Normer ou solutionner ?

Rédigé par Christine DESMOULINS
Publié le 07/11/2011

Article paru dans d'A n°204

Casse-tête pour les architectes, les normes « handicapés Â» ne satisfont pas toujours les personnes à mobilité réduite (PMR). Elles nuisent aux qualités spatiales, sans garantir l'accessibilité de tous. Les dérogations permises dans l'existant ou les établissements recevant du public (ERP) sont interdites dans le logement neuf, où des normes inadaptées entraînent souvent des surcoûts de travaux. Que préconise Denis Thélot, architecte libéral et architecte instructeur des permis de construire, au service des architectes sécurité de la préfecture de police de Paris ?

DA : Pourquoi les normes handicapés ne satisfont-elles pas grand monde ?

Denis Thélot : L'accessibilité des handicapés s'est considérablement améliorée en dix ans, ce qui est très bien même si cela reste perfectible. Mais pourquoi les architectes devraient-ils appliquer des normes systématiques, quand leur métier les rend aptes à concevoir des dispositifs spécifiques pour résoudre avec pragmatisme des questions d'accessibilité variables selon le contexte ? Il faudrait parvenir à cerner les problèmes pour déboucher sur des solutions bonnes pour tout le monde. J'ai la conviction que permettre aux handicapés de circuler rejoint l'art de construire.

Il faut accepter de faire une analyse critique de la situation en considérant que les normes ne sont que la résultante d'une obligation de moyens. Au lieu de subir des obligations de moyens imposant, par exemple, de mettre systématiquement une porte de 90 centimètres, de ne pas mettre de porte coulissante entre la salle de bains et les toilettes ou d'installer deux batteries d'ascenseur dans un petit immeuble de logements, il faudrait définir des obligations de résultats. C'est une obligation de moyens et non de résultats qui, dans un logement neuf, interdit de superposer le débord d'une porte avec le cercle de retournement d'un fauteuil roulant (ce qui est paradoxalement autorisé dans les toilettes).

Les textes réglementaires eux-mêmes sont mal rédigés. S'il est écrit que la poignée de porte doit être à 40 centimètres de la cloison en retour, on devrait préciser : « ou toute solution équivalente permettant d'ouvrir la porte aisément Â». Comment s'étonner que les handicapés se plaignent que les adaptations normatives requises dans un logement répondent mal à leurs attentes et aux particularités de leur handicap ? Il est également étrange que la notion de logement « obligatoirement accessible Â» varie entre habitat collectif et individuel.


DA : La comparaison avec la sécurité incendie est riche d'enseignement…

DT : L'obligation de résultats existe en sécurité incendie. Notre service a participé à la rédaction de l'article GN8 sur la sécurité incendie des ERP, qui nous oblige à évacuer tout le monde et à mettre en place des dispositions permettant l'évacuation des personnes en situation de handicap. C'est à nous, architectes, de concevoir les moyens pour satisfaire cette obligation selon le contexte.

Lorsque nous concevons ce dispositif d'évacuation, nous obligeons les directeurs d'établissements à conserver sur place et dans la mémoire du lieu un descriptif précis de la méthode adoptée, puis nous vérifions qu'il fonctionne en toute sécurité. Dans un restaurant, où l'alarme sonne, l'évacuation doit être immédiate ; mais dans un établissement rendu accessible aux handicapés, un aveugle ou une personne en fauteuil roulant mettront davantage de temps à quitter les lieux. En rédigeant l'article, nous avons donc inventé la notion « d'évacuation différée dans un espace accessible Â» où un handicapé peut attendre en toute sécurité qu'une personne formée pour cela l'aide à quitter les lieux. Au regard du concept d'évacuation différée, le fait que des bâtiments R+1 dont la hauteur du dernier plancher est inférieure à 8 mètres n'aient pas aujourd'hui l'obligation de présenter une stabilité au feu au titre de la sécurité incendie pose d'autant plus question qu'ils sont assujettis aux dispositions du code du travail. Cette mesure spécifique visant à réduire les dépenses des constructeurs s'avère périlleuse pour les handicapés et il est urgent de trouver des solutions.

En sécurité incendie, le code de la construction et de l'habitation qui impose les règles pour les établissements recevant du public, stipule (article R.123-13) qu'en cas d'impossibilité, il faut proposer des compensations. Une application rigide des normes aurait empêché la construction d'édifices comme la BNF, l'aquarium du Trocadéro, le Louvre et plus récemment la Fondation LVMH, qui ont tous fait l'objet de dérogations et de compensations !

Par la pédagogie, par des exemples et un contrôle des mesures adoptées, il faut parvenir à ouvrir le débat pour faire évoluer les choses, même dans le logement neuf où l'arrêt du Conseil d'État du 21 juillet 2009 interdit toute dérogation. Il est certes important de conserver toutes les solutions préconisées, mais il est urgent d'introduire dans certains cas des possibilités de dérogations qui n'ont pas été prévues par les textes applicables dans les bâtiments neufs.


