Les désillusions du Grand Paris : Quelles avancées depuis 2008 ? Entretien avec Philippe Panerai

Rédigé par Anne CHAPERON
Publié le 04/05/2016

Métrophérique versus GPE : un plus grande proximité des activités le long de l'A86

Dossier réalisé par Anne CHAPERON
Dossier publié dans le d'A n°244

Philippe Panerai est l’auteur de Paris Métropole : formes et échelles du Grand Paris, ouvrage qu’il publie en 2008, au moment du lancement de la consultation internationale. À cette occasion, le magazine d’architectures l’avait interrogé : il assumait un discours « sur le fil du rasoir Â» politique tout en ayant un propos clair à la fois sur les axes prioritaires et sur les débouchées possibles pour la profession. Huit ans plus tard, à l’aube de la naissance de la grande Métropole, nous sommes allés le rencontrer pour faire le point.

D’A : Vous étiez plutôt critique vis-à-vis du SDRIF 2007…

PP : Oui, tout en saluant tout de même le fait qu’il y avait eu, pour la première fois, une discussion et un débat pendant son élaboration. Un certain nombre de gens ont pu se tenir au courant, participer ; ce n’était plus le privilège d’un happy few. On a pris conscience que cette question intéressait les habitants, qui sont quand même assez nombreux.

J’étais critique, parce que les questions d’aménagement et d’urbanisme suscitent des souhaits contradictoires. Le schéma directeur dans sa version de 2007 avait tendance à aller dans le sens des précédents, c’est-à-dire à prétendre qu’il existe un monde merveilleux sans contradiction. Ce n’est pas vrai, tout n’est pas lisse et homogène. Et si l’on ne parle jamais de ce qui peut fâcher, on en paie les conséquences : nous avons quand même trente ans de retard d’investissement !


D’A : Un autre SDRIF est paru cinq ans plus tard, en 2013. Vous a-t-il semblé plus audacieux ?

PP : Le blocage par l’État du schéma directeur de 2007 voulait, à mon sens, générer une autre approche de la capitale et du Grand Paris. Ce fut le début de l’histoire de la consultation internationale, qui a été pleine d’intérêt.

Derrière se tramait la préparation des élections régionales de l’époque, avec l’idée que la droite pouvait piquer la Région à la gauche. Ça n’a pas marché, et on a fait la paix pour essayer d’avancer. Le débat qui s’est ensuivi a permis de faire des arbitrages difficiles entre le gouvernement de l’époque et la Région, et il y a eu quelques avancées. Mais, honnêtement, je pense que nous sommes encore dans le flou.

Parallèlement, même si c’est un petit aspect des choses, des compromis ont été faits sur le schéma de transports du Grand Paris de Christian Blanc. Il fallait ménager les maires des communes rurales parce qu’ils représentent des voix. Or, les élus de terrain sont pragmatiques : ils veulent bien que le GPE passe chez eux, à condition qu’il s’y arrête ! Le nombre de stations est ainsi passé de 40 à 72, ce qui me semble être une bonne chose. Si l’on dépense dans une infrastructure, autant qu’elle serve…


D’A : Les lois MAPTAM et NOTRe annoncent la naissance de la Métropole pour le 1er janvier 2016, et définissent un nouveau système de gouvernance. Vous semble-t-il satisfaisant ?

PP : Je trouve absurde de fixer la limite de la Métropole. Ce périmètre métropolitain est anachronique. Il m’évoque un autre anachronisme dans l’histoire de France : l’enceinte de Thiers. Pourquoi, à un moment où les armes sont en train de changer, où toute l’Europe abandonne ses enceintes, est-on allé dépenser tant d’argent pour en construire une ? Cela n’empêcha pas la guerre de 1870, et à Paris d’être encerclé. D’ailleurs, on n’en est toujours pas sorti.

Je suis bien convaincu qu’entre le Paris central et la Grande Région, il y a un noyau plus ou moins dense, qui fait agglomération. Mais, depuis le temps, on devrait savoir qu’il n’est pas de limite qui ne soit tôt ou tard dépassée. Les premières discussions de 2008 ont porté sur ce sujet. Elles ont débouché rapidement sur la conclusion unanime qu’il était sage de penser une agglomération qui continuerait à bouger dans un grand cadre administratif qui s’appellerait la « Région Â».


D’A : La bonne échelle de gouvernance est-elle l’échelle régionale ?

PP : Évidemment ! Ce cadre existe, on peut faire des reproches à la Région, mais elle gère le STIF qui joue un rôle important. Une première raison est donc liée à une idée d’efficacité dans le travail. De plus, l’Île-de-France est une grande région agricole et forestière. Dans une réflexion sur ce que pourrait être la ville durable, le Paris de l’après-Kyoto, il semble assez astucieux de penser simultanément le bâti, les terres agricoles et les forêts.

Enfin, comment expliquer aux habitants que les projets de Saclay ou de Roissy ne sont pas des investissements métropolitains ? Évidemment, Roissy n’est pas l’aéroport de Roissy-en-France, c’est l’aéroport de Paris, du Grand Paris. Il faut être tapé pour ne pas l’intégrer dans le périmètre.


D’A : La Métropole n’a-t-elle pas une forme ?

PP : Cela fait longtemps que les villes, grandes ou petites, n’ont pas de forme mémorisable si l’on essaie de partir de leurs contours. Elles en ont peut-être une si l’on part de leurs centres, au pluriel. Je suis convaincu que la forme d’une ville est une constellation. Des astres plus grands que d’autres, posés sur un substrat géographique, donnée incontournable.


D’A : La structuration de la Métropole en EPCI préfigure-t-elle la mise en place de ce que vous appelez « polycentrisme hiérarchisé Â» ?

