Hôpital d'Amarante au Portugal, conçu par IDOM et livré en 2012, domine un paysage légèrement valloné, successivement intégré et écarté selon le degré d'ouverture des patios sur l'extérieur |
Dossier réalisé par Antoine Kersse TOURNAIRE JULIA ET L’histoire
de l’architecture hospitalière est l’histoire d’une quête d’idéal à la fois
spatial et médical. Le plan en double peigne et son système de ventilation
donnent un premier modèle à l’hygiénisme du XIXe siècle. La
doctrine aériste des années 1860-1930 accélère le développement du système
pavillonnaire et des cités-jardins pour malades. L’hôpital « bloc »,
inspiré du modèle américain, répond quant à lui aux exigences de rationalité
des années 1930-1960. L’hôpital « tour sur socle » et l’hôpital « polybloc »,
enfin, démultiplient les bâtiments pour ajuster chaque espace à sa fonction.
Quelles sont aujourd’hui les formes de l’hôpital idéal ? |
Pour
répondre aux prérogatives médicales, l’hôpital s’est fragmenté puis concentré,
affiné puis épaissi, verticalisé puis horizontalisé, donnant à chaque vision des
soins son type architectural. L’hôpital Lariboisière à Paris (Martin-Pierre
Gauthier, 1854), l’hôpital Édouard-Herriot de Lyon (Tony Garnier, 1933), l’hôpital
Pasteur de Colmar (William Vetter, 1938), l’hôpital mémorial de Saint-Lô (Paul
Nelson, 1956) ou encore la cité hospitalière de Lille (Jean Walter, 1958) sont
les œuvres modèles de ces différents types. Tels des monuments, elles ont
traversé les époques et les pratiques de soins.
D’autres hôpitaux, bien qu’idéaux dans leur fonctionnement au moment de leur conception, sont devenus très rapidement obsolètes. « L’hôpital parfait il y a vingt ans est arriéré aujourd’hui ; l’hôpital parfait aujourd’hui sera arriéré dans vingt ans1 », disait déjà Julien Guadet en 1901. En effet, plus un hôpital avoisine son idéal, moins il semble en mesure d’absorber l’évolution de ce même idéal. Il fait alors figure d’instrument, un instrument tellement adapté à ses fins qu’il devient désuet dès lors que ces fins fluctuent. De fait, la construction d’un hôpital dure dix ans. Dix ans au cours desquels la médecine et la technologie progressent à toute vitesse. Comment donc prévoir aujourd’hui l’hôpital idéal de demain ? Les trois typologies hospitalières présentées ci-dessous font précisément état d’un nouvel idéal : celui d’un hôpital évolutif, capable d’absorber par l’architecture cette latence et d’anticiper l’imprévisible.
L’instrument monument : le monospace
Fruit
de la collaboration entre l’agence Brunet Saunier Architecture et l’architecte
consultant hospitalier Gerold Zimmerli, le monospace marque la concentration
des services hospitaliers en une même architecture unitaire. Souvent assimilé Ã
une « plaque homogène creusée de patios », il organise la convergence
des lieux d’hébergement, de soin et des espaces techniques sur un même plateau
stratifié sur plusieurs étages et étalonné selon une grille structurelle
unique. Chaque niveau est alors le lieu d’un rigoureux maillage irriguant,
selon un principe de double circulation, deux univers indépendants : au
centre, l’univers médical, fermé et protégé, et, en périphérie, les espaces de soins
et de repos ouverts sur l’extérieur.
L’hôpital
Nord Franche-Comté2
est un projet manifeste de monospace. Parallélépipède de 270 mètres par 98 mètres
et de 18 mètres de hauteur, il est un vaisseau parmi les champs séparant
Belfort de Montbéliard et branché à la LGV (ligne à grande vitesse) Rhin-Rhône.
Ses 772 lits et ses 12 patios se répartissent sur les 74 000 m2
de l’hôpital organisés selon une trame régulière. Au sein de cette structure
rationnelle en poteaux/dalle de 7,5 mètres par 7,5 mètres recouverte
d’une enveloppe uniforme, toutes les substitutions sont en théorie possibles.
Certains lieux de soins et de consultation sont adaptables et interchangeables.
Les différents services peuvent s’étendre ou se rétracter, se fermer ou s’ouvrir.
Les réseaux et organes techniques peuvent être reconfigurés en fonction des
nécessités.
Pour
Jérôme Brunet, le monospace est un nouvel archétype, la figure idéale d’un
hôpital pérenne, réversible et universel, capable de muter sans disparaître. Il
est une forme stable pour un programme instable, un hybride entre l’instrument
édifié seulement pour le temps présent et le monument qui annule tout rapport
au présent3.
Par son échelle et son architecture, il s’impose solennellement à son contexte
et s’ancre dans l’éternité d’un nouveau paysage.
L’hôpital
urbain : le modèle satellitaire
Au
système concentré mais flexible du monospace, le modèle satellitaire oppose un
système ouvert, à la forme variable. Élaborée par Art & Build et
Pargade Architectes dans le contexte spécifique du nouveau CHU de Nantes dont
la livraison est prévue en 2026, cette typologie croise le fonctionnement en
réseau du monobloc et le morcellement du système pavillonnaire.
