Portrait de Mathieu Pernot |
La prison
de la Santé,
à Paris, reprend
du service cet
automne après trois
ans de travaux.
L’emblématique panoptique conçu
par l’architecte Vaudremer
en 1861 est
conservé et ses
cellules agrandies, tandis
que les autres
quartiers ont été
démolis et reconstruits,
autrement. Mathieu Pernot
a obtenu de
pouvoir photographier ces
moments où les
murs ont dévoilé
ce que d’ordinaire
ils soustraient au
regard. Son travail
fait l’objet d’une
exposition, au Cent quatre-Paris, et
d’un livre. |
Mathieu Pernot se définit lui-même comme un photographe documentaire. C’est affirmer et assigner un double rôle à la photographie. D’abord celui de témoigner. Un document rend en effet compte d’une époque, d’un lieu, d’un événement, idéalement des trois à la fois: il s’est passé ceci, ici, à ce moment. Mais aussi celui de prélever un fragment de réel, à la manière d’un archéologue. Il s’agit alors de récolter des fragments, qui, pris séparément, ne disent que ce qu’ils sont, mais qui, mis ensemble, permettent de reconstituer, par extrapolations successives, la réalité d’un moment, d’un lieu, d’événements disparus. Les dimensions historique, mais aussi politique, sont cruciales.
Elles prennent corps par la mise à distance de l’émotion, par l’indifférence à l’instant présent, par l’anonymisation de l’opérateur. Ni spectacle, ni sensationnel, ni fait d’auteur. Mathieu Pernot n’est pas plus un reporter qu’il ne se prétend artiste. Prélever, récolter, ramasser, amasser ne suffisent pas à faire parler des documents divers. Il faut, comme au cinéma, recourir au montage. C’est en jouant de natures, de plans, d’approches différentes, en juxtaposant, en ordonnant, en télescopant la matière accumulée que s’ouvrent un récit, une histoire, voire une fiction. Le cinéaste récemment disparu Claude Lanzmann, l’auteur du film documentaire Shoah, parlait à propos de ce dernier de «fiction du réel». Il entendait souligner qu’il était composé de dispositifs filmiques –pas d’images d’archives, mais des entretiens mis ou remis en situation plutôt que scénarisés–, et qu’il résultait d’un montage. Atteindre à une vérité disparue, et par là insaisissable, devient possible à ces conditions. Et c’est bien à ce travail que s’est attelé Mathieu Pernot en 2015 à la prison de la Santé. À la faveur d’un projet de rénovation, les pelleteuses étaient à l’œuvre, faisaient tomber les murs, dévoilaient ce qu’ils cachaient: le dedans, soudain, se trouvait dehors, mis en lumière, pour quelque temps. Les portes, conçues pour rester fermées, béaient. Les serrures, inutiles. Les lieux, vidés. Ne restaient que les écaillures des peintures, des graffitis, des dessins ou des fresques, des images collées.
Mathieu Pernot a
collationné tout cela,
en enquêteur, patiemment,
tantôt photographiant, tantôt
colligeant, tantôt relevant
–aussi objectivement que
possible .Ses images sont
frontales, quasiment cliniques.
C’est une autopsie
du corps de
la prison, qui
en décrit les
organes et restitue
ce à quoi
ils étaient occupés
– enfermer et
empêcher des vies.
Vies qui se
sont exprimées, malgré
tout, et dont
témoignent des traces
délétères, destinées Ã
être effacées, à disparaitre. Les
recueillir, les monter,
les montrer: ce
à quoi s’est
attaché Mathieu Pernot,
sans qu’il en
fasse discours. Car
celui-ci risquerait de
recouvrir leur propre
et fragile puissance
discursive, qui n’existe
que par nous
qui les regardons
et les lisons,
en voyeurs autant
qu’en lecteurs. C’est
ce travail inconscient,
souterrain, qui est
au cœur de
celui de Pernot,
toujours préoccupé d’exclusion
et d’enfermement.
CONTRER L’OUBLI
Celui-ci se nourrit d’antécédents. On pense à Eugène Atget, qui entreprit de son propre chef de documenter le Paris que les grands travaux haussmanniens éradiquaient, photographiant les bâtiments, leurs détails, tout ce qu’ils portaient et qui s’en allait avec eux. On pense encore à Walker Evans quand il se donnait pour tâche de documenter et d’archiver la vie des Américains les plus touchés par la grande crise de 1929, et par là essayait de contrer l’oubli. On pense aussi bien à l’objectivisme des Becher, qui ont recensé les objets singuliers sur lesquels le progrès s’appuie un temps. Il faudrait également revenir à la littérature, ainsi que l’indiquait Evans quand il évoquait ce qu’il appelait «la méthode de Flaubert», «mélange de réalisme et de naturalisme, et objectivité de traitement; refus de faire apparaître l’auteur, celui de la subjectivité.
