Le projet de Ricciotti sur la Maison du peuple |
La mairie de Clichy La Garenne a annoncé il y a quelques mois le lauréat du projet de réhabilitation de la Maison du Peuple de Clichy, icône de la modernité classée depuis 1983. Une tour en béton de vingt-sept étages signée Rudy Ricciotti devrait s’ajouter au bâtiment métallique aujourd’hui en partie délaissé. Après trente années à rechercher un nouvel usage, le maire de Clichy se félicite de cette nouvelle dynamique. Ce projet a pourtant déclenché le cri d’alarme de Jack Lang et la mobilisation de DoCoMoMo : c'est l'occasion de s'interroger sur les manières de réhabiliter un monument historique. |
En 1935 Charles Auffrey, maire socialiste de Clichy, fait
construire un bâtiment qui deviendra emblématique du Front populaire. Les deux
architectes Eugène Beaudouin et Marcel Lods s’entourent de l’ingénieur Vladimir
Bodiansky et du constructeur Jean Prouvé. Ils saisissent l’occasion pour
concevoir un bâtiment audacieux et à la pointe des techniques de construction
industrialisées de l’époque. Qualifié
de véritable « bijou mécanique », le bâtiment comporte un des
premiers exemples au monde de mur-rideau, grâce à ses panneaux de façades
constitués de deux tôles légèrement cintrées, maintenues par des ressorts et
intégrant un isolant. Cette « spectaculaire
machine » s’intègre alors parfaitement à la fonction qui lui était due :
un espace de vie et de loisirs pour les habitants – ouvriers en majorité – de la
ville. Le bâtiment disposait de salles à dimension flexible pour des spectacles
vivants, expositions, etc. L’esthétique du lieu, le travail sur la lumière et
la légèreté de la structure ont conduit à faire de ce bâtiment un site classé
Monument historique en 1983.
Bâtiment à la renommée internationale, La Maison du Peuple est
pourtant aujourd’hui délaissée et nécessite une reprise des travaux. Une rénovation
avait d’ailleurs été entreprise dans les années 1980 par l’architecte en chef
des Monuments historiques Hervé Baptiste. C’est ce qui explique l’engouement
pour le projet de réhabilitation initié par la mairie de Clichy dans le cadre
de l’opération « Inventons la Métropole ». La ville de Clichy se félicite que la valorisation foncière
permette d’en faire « un lieu
d’exception pour la Métropole, une vitrine pour l’architecture et
l’ingénierie, un lieu d’échanges et de convivialité, d’identité et de
mémoire collectives ». De quoi satisfaire, a priori, aux exigences du
statut juridique du monument historique. Une équipe composée du groupe
immobilier Duval et des architectes Rudy Ricciotti et LBA + Holzweg a remporté
l’appel à projets prévoyant notamment d’adjoindre une tour d’habitation et
d’hôtellerie de vingt-sept étages culminant à 96 mètres de hauteur. Le projet est
encadré par Jacques Moulin, architecte en chef des monuments historiques. Les
promoteurs se réjouissent à l’idée de redonner vie à un espace abandonné et
inaccessible au public
depuis des décennies.
Tout le monde ne partage cependant pas cet enthousiasme. Dans une
lettre adressée à Françoise Nyssen, Jack Lang, président de l'Institut du Monde
arabe et ancien ministre de la Culture met en garde contre un projet qui
défigure le bâtiment. Plus véhément, l’architecte et historien Richard Klein,
président de DoCoMoMo France, a publié une tribune intitulée « Inventons
le massacre ! » et dénonce un grave danger de dénaturation et la mise en
péril d’un des grands sites d’architecture moderne. Nous avons interrogé
Caroline Bauer, administratrice chez DoCoMoMo pour cerner les enjeux d’une
telle mobilisation. Réhabiliter la maison du peuple comme Ricciotti, ou la
« réinventer », comme titre la revue en ligne Urban Attitude[1],
ce n’est pas seulement dénaturer un bâtiment, mais c’est menacer tout le
système français de protection et de valorisation de son patrimoine, et en
particulier, de ses monuments historiques. – un système, rappelons-le, envié
aux quatre coins du monde.
Avec la Maison du Peuple de Clichy, c’est donc toute la
juridiction liée au statut de Monument Historique qui est à reconsidérer. Sur
ce point, la position de DoCoMoMo est très claire : il ne s’agit en aucun
cas de boycotter le projet d’un architecte comme Rudy Ricciotti, mais d’avertir
sur le risque d’une éventuelle jurisprudence pour la rénovation des monuments
historiques français. C’est donc l’existence même d’un appel à projets sur un
monument historique qui fait l’objet de leur critique. Dénaturer ce bâtiment,
comme l’explique l’association, c’est ouvrir la porte à des réhabilitations
extrêmement contestables du patrimoine architectural français.
Certes, de grands projets comme la pyramide du Louvre n’aurait jamais vu
le jour si elle n’avait pas transgressé les règles imposées par la protection
du patrimoine. Or, imposer le « scoubidou géant » (dixit Rudy
Ricciotti) d’un architecte « amoureux du béton » à une architecture dont
l’originalité est la maîtrise de l’acier, n’est-ce pas participer d’emblée à la
dégradation d’un bâtiment ? Sans pour autant proposer une alternative concrète, DoCoMoMo prône
un programme de rénovation adapté afin de respecter la valeur du bâtiment,
valeur attestée par le statut le plus honorifique possible, celui de monument
historique. Des informations détaillées sur le bâtiment et la mobilisation sont
disponibles sur leur site internet.
Voici la lettre ouverte de DoCoMoMo. Signée par des architectes
et des historiens comme Jean-Louis Cohen, Antoine Picon, Alexandre Gady, mais
aussi par Stephane Bern ou Jack Lang, elle vise à faire réagir la sphère
politique, et plus particulièrement la Direction des Affaires culturelles afin
qu’elle mette son veto au projet en cours à Clichy.
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