Le chantier de Lascaux IV |
Dossier réalisé par Olivier NAMIAS L’agence SRA réalise selon les années entre le tiers et la moitié de son activité en association avec d’autres agences. Elle compte une soixantaine de collaborateurs polyvalents, dont la première qualité est, selon ses associés, d’être à l’écoute d’autres cultures d’agences.
|
D’a : Comment est né SRA ? Pourquoi cette spécialisation dans la réalisation de projets en partenariat ?
L’histoire de SRA commence dans les années 1960 avec l’agence Saubot-Jullien, qui est intervenue comme architecte d’opération, comme qu’on disait à l’époque, pour les agences américaines exportant hors des États-Unis les IGH que les architectes français ne savaient pas concevoir. Saubot-Jullien était associée à la tour Fiat, à la tour ELF, et a acquis une expérience dans la conception d’IGH. Fondée dans la continuité de Saubot-Jullien par Jean Rouit, Hervé Metge et Clémence Saubot en 2000, SRA s’est naturellement inscrite dans cette logique collaborative, participant aux projets de tour EDF avec Pei Cobb Freed, puis à celui de la tour DEXIA (anciennement connue sous le nom CBX) avec KPF et à un certain nombre de tours comme la tour CMA-CGM à Marseille avec Zaha Hadid… Toutes ces références nous ont donné une certaine visibilité. Des architectes non Américains sont venus nous chercher pour travailler sur d’autres types de projets : Sanaa, BIG, MVRDV, Snøhetta, 3XN, etc.
D’a : Comment s’organise la collaboration ?
Sur la tour EDF, par exemple, le premier grand projet de SRA en partenariat, l’agence a été présente dès le départ. Notre rôle est de contextualiser le projet, sur des points comme la réglementation, les usages, les acteurs de la construction et de la commande. Sur ce type de collaboration, nous sommes des passeurs et des facilitateurs. Nous sommes partout là où notre partenaire n’est pas, nous remplissons tous les vides. En général, avec les architectes américains, nous développons l’intégralité du projet à partir d’un design intent, l’équivalent d’une esquisse. Avec les architectes européens, nous avons dû faire évoluer notre positionnement et notre pratique tout en restant dans le processus de coconception.
D’a : La pratique est-elle au départ américaine ?
Les États-Unis sont divisés en 50 États ayant chacun des réglementations propres, des problématiques liées au permis de construire, etc. Les agences américaines n’ont pas des filiales sur tout le territoire, et s’associent avec des architectes locaux (architects of record) lorsqu’elles doivent développer des projets hors de leur périmètre d’action courant. La situation américaine est finalement assez comparable à celle de l’Europe, car même si le droit européen autorise les architectes à exercer leur métier dans les 27 pays membres de l’Union, dans la pratique il reste assez difficile d’aller construire seul ailleurs, sans même parler des barrières linguistiques absentes outre-Atlantique.
D’a : Elle serait donc insuffisamment développée sur le « Vieux Continent » ?
Nous sommes convaincus que cette pratique d’association doit exister dans les deux sens. Lorsque nous avons remporté le concours pour un projet de tour au Luxembourg, nous avons immédiatement cherché un architecte local avec lequel nous associer, et nous le ferions systématiquement si nous allions dans d’autres pays ou même en France ! Tous les architectes qui travaillent à l’international développent ce type de coopération. Il faut banaliser cette approche collaborative, car elle nous paraît pertinente pour travailler sur les grands projets.
D’a : Avez-vous des collaborations récurrentes ?
Nous avons réalisé six projets dont trois tours avec KPF – First, CBX, CB16 – et sept projets avec SOM. Parmi les architectes européens, nous collaborons régulièrement avec Snøhetta ou 3XN. Quand la collaboration se passe bien, nous essayons de conserver des liens, même si nous n’avons aucun contrat d’exclusivité. Les architectes européens qui remportent plusieurs projets dans l’Hexagone finissent par monter une antenne française, comme ils montent d’autres filiales à travers le monde. Les architectes japonais s’installent aussi en France, à l’instar de Kuma ou Fujimoto, et il faudra voir ce que vont faire les agences américaines, qui ouvraient leurs antennes européennes à Londres jusqu’au Brexit. Le fait que les agences internationales possèdent une structure en France n’arrête pas automatiquement la collaboration. Nous avons gagné un concours avec Snøhetta juste avant l’ouverture de leur antenne parisienne, avec laquelle nous travaillons désormais en direct. Nous travaillons depuis 2008 avec MVRDV sur l’îlot Gaîté. Entretemps, ils ont ouvert un bureau parisien.
D’a : Vous arrive-t-il de démarcher d’autres architectes ?
Nous restons sur notre réseau sans démarcher tous azimuts. Nous entretenons des relations avec nos partenaires, nous rencontrons régulièrement des architectes cherchant un partenaire en France, nous communiquons éventuellement aux maîtres d’ouvrage la liste des agences avec lesquelles nous travaillons…
Nous ne répondons que très rarement à des appels d’offres publics, sauf si un de nos partenaires souhaite participer à un concours. Beaucoup d’agences étrangères ont une veille de développement et pistent tous les projets français. Les candidatures sont très ouvertes et comportent systématiquement une ou deux équipes internationales. Les villes veulent telle ou telle agence, dans une démarche mêlant recherche de qualité et de name dropping.