Au
début des années 2000, Jean-Marc Ayrault, alors maire de Nantes, fait le pari d’un
hôpital central et urbain. Cette condition exceptionnelle oblige l’équipe de
maîtrise d’œuvre à faire « plier l’hôpital », « objet surdéterminé
au fonctionnement inflexible4 », pour l’intégrer à la
ville. De cette inflexion naît le modèle satellitaire : une dizaine de
« satellites », abritant chacun un des pôles de l’hôpital, gravitent
autour d’un cœur technique indépendant, rattaché aux satellites par des
passerelles surplombant les rues et places créées par cette fragmentation. Le
maillage urbain, prévu par le plan guide d’Alexandre Chemetoff d’abord puis par
l’équipe dirigée par Jacqueline Osty et Claire Schorter, se poursuit en effet
dans l’enceinte de l’hôpital, le rendant poreux aux flux piétons. Les
satellites imitent quant à eux la forme et l’échelle des îlots dont ils seront
à terme les voisins.
L’hôpital
se glisse ainsi dans la ville autant que la ville traverse l’hôpital. Cette
« osmose5 »,
doit permettre au futur CHU de Nantes d’être « résilient, à l’image d’un
organisme vivant ». Ses satellites peuvent muter indépendamment les uns
des autres et être, temporairement ou durablement, désamarrés du plateau
technique central. À l’inverse, si l’hôpital manque de place, les îlots
adjacents pourraient être intégrés à son fonctionnement. Ce double mouvement d’expansion/rétraction
est rendu possible par l’organisation interne de l’hôpital mais aussi par les
façades nobles et urbaines des différents modules du système satellitaire.
Mi-quartier,
mi-objet, la dimension urbaine du futur CHU de Nantes est toutefois relativisée
par un langage architectural commun à l’ensemble de l’hôpital. L’hôpital
représente une institution et doit être lu comme tel.
L’hôpital
campus : la jachère hospitalière
La
dimension urbaine de l’hôpital est plus largement exploitée dans l’enceinte de
l’Inselspital, l’hôpital universitaire de Berne. Large campus hospitalier
établi à l’ouest de la ville depuis la fin du XIXe siècle, il a
déjà été presque entièrement renouvelé une fois dans les années 1980. Trente
ans après, l’Universitätsspital Bern lance une large consultation pour l’élaboration
d’un schéma directeur sur le site de l’hôpital. Cette planification doit
activer et contrôler sa nécessaire mutation, sans perturber les activités
actuelles du campus.
L’agence
d’architecture HENN, lauréate de la consultation, propose de libérer les futures
possibilités de développement structurel et spatial de la zone à l’horizon
2060. L’hôpital est pour cela subdivisé en parcelles de tailles différentes et
aux règles de développement spécifiques. Le centre de l’« île »
abritera des immeubles de grande hauteur selon une densité contrôlée quand la
périphérie sera plus horizontale et mesurée. Comme dans un plan urbain
classique, la répartition ciblée des masses bâties est accompagnée d’une
réflexion sur la préservation de certains bâtiments, la gestion des flux et l’aménagement
des espaces publics. Ces espaces ouverts6 doivent assurer le confort
des usagers de l’hôpital, et donner un cadre paysager clair et pérenne à un
bâti en constante évolution.
À
Berne, l’obsolescence presque inévitable des édifices hospitaliers est
pleinement assumée. Même si chaque nouvelle construction se doit d’être
flexible, à l’image de l’INO7, livré en 2012, c’est à la
structure urbaine d’assurer la constance du service hospitalier. Grâce au
système de jachère proposé par HENN, l’hôpital dispose en permanence d’une
réserve foncière disponible pour la construction d’équipements adaptés aux
nécessités du moment. Le plan prescrit en effet qu’à chaque nouvel aménagement
un bâtiment soit démoli et une « case » libérée. Dans l’attente d’un
futur développement, la parcelle en friche devient un berceau de biodiversité
pour l’ensemble de l’île. L’évolution du campus sur lui-même se fait ainsi sans
rupture d’usages.
Pour
donner forme au même idéal d’évolutivité, ces trois typologies – le
monospace, le modèle satellitaire et la jachère hospitalière – repensent,
chacune à leur manière et chacune à leur échelle, la dialectique entre
instrument et monument. À Berne, chaque îlot développe sa propre écriture selon
un schéma d’organisation défini à l’échelle urbaine, dont la logique
horizontale de réseau conditionne la réelle pérennité du campus. À Belfort-Montbéliard,
l’architecture monolithique et rationnelle du monospace est l’écrin d’une
impermanence contrôlée. Ces deux positions s’entremêlent à Nantes dans une
proposition qui fonde sa flexibilité sur l’alliance de la forme architecturale
et de la forme urbaine.
Si l’ensemble
de ces idéaux vendent une malléabilité que seul le temps pourra éprouver, tous
réaffirment la permanence de l’hôpital comme institution essentielle au
fonctionnement d’une ville. L’hôpital, reflet idéal de la société, de ses
valeurs et de sa santé, n’est pas près de s’évaporer.
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