Rôle délétère de l’ANRU pour financer la destruction des logements, inquiétude devant la généralisation de l’isolation thermique des bâtiments sans recours à l’expertise des architectes, potentiel contre-productif de certaines mesures environnementales... quel rôle peuvent jouer les ABF face à ces menaces ? Nous avons demandé à Jean-Lucien Guenoun, secrétaire général du Syndicat national de l’environnement, de l’architecture et de l’urbanisme (SNATEAU), de nous éclairer. |
D’A : Qu’il s’agisse de quartiers anciens ou d’architecture contemporaine, quelle est la spécificité du métier d’ABF ?
Notre métier étant à l’articulation du cadre de vie, de la protection architecturale et de la promotion de l’architecture contemporaine, nous sommes les seuls acteurs de la profession à faire le lien entre aménagement du territoire, urbanisme, patrimoine et architecture. Les UDAP (Unités départementales de l’architecture et du patrimoine) sont l’unique service à aborder les documents d’urbanisme avec des critères qualitatifs. Le ministère de l’Écologie s’en tient à une approche juridique. En 1995, l’architecture a été transférée du ministère de l’Urbanisme à celui de la Culture et, depuis, la dissociation entre l’architecture et l’urbanisme se creuse. Le corps des ABF, qui travaille avec ces deux ministères, s’efforce de faire le lien de par sa responsabilité sur les quartiers anciens ou d’intérêt patrimonial contemporain mais aussi les sites classés et les grands sites appelant une vigilance. Depuis le pamphlet fondateur de Victor Hugo « Guerre aux démolisseurs », le patrimoine a toujours été à la pointe du cadre de vie et de la mémoire et l’attention qui lui est portée s’accroît. Aujourd’hui, qui oserait songer à démolir la gare d’Orsay ? Le goût du vintage présent dans la décoration n’ayant pas encore touché l’architecture, c’est à nous sur le terrain de faire apprécier ce qui n’est pas reconnu.
D’A : Un label a le mérite d’exister mais son attribution reste assez complexe, sans pour autant valoir protection.
La recommandation R (91) 13 du Conseil de l’Europe sur la protection du patrimoine architectural du XXe siècle a entériné la prise de conscience, débouchant, en France, sur la création du label « Patrimoine du XXe siècle » devenu depuis « Architecture contemporaine remarquable » et la protection de certains édifices au titre des monuments historiques.
Nous sommes tous conscients de la faiblesse des labels, notamment en regard des politiques de l’ANRU, d’où une réflexion en cours pour les rendre plus performants. Faudrait-il accompagner les procédures de labellisation par une déduction fiscale incitative, telle celle mise en place par la Fondation du patrimoine, ou chercher d’autres pistes ? Le ministère de la Transition écologique prend également conscience des améliorations à apporter vis- à-vis du label. Il serait par exemple important de réorienter les politiques de l’ANRU.
D’A : Qu’entendez-vous par là ?
L’ANRU ne subventionne pas la réhabilitation des édifices labellisés ou d’intérêt patrimonial du XXe siècle. Pour les organismes HLM, les subventions aux démolitions sont plus incitatives que celles destinées aux réhabilitations. Il paraît donc indispensable d’accroître les aides à la réhabilitation. L’ANRU 1 s’est concrétisée par la démolition de 160000 logements avec des subventions de 17400 euros en moyenne par logement détruit, quand elles n’étaient que de 3500 euros pour les réhabilitations. Face aux besoins en logements neufs, réhabiliter certains des logements détruits aurait permis de dégager du financement pour des logements neufs. Depuis 2017, l’ANRU 2 (Nouveau Programme national de renouvellement urbain) suit la même logique sans retour d’expérience sur ce point qui devrait appeler une stratégie « gagnant-gagnant » en termes d’écologie et d’économie budgétaire.
D’A : N’est-ce pas complètement antiécologique ?