Cela s’applique littéralement à la façon dont je veux me saisir d’un appareil et dont je m’en sers.» Un programme autant qu’une méthode, un modèle encore que ne récuserait pas Mathieu Pernot. Il cite aussi Michel Foucault, moins pour ses travaux sur la prison que pour sa capacité à philosopher en faisant feu de toute matière et en proposant avec ses écrits des «boîtes à outils dans lesquelles chacun peut prendre ce qui lui sert». Que trouver pour l’architecture dans celle qui est proposée avec ces documents sur la prison de la Santé? Ils disent que les murs ne sont pas innocents et qu’ils pourraient même être beaucoup plus coupables que ceux qu’ils enferment. Pas seulement les murs de prison, qui leur assignent cette fonction, mais tous ceux qui soustraient, écartent, séparent, stigmatisent, excluent. Tous ceux qui n’ont pas pour rôle de préserver l’intimité, mais de la broyer. Alors, se dit-on, la tâche est si ample qu’une révolution des esprits n’y suffira pas. Elles prennent corps par la mise à distance de l’émotion, par l’indifférence à l’instant présent, par l’anonymisation de l’opérateur. Ni spectacle, ni sensationnel, ni fait d’auteur. Mathieu Pernot n’est pas plus un reporter qu’il ne se prétend artiste. Prélever, récolter, ramasser, amasser ne suffisent pas à faire parler des documents divers. Il faut, comme au cinéma, recourir au montage. C’est en jouant de natures, de plans, d’approches différentes, en juxtaposant, en ordonnant, en télescopant la matière accumulée que s’ouvrent un récit, une histoire, voire une fiction. Le cinéaste récemment disparu Claude Lanzmann, l’auteur du film documentaire Shoah, parlait à propos de ce dernier de «fiction du réel». Il entendait souligner qu’il était composé de dispositifs filmiques –pas d’images d’archives, mais des entretiens mis ou remis en situation plutôt que scénarisés–, et qu’il résultait d’un montage. Atteindre à une vérité disparue, et par là insaisissable, devient possible à ces conditions. Et c’est bien à ce travail que s’est attelé Mathieu Pernot en 2015 à la prison de la Santé. À la faveur d’un projet de rénovation, les pelleteuses étaient à l’œuvre, faisaient tomber les murs, dévoilaient ce qu’ils cachaient: le dedans, soudain, se trouvait dehors, mis en lumière, pour quelque temps. Les portes, conçues pour rester fermées, béaient. Les serrures, inutiles. Les lieux, vidés. Ne restaient que les écaillures des peintures, des graffitis, des dessins ou des fresques, des images collées. Mathieu Pernot a collationné tout cela, en enquêteur, patiemment, tantôt photographiant, tantôt colligeant, tantôt relevant –aussi objectivement que possible .Ses images sont frontales, quasiment cliniques.
C’est une autopsie du corps de la prison, qui en décrit les organes et restitue ce à quoi ils étaient occupés – enfermer et empêcher des vies. Vies qui se sont exprimées, malgré tout, et dont témoignent des traces délétères, destinées à être effacées, à disparaitre. Les recueillir, les monter, les montrer: ce à quoi s’est attaché Mathieu Pernot, sans qu’il en fasse discours. Car celui-ci risquerait de recouvrir leur propre et fragile puissance discursive, qui n’existe que par nous qui les regardons et les lisons, en voyeurs autant qu’en lecteurs. C’est ce travail inconscient, souterrain, qui est au cœur de celui de Pernot, toujours préoccupé d’exclusion et d’enfermement.
Les objets qui inspirent le designer Jeremy Edwards sont singuliers : à l’histoire du design, quâ… [...] |
Photographe et marcheur, Samuel Hoppe quitte régulièrement sa librairie parisienne (la bien nommé… [...] |
Giaime Meloni découvre la photographie pendant ses études d’architecture à l’université de C… [...] |
Alors même que l’intelligence artificielle inquiète le monde de l’image en fragilisant la noti… [...] |
Si les terres fermes ont été presque entièrement explorées et représentées, ce n’est pas l… [...] |
Délicate et profonde, l’œuvre de Sandrine Marc couvre tout le processus photographique, de lâ€â€¦ [...] |
Réagissez à l’article en remplissant le champ ci-dessous :
Vous n'êtes pas identifié. | |||
SE CONNECTER | S'INSCRIRE |
> Questions pro |
Quel avenir pour les concours d’architecture ? 4/6
L’apparente exhaustivité des rendus et leur inadaptation à la spécificité de chaque opération des programmes de concours nuit bien souvent à l… |
Quel avenir pour les concours d’architecture ? 3/6
L’exigence de rendus copieux et d’équipes pléthoriques pousse-t-elle au crime ? Les architectes répondent. |