PP : Je pense qu’on aurait pu faire l’économie des réformes que sont la suppression des intercommunalités existantes et la création des EPCI. Tout ceci est d’un bureaucratisme forcené. On perd du temps et de l’argent, et l’on soulève des querelles qui avaient été assez heureusement dépassées.

Je suis fondamentalement pour les communautés de communes, mais simplement si elles sont le fruit d’un accord qui vient de la base, qui génère un sentiment d’appartenance. Des regroupements existent déjà, point besoin d’inventer une machine nouvelle.


D’A : L’EPCI serait un périmètre plaqué d’en haut ? Vous dénoncez une démarche relevant du top down ?

Voilà. Bien sûr, on ne plaque pas un périmètre en France sans que les gens soient d’accord. Mais quand on leur dit « Ã©coutez, c’est ça, ou rien Â», ils finissent par obtempérer. C’est une façon napoléonienne de voir le monde et l’administration. Je n’ai rien contre Napoléon, mais cette vision très hiérarchisée du monde se comprenait quand le transport le plus rapide était un bon cavalier, et quand quelques signaux de sémaphores permettaient de faire circuler l’information…


D’A : Parlant de transports, en 2008, vous présentiez les transports en commun comme indispensables au dessin d’une « carte d’un Grand Paris plus juste et plus solidaire Â». Le Grand Paris Express, en construction depuis 2013, permettra-t-il de venir à bout de ce que vous appelez le « rapport de colon à colonisé entre Paris et sa banlieue Â» ?

PP : Je n’étais pas favorable à ce dessin. Je pensais à l’époque qu’une bonne solution consistait à se mettre en aérien au-dessus de l’A86, dont le bouclage est presque terminé. Je continue à croire que l’on n’a pas la même vision de la Métropole en souterrain et en aérien. Ça n’a l’air de rien, mais on aurait donné à des millions de voyageurs le sentiment d’appartenir à un « grand quelque chose Â». Même si les quatre cinquièmes lisent leur journal, ils finissent par remarquer le paysage. Et ça ne coûtait pas plus cher.

Par ailleurs, les lieux de rencontre entre rocades et radiales sont des portes ; elles auraient fourni l’occasion de donner un peu de nerf, de marquer un certain nombre de choses. Mais le GPE sera souterrain, et on ne verra rien. Je trouve que c’est dommage. Ceci étant, les choses ont été décidées, négociées ; mieux vaut qu’il y ait ça que rien.


D’A : Depuis 2007, un certain nombre de projets métropolitains sont sortis de terre. Qu’en penser ?

PP : J’ai regardé d’assez près un certain nombre de projets il y a une petite année, et je n’ai pas été convaincu. Peut-être n’ai-je pas vu les bonnes choses… Tout d’abord, je ne sais pas comment, économiquement, on peut soutenir la construction d’un nouveau type de centre commercial tous les 100 mètres.

Par ailleurs, je pense qu’il y a beaucoup de projets bidon. Beaucoup de pseudo-inventions qui se parent de vernis écologico-environnementaux. On continue à imperméabiliser des hectares en disant qu’on va végétaliser les toitures… Soyons réalistes : on peut mettre 30 cm de terre et faire pousser des poireaux, mais ça ne fera jamais des forêts.

Si l’on regarde bien les différents projets dans tout le secteur sud de Roissy, on est en train de rompre les continuités végétales. Il me semble que la question de l’eau est le b.a.-ba d’une attitude environnementale. Que fait-on des eaux de ruissellement ? Sont-elles polluées parce qu’elles ramassent toutes les graisses des parkings ? Ces questions plus essentielles, tout le monde s’en fiche : on préfère raconter qu’il y aura des capteurs solaires. Donc non, je ne suis pas du tout émerveillé par ce qu’on peut voir. Je suis même un peu effrayé.


D’A : Vous vous disiez plutôt optimiste sur l’aboutissement de la réflexion en 2008…

PP : Je pense que ça bouge. D’abord on en parle, alors qu’avant on n’en parlait pas du tout, et c’est déjà une bonne chose. Je ne suis pas fondamentalement pessimiste à long terme, mais je trouve qu’on aurait pu faire l’économie de réformes lourdes qui font perdre du temps. Et ce faisant, mobiliser les esprits d’une manière plus drôle et plus productive.

Par ailleurs, les habitants et les promoteurs, eux, ont compris depuis bien longtemps que le Grand Paris existait. Quand des logements sont construits à tel endroit, ce n’est pas pour rien : les classes moyennes ne peuvent plus acheter ailleurs. C’est même un peu cynique : la machine est en marche, la ville se développe, un peu indifférente…


D’A : Ce que vous dites, c’est que la Métropole se fera, se fait déjà, mais qu’elle pourrait également se faire sans les architectes ? Nous avons du mal à nous saisir de ce sujet ?

PP : Oui, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le système d’accès à la commande publique est perpétuellement remis en cause, et ne favorise pas du tout la continuité du travail sur un même terrain. Quand Tony Garnier était l’urbaniste de Lyon, personne n’allait pas le remettre en question.

L’autre chose, c’est que les architectes sont en train de se faire doubler sur les questions urbaines par des tas d’autres gens. Dans les années 1970, il était très simple d’arrêter les querelles entre écoles d’architecture et instituts d’urbanisme et d’arriver à mélanger les enseignements. Les architectes ne l’ont pas fait, et sont restés en deçà. Le résultat est là : aujourd’hui les écoles n’ont pas un affichage qui est l’équivalent du troisième cycle de Sciences Po. Je vois des occasions manquées. À force, les architectes ne seront plus du tout conseiller du prince, sur un terrain où ils ont quelques compétences.


Lisez la suite de cet article dans : N° 244 - Mai 2016

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