D’a : Sur quels critères décidez-vous d’engager un partenariat ?
Sauf exception, il faut bien sûr que les projets atteignent une certaine taille. Les projets de Lascaux IV (Snøhetta) ou Galeries Lafayette (BIG) étaient selon nos critères des petits projets. Nous les avons tout de même suivis par intérêt pour leur caractère emblématique et atypique, et pour diversifier notre pratique. Nous n’avons pas vraiment fixé de seuil financier, mais je dirais que les montants de travaux doivent débuter entre 15 et 20 millions d’euros. Il faut surtout qu’il y ait un intérêt, un projet exceptionnel, une visibilité, une maîtrise d’ouvrage ambitieuse et une envie d’architecture commune avec la structure associée.
D’a : Sur quel type de projet vous engagez-vous ?
On vient généralement nous consulter sur les sujets complexes. Au départ, c’était pour des IGH, puis des réhabilitations lourdes. Désormais, c’est la complexité programmatique, la complexité de site ou de programmes multi-intervenants. Par exemple, sur la Samaritaine, hors la partie hôtel sur laquelle nous n’intervenions pas, il y avait quatre architectes sur la zone bureaux-logements-crèche : Sanaa, François Brugel, Jean-François Lagneau architecte des Monuments historiques et nous. Et sur l’ensemble de l’opération, pour laquelle nous avions la responsabilité du permis global, on recensait dix architectes ! Nous devions veiller à la cohérence du projet, accorder l’ensemble des acteurs… Sur les grands projets, associer plusieurs agences fait sens. À moins de vouloir confier le projet à une gigantesque agence.
D’a : Les maîtrises d’ouvrage interviennent-elles dans ces partenariats ?
Le maître d’ouvrage peut parfaitement imposer un autre partenaire. Nous ne choisissons pas toujours la façon de travailler, ni le mode d’association, ni le cadre contractuel ! Nous nous adaptons à chaque situation. Cependant nous apportons notre expertise pour accompagner le maître d’ouvrage dans ce type de montage.
D’a : Un collaborateur de SRA doit-il parler l’anglais couramment ?
Nous n’exigeons pas le TOEFL ! Le point fondamental pour nous reste la compréhension de l’architecture de nos associés. Nous faisons des formations pour améliorer la pratique de l’association, ce n’est pas la même démarche que celle suivie dans les projets menés intégralement en interne, même s’ils commencent par un design intent. Aucun projet n’est semblable à un autre, tout est différent en fonction des missions – mission complète ou juste en conformité architecturale, et suivant la taille du projet, etc. Ces particularités ne changent pas le sens de notre intervention, qui reste l’accompagnement du projet architectural.
D’a : Vous êtes surtout connus pour les partenariats avec les grandes agences internationales, mais vous développez aussi une activité en propre. Vous avez dernièrement réorganisé SRA autour de quatre pôles : un pôle projet, un pôle association, un pôle lab – plus expérimental – et un pôle MOEX. Pourquoi ce choix, en particulier pour la MOEX ?
Si l’association reste notre cœur de métier, nous avons toujours suivi nos projets en phase exécution. C’était un peu l’ADN de l’agence. Cependant, ces vingt dernières années, nous avons observé que certaines missions, dont la MOEX, ont été redistribuées dans les grands groupes d’ingénierie au détriment des architectes, cantonnés dans un rôle « artistique ». La constitution d’un pôle MOEX met en avant les missions EXE autrefois incluses dans notre métier d’architecte, et que l’on présente aujourd’hui séparément. Ce n’est pas parce que l’on réalise un projet en partenariat que l’on va nous confier le suivi de l’exécution, mais nous resterons présents pour accompagner le projet en mission conformité architecturale/VISA. La différence entre le suivi des travaux en conformité architecturale et en EXE est ténue. C’est d’abord une question de responsabilité et d’assurance.
D’a : L’architecte a-t-il une véritable valeur ajoutée par rapport à l’ingénieur ?
Un ingénieur aura-t-il la même vision du projet qu’un architecte ? Nous prêchons pour notre paroisse, mais la gestion de projet comporte un aspect de coordination et de vision globale propre à l’architecte. Et sur les chantiers, nous voyons bien que c’est l’architecte qui se bat pour que le projet aboutisse ! Les BET ont tendance à partitionner les choses, nous avons toujours cette position de chef d’orchestre. Nous sommes architectes, nous n’avons que des architectes à l’agence qui s’approprient le projet, pour réaliser des projets d’architectes !
D’a : Auriez-vous un exemple de cette défense du projet ?