DA : Que dire des surcoûts constructifs liés aux normes ?

DT : Nous avons convaincu les intervenants de la prévention contre l'incendie que le coût de la sécurité est légitime pour faire ce qu'il y a de mieux. Ne faut-il pas introduire l'idée qu'en matière d'accessibilité, a contrario, le coût d'investissement des normes imposées est trop important par rapport au pragmatisme des résultats ? Si l'on considère l'investissement conséquent imposé aux coopératives d'HLM pour rendre tous les logements accessibles, ne serait-il pas plus utile de définir, lors de la construction d'un immeuble, une méthode d'adaptabilité permettant de réaliser au cas par cas les travaux répondant plus spécifiquement aux handicaps des habitants ? Cela supposerait naturellement de définir en même temps une méthode de contrôle des mesures prises.

Dans les ERP, le pragmatisme opère. Au vu des coûts nécessaires pour rendre tous les wagons accessibles, la SNCF a décidé, avec les associations de personnes en situation de handicap, que seul le premier wagon de chaque rame le serait. De même dans un hôtel : inutile d'augmenter l'intensité de la lumière quand les malvoyants veulent une couleur par étage et des variations de teinte sur les portes. Ces mesures évitent des contraintes figées, souvent dictées par les lobbys de la construction qui empêchent de bénéficier des progrès technologiques et industriels porteurs d'autres solutions.


DA : Quelles sont les missions du service des architectes de sécurité de la préfecture de police de Paris ?

DT : Ce service de quarante-quatre architectes existe depuis le 1er juillet 1800 (arrêt des Consuls du 12 messidor de l'an VIII). Il traite les questions de sécurité incendie d'ordre bâtimentaire et les questions relatives à l'accessibilité des ERP aux personnes en situation de handicap. Avec la brigade des sapeurs-pompiers de Paris et le laboratoire central de la préfecture de police, il instruit les demandes de permis de construire en sécurité incendie. Il analyse également les projets d'aménagement des ERP. Il participe aux commissions centrales de sécurité du ministère de l'Intérieur et à de nombreux groupes de travail ; il contribue à la rédaction des textes.

Il est ardu de penser les lieux sans avoir des compétences d'architecte pour juger de leurs qualités et d'apprécier les dispositions présentées dans les dossiers. Les architectes de sécurité possèdent une forte expérience professionnelle, acquise notamment par l'exercice de leur profession en tant qu'architectes libéraux. Nous avons capitalisé savoirs et méthodes afin de penser les constructions et trouver des solutions. À cela s'ajoute une veille réglementaire de l'ensemble du service.

Des textes étant en préparation sur l'accessibilité des lieux de travail, nous voudrions une réglementation judicieuse. La cabine d'un Boeing 707 ne sera jamais accessible ! Et quand l'ordre des médecins et celui des dentistes recommandent à leurs adhérents de rendre leurs cabinets accessibles en 2015, comme l'impose la loi sur les ERP, cela semble bien peu réaliste pour les cabinets existants, car ils n'ont pas la main sur les parties communes des immeubles. Ces cabinets étant des ERP de cinquième catégorie, médecins et dentistes sont pourtant soumis à cette loi. Nous allons tenter d'obtenir un seuil du nombre de personnes accueillies simultanément afin que ces cabinets échappent à cette réglementation et puissent, lors d'impossibilités techniques ou architecturales avérées, ne pas être tenus à la mise aux normes.

Cette situation devra être confirmée par une dérogation, attachée au lieu et transmissible. Cette question des seuils est un sujet qui m'est cher car « universalité de l'accès Â» ne signifie pas Â« faire la même chose partout Â». Il faut tendre à l'universalité du bien vivre et à des solutions efficaces pour tous. Vouloir tout encadrer assèche la réflexion.

Notre réflexion porte actuellement sur les parcs de stationnement existants en infrastructure. En accord avec les concessionnaires des parcs de stationnement et les associations de personnes handicapées, nous avons décidé de positionner, pour des raisons d'éventuelles interventions des secours en cas de sinistres, les places réservées aux PMR au premier sous-sol. En travaillant avec les associations de personnes handicapées, nous trouvons facilement des solutions. Certains sujets (les portes par exemple) font l'objet de débats sans fin, avec des points de vue si différents qu'ils finissent par nous faire sourire.

À Paris, avec les associations, nous avons établi un protocole pour utiliser parfois des portes coulissantes normalement prohibées en France, quand cela ne s'oppose ni à l'accès des PMR, ni à la sécurité incendie. Ceux qu'il a fallu convaincre ne sont pas les PMR mais les services de secours, qui ont finalement donné leur accord. À l'hôpital Tenon, le service des soins palliatifs sera équipé de portes coulissantes. L'exceptionnalité est notre richesse et doit être notre quotidien.

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