Monument ou instrument ? À la recherche de l’hôpital idéal !

Rédigé par Antoine Kersse TOURNAIRE JULIA ET
Publié le 28/02/2021

Hôpital d'Amarante au Portugal, conçu par IDOM et livré en 2012, domine un paysage légèrement valloné, successivement intégré et écarté selon le degré d'ouverture des patios sur l'extérieur

Dossier réalisé par Antoine Kersse TOURNAIRE JULIA ET
Dossier publié dans le d'A n°287

L’histoire de l’architecture hospitalière est l’histoire d’une quête d’idéal à la fois spatial et médical. Le plan en double peigne et son système de ventilation donnent un premier modèle à l’hygiénisme du XIXe siècle. La doctrine aériste des années 1860-1930 accélère le développement du système pavillonnaire et des cités-jardins pour malades. L’hôpital « bloc Â», inspiré du modèle américain, répond quant à lui aux exigences de rationalité des années 1930-1960. L’hôpital « tour sur socle Â» et l’hôpital « polybloc Â», enfin, démultiplient les bâtiments pour ajuster chaque espace à sa fonction. Quelles sont aujourd’hui les formes de l’hôpital idéal ?


Pour répondre aux prérogatives médicales, l’hôpital s’est fragmenté puis concentré, affiné puis épaissi, verticalisé puis horizontalisé, donnant à chaque vision des soins son type architectural. L’hôpital Lariboisière à Paris (Martin-Pierre Gauthier, 1854), l’hôpital Édouard-Herriot de Lyon (Tony Garnier, 1933), l’hôpital Pasteur de Colmar (William Vetter, 1938), l’hôpital mémorial de Saint-Lô (Paul Nelson, 1956) ou encore la cité hospitalière de Lille (Jean Walter, 1958) sont les œuvres modèles de ces différents types. Tels des monuments, elles ont traversé les époques et les pratiques de soins.

D’autres hôpitaux, bien qu’idéaux dans leur fonctionnement au moment de leur conception, sont devenus très rapidement obsolètes. « L’hôpital parfait il y a vingt ans est arriéré aujourd’hui ; l’hôpital parfait aujourd’hui sera arriéré dans vingt ans1 Â», disait déjà Julien Guadet en 1901. En effet, plus un hôpital avoisine son idéal, moins il semble en mesure d’absorber l’évolution de ce même idéal. Il fait alors figure d’instrument, un instrument tellement adapté à ses fins qu’il devient désuet dès lors que ces fins fluctuent. De fait, la construction d’un hôpital dure dix ans. Dix ans au cours desquels la médecine et la technologie progressent à toute vitesse. Comment donc prévoir aujourd’hui l’hôpital idéal de demain ? Les trois typologies hospitalières présentées ci-dessous font précisément état d’un nouvel idéal : celui d’un hôpital évolutif, capable d’absorber par l’architecture cette latence et d’anticiper l’imprévisible. 

L’instrument monument : le monospace

Fruit de la collaboration entre l’agence Brunet Saunier Architecture et l’architecte consultant hospitalier Gerold Zimmerli, le monospace marque la concentration des services hospitaliers en une même architecture unitaire. Souvent assimilé à une « plaque homogène creusée de patios Â», il organise la convergence des lieux d’hébergement, de soin et des espaces techniques sur un même plateau stratifié sur plusieurs étages et étalonné selon une grille structurelle unique. Chaque niveau est alors le lieu d’un rigoureux maillage irriguant, selon un principe de double circulation, deux univers indépendants : au centre, l’univers médical, fermé et protégé, et, en périphérie, les espaces de soins et de repos ouverts sur l’extérieur.

L’hôpital Nord Franche-Comté2 est un projet manifeste de monospace. Parallélépipède de 270 mètres par 98 mètres et de 18 mètres de hauteur, il est un vaisseau parmi les champs séparant Belfort de Montbéliard et branché à la LGV (ligne à grande vitesse) Rhin-Rhône. Ses 772 lits et ses 12 patios se répartissent sur les 74 000 m2 de l’hôpital organisés selon une trame régulière. Au sein de cette structure rationnelle en poteaux/dalle de 7,5 mètres par 7,5 mètres recouverte d’une enveloppe uniforme, toutes les substitutions sont en théorie possibles. Certains lieux de soins et de consultation sont adaptables et interchangeables. Les différents services peuvent s’étendre ou se rétracter, se fermer ou s’ouvrir. Les réseaux et organes techniques peuvent être reconfigurés en fonction des nécessités.

Pour Jérôme Brunet, le monospace est un nouvel archétype, la figure idéale d’un hôpital pérenne, réversible et universel, capable de muter sans disparaître. Il est une forme stable pour un programme instable, un hybride entre l’instrument édifié seulement pour le temps présent et le monument qui annule tout rapport au présent3. Par son échelle et son architecture, il s’impose solennellement à son contexte et s’ancre dans l’éternité d’un nouveau paysage.

 

L’hôpital urbain : le modèle satellitaire

Au système concentré mais flexible du monospace, le modèle satellitaire oppose un système ouvert, à la forme variable. Élaborée par Art & Build et Pargade Architectes dans le contexte spécifique du nouveau CHU de Nantes dont la livraison est prévue en 2026, cette typologie croise le fonctionnement en réseau du monobloc et le morcellement du système pavillonnaire.