Nous citons volontiers à l’appui de nos propos la sixième façade de l’immeuble du Monde, réalisé avec Snøhetta. Il s’agit de la voûte reliant les deux piles fondant l’édifice. Nous avons défendu devant le maître d’ouvrage l’emploi d’une technique de béton projeté, réalisée d’ailleurs par l’atelier artistique du béton qui avait travaillé à Lascaux, plutôt qu’une solution simplifiée qui n’aurait pas du tout produit le même effet. Nous avons coordonné tous les BET et mené les recherches sur l’éclairage intégré. Ce projet comportait une importante phase de mise au point des façades, et nous avons dû nous battre pour préserver le design intent de Snøhetta, qui avait développé les 20 000 panneaux de façade à partir d’un script informatique. Nous avons travaillé de concert avec le BET, l’entreprise et Snøhetta. C’est un travail collaboratif à la fois très technique et très artisanal. Il est difficile de départager les intervenants, d’attribuer à untel ou à untel la mise au point de telle partie. L’objectif reste la qualité du projet et le respect du design intent, l’effet de nuage en façade ne s’est pas perdu. Nous avions bien sûr la chance d’avoir un maître d’ouvrage qui a alloué des moyens au projet, en restant dans les limites du raisonnable. Notre travail d’accompagnement consiste à fixer les priorités. Le projet de tour EDF avec Pei Cobb Freed & Partners donne une autre illustration de notre rôle. Au départ, le bureau de contrôle nous avait demandé de soutenir la marquise d’entrée par des câbles, ce qui détruisait l’image originale du projet. Nous avons cherché une solution préservant la pureté de cet ouvrage en porte-à -faux de 28 mètres !
D’a : On perçoit que, sur ce type de projets, les coûts des façades, par exemple, ne vont pas être ceux d’un mur en parpaing enduit. Comment examinez-vous le dossier pour prévenir les dérives ou les impasses budgétaires ?
Nous sommes très impliqués dans le volet budgétaire, surtout dans le cadre des marchés privés, qui disposent de beaucoup plus d’outils de contrôle du budget qu’en marché public. Pour le projet du Monde, nous avions un AMO qui a décortiqué les coûts, un économiste intégré à l’équipe de maîtrise d’œuvre qui travaillait en lien étroit avec la maîtrise d’ouvrage. À chaque grande étape du projet, nous avons tenu des workshops sur la question du budget.
Où va l’argent dans un projet ? En façade, en structure, en lots techniques, rarement dans les lots architecturaux. Pour le Monde, en l’occurrence, c’était surtout la structure et la façade. Le maître d’ouvrage prenait ses décisions en connaissance de cause. Sur la Samaritaine, nous ne pouvions pas calculer le prix de la façade suivant des ratios classiques. Le maître d’ouvrage en était conscient dès le début. Le but du jeu est de travailler avec tous les acteurs pour avoir un objet performant et le plus élégant possible. Quand c’est possible, nous réalisons des prototypes pendant les études, sans attendre la phase chantier. Dans le premier, la trame était la moitié de ce qu’on voit aujourd’hui. Ce qui est intéressant, c’est le travail sur les ouvrants pompiers, nous sommes très fiers du résultat.
D’a : Le succès de votre agence s’explique par la compétence qu’elle a su construire dans les domaines que vous avez cités – IGH, réhabilitation complexe, programme mixte, etc. Comment pouvez-vous capitaliser ce savoir ?
Nous sommes une structure très pérenne, avec très peu de turnover. Les architectes seniors qui quittent l’agence ont eu le temps de transmettre leur expérience. Nous faisons monter les jeunes générations. Dans nos équipes, on peut si on le souhaite suivre le projet de A à  Z, même si au bout de dix ans peut apparaître une certaine lassitude.
D’a : Comment adaptez-vous ce savoir aux évolutions réglementaires ?
Nous avons la chance de travailler en permanence sur des programmes en pointe sur les questions environnementales, des projets portés par des opérateurs très attentifs à ces questions ayant un grand impact sur la façade. Avec nos partenaires, nous développons des solutions en double ou simple peau que nous faisons évoluer avec les projets. Nous sommes intervenus sur la rénovation de Challenger – siège de Bouygues Construction à Saint-Quentin-en-Yvelines. Bouygues voulait faire de ce lieu – qu’il fait visiter à 10 000 personnes chaque année – une vitrine du développement durable.
Cette contrainte a été très intéressante, car le cahier des charges imposait le respect de l’architecture de Kevin Roche, et tous les apports environnementaux ont été intégrés d’une manière inédite. La totalité des façades a été changée dans un site occupé. Nous avons développé avec le BET suisse Emmer Pfenninger 14 solutions possibles, plus ou moins épaisses, performantes, avec des brise-soleil, etc. Nombreux et divers, les projets sur lesquels nous intervenons font progresser notre réflexion.
Réagissez à l’article en remplissant le champ ci-dessous :
Vous n'êtes pas identifié. | |||
SE CONNECTER | S'INSCRIRE |
> Questions pro |
Quel avenir pour les concours d’architecture ? 4/6
L’apparente exhaustivité des rendus et leur inadaptation à la spécificité de chaque opération des programmes de concours nuit bien souvent à l… |
Quel avenir pour les concours d’architecture ? 3/6
L’exigence de rendus copieux et d’équipes pléthoriques pousse-t-elle au crime ? Les architectes répondent. |