se situant dans le périmètre d’opérations d’intérêt national. Ce droit à l’expérimentation pourra notamment concerner les matériaux et leur réemploi. Si les maîtres d’ouvrage savent s’en emparer de la bonne façon, cela peut faire évoluer les choses dans le bon sens et simplifier les procédures.


D’A : Qu’en est-il du concours d’architecture et de la loi MOP ?

La loi MOP n’étant pas impactée par la loi CAP, elle perdure. Menacée dans la première version de l’ordonnance marché public rédigée par Bercy, l’obligation du concours d’architecture a été rétablie après que nous ayons durement argumenté auprès d’eux. Les articles sur les marchés publics confirment son caractère obligatoire et incitent les maîtres d’ouvrage privés à y recourir.


D’A : Le statut de l’architecte est-il renforcé dans les contrats globaux ?


La loi CAP prévoit que l’équipe de maîtrise d’œuvre soit clairement identifiée dans les contrats globaux. Nous aurions préféré que les dispositions proposées par un projet d’amendement de Jean-Pierre Sueur soient retenues : il préconisait d’organiser un concours de maîtrise d’œuvre en amont de la passation du contrat global. Cette idée a été abandonnée, et seule une nouvelle modification du code des marchés publics pourrait la remettre en piste.


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