Au début des années 2000, Jean-Marc Ayrault, alors maire de Nantes, fait le pari d’un hôpital central et urbain. Cette condition exceptionnelle oblige l’équipe de maîtrise d’œuvre à faire « plier l’hôpital Â», « objet surdéterminé au fonctionnement inflexible4 Â», pour l’intégrer à la ville. De cette inflexion naît le modèle satellitaire : une dizaine de « satellites Â», abritant chacun un des pôles de l’hôpital, gravitent autour d’un cÅ“ur technique indépendant, rattaché aux satellites par des passerelles surplombant les rues et places créées par cette fragmentation. Le maillage urbain, prévu par le plan guide d’Alexandre Chemetoff d’abord puis par l’équipe dirigée par Jacqueline Osty et Claire Schorter, se poursuit en effet dans l’enceinte de l’hôpital, le rendant poreux aux flux piétons. Les satellites imitent quant à eux la forme et l’échelle des îlots dont ils seront à terme les voisins.

L’hôpital se glisse ainsi dans la ville autant que la ville traverse l’hôpital. Cette « osmose5 Â», doit permettre au futur CHU de Nantes d’être « résilient, à l’image d’un organisme vivant Â». Ses satellites peuvent muter indépendamment les uns des autres et être, temporairement ou durablement, désamarrés du plateau technique central. À l’inverse, si l’hôpital manque de place, les îlots adjacents pourraient être intégrés à son fonctionnement. Ce double mouvement d’expansion/rétraction est rendu possible par l’organisation interne de l’hôpital mais aussi par les façades nobles et urbaines des différents modules du système satellitaire.

Mi-quartier, mi-objet, la dimension urbaine du futur CHU de Nantes est toutefois relativisée par un langage architectural commun à l’ensemble de l’hôpital. L’hôpital représente une institution et doit être lu comme tel.

 

L’hôpital campus : la jachère hospitalière

La dimension urbaine de l’hôpital est plus largement exploitée dans l’enceinte de l’Inselspital, l’hôpital universitaire de Berne. Large campus hospitalier établi à l’ouest de la ville depuis la fin du XIXe siècle, il a déjà été presque entièrement renouvelé une fois dans les années 1980. Trente ans après, l’Universitätsspital Bern lance une large consultation pour l’élaboration d’un schéma directeur sur le site de l’hôpital. Cette planification doit activer et contrôler sa nécessaire mutation, sans perturber les activités actuelles du campus.

L’agence d’architecture HENN, lauréate de la consultation, propose de libérer les futures possibilités de développement structurel et spatial de la zone à l’horizon 2060. L’hôpital est pour cela subdivisé en parcelles de tailles différentes et aux règles de développement spécifiques. Le centre de l’« Ã®le Â» abritera des immeubles de grande hauteur selon une densité contrôlée quand la périphérie sera plus horizontale et mesurée. Comme dans un plan urbain classique, la répartition ciblée des masses bâties est accompagnée d’une réflexion sur la préservation de certains bâtiments, la gestion des flux et l’aménagement des espaces publics. Ces espaces ouverts6 doivent assurer le confort des usagers de l’hôpital, et donner un cadre paysager clair et pérenne à un bâti en constante évolution.

À Berne, l’obsolescence presque inévitable des édifices hospitaliers est pleinement assumée. Même si chaque nouvelle construction se doit d’être flexible, à l’image de l’INO7, livré en 2012, c’est à la structure urbaine d’assurer la constance du service hospitalier. Grâce au système de jachère proposé par HENN, l’hôpital dispose en permanence d’une réserve foncière disponible pour la construction d’équipements adaptés aux nécessités du moment. Le plan prescrit en effet qu’à chaque nouvel aménagement un bâtiment soit démoli et une « case Â» libérée. Dans l’attente d’un futur développement, la parcelle en friche devient un berceau de biodiversité pour l’ensemble de l’île. L’évolution du campus sur lui-même se fait ainsi sans rupture d’usages.

Pour donner forme au même idéal d’évolutivité, ces trois typologies – le monospace, le modèle satellitaire et la jachère hospitalière â€“ repensent, chacune à leur manière et chacune à leur échelle, la dialectique entre instrument et monument. À Berne, chaque îlot développe sa propre écriture selon un schéma d’organisation défini à l’échelle urbaine, dont la logique horizontale de réseau conditionne la réelle pérennité du campus. À Belfort-Montbéliard, l’architecture monolithique et rationnelle du monospace est l’écrin d’une impermanence contrôlée. Ces deux positions s’entremêlent à Nantes dans une proposition qui fonde sa flexibilité sur l’alliance de la forme architecturale et de la forme urbaine.

Si l’ensemble de ces idéaux vendent une malléabilité que seul le temps pourra éprouver, tous réaffirment la permanence de l’hôpital comme institution essentielle au fonctionnement d’une ville. L’hôpital, reflet idéal de la société, de ses valeurs et de sa santé, n’est pas près de s’évaporer.

 

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