La hantise du réchauffement climatique conduit à des solutions souvent irrationnelles aux dépens d’une écologie sensible. Isoler par l’extérieur des bâtiments en pierre de taille n’a ainsi guère de sens au plan écologique ou économique et les matériaux rapportés peuvent altérer la pierre du bâti. Si l’on voit l’isolation par l’extérieur comme la solution miracle en réhabilitation, on oublie beaucoup de choses. Les logiciels de calculs théoriques ne sont pas fiables pour l’existant au vu d’écarts importants avec la réalité. La RE 2020 amène à dissocier le calcul du bilan thermique de la consommation d’énergie réelle des bâtiments. Dans l’existant, l’analyse du réel demande bien plus de nuances. Généraliser l’isolation par l’extérieur conduit à un gaspillage financier considérable. Que des dizaines de milliards d’euros soient affectées à des solutions non pérennes au-delà de vingt à trente ans oblige à réinvestir régulièrement en repartant de zéro. Face à la pénurie de logements, ces investissements à perte seraient bien plus utilement affectés à des solutions pérennes : traitement des toitures, chauffage et ventilation, isolation adaptée aux qualités et à l’état du bâti. Les milliards d’euros économisés pourraient revenir dans la production de logements neufs.
Les études de Franz Graf, architecte à la tête du laboratoire des Techniques et de la Sauvegarde de l’architecture moderne à l’École polytechnique fédérale de Lausanne, montrent qu’un budget raisonnable suffit à obtenir 90 % de performances thermiques sans dénaturer l’existant. Pour atteindre 100 %, il faut investir trois fois plus, ce qui fait réfléchir aux retours d’investissements. Ne négligeons pas non plus la toxicité potentielle des matériaux industriels. Des isolants extérieurs en polystyrène ont causé des incendies au Royaume-Uni . Quant aux matériaux biosourcés, ils ne résolvent pas toujours le problème de la durabilité. Réhabiliter le patrimoine dans ses qualités matérielles reste donc de loin la solution la plus écologique.
D’A : Les bureaux d’études sont-ils prêts à réfléchir aux solutions que vous préconisez ?
Les diagnostics de performance énergétique les incitent à ouvrir de « grands parapluies » et les BET en pointe sur ce sujet sont peu nombreux. Selon les paramètres en jeu, l’expérience de la maîtrise d’œuvre et du chantier est, évidemment, indispensable pour savoir ce qui est possible ou non et dire à un BET ce qu’il est possible de faire ou pas. Cette responsabilité relève des compétences de l’architecte, mais rares sont ceux qui peuvent accepter le risque aujourd’hui. Pour notre bien-être commun, la richesse du cadre de vie et des paysages de notre pays doit être préservée mais les politiques publiques favorisent une approche écologique purement technique et une technostructure qui efface les savoir-faire. Si les normes ont des conséquences qui contredisent leur visée, il existe des solutions alternatives pertinentes sous réserve que l’on soit capable de le comprendre et de les défendre, en assumant un risque maîtrisé. L’expérience du chantier est ici fondamentale pour trouver des solutions in situ et permettre des choix pragmatiques pas toujours transcrits par les règlements et les logiciels. C’est un travail quotidien qu’il est important de pouvoir transmettre pour dépasser les calculs théoriques qui surévaluent les marges d’erreur.
D’A : Assiste-t-on à encore beaucoup de funestes démolitions ?
Préserver le bâti ancien et patrimonial des démolitions – généralement évitées dans les espaces protégés – relève des ABF. Certaines sont à déplorer malgré des campagnes de presse, comme celle de l’église Saint-Jacques d’Abbeville ou d’autres dans des quartiers patrimoniaux de Foix (Ariège), ou à Saint-Florentin (Yonne). Suite à la loi Elan et sous couvert d’insalubrité ou de péril, des bâtiments réhabilitables ont disparu, alors que des contre-expertises démontrent la faisabilité à peu de frais de réhabilitations qu’il faudrait généraliser par économies (y compris en consommation de CO2) et au nom d’une approche sensible. Le décret n° 2022-507 du 8 avril 2022 de la loi résilience réintègre le label Architecture contemporaine remarquable dans les exceptions à la norme thermique du code de la construction, ce qui évite que des immeubles ayant un intérêt architectural soient assimilés à des passoires et traités sans égards. On peut espérer que, même hors des secteurs protégés, ceci évitera l’usage de revêtements extérieurs qui font ressembler à du carton-pâte le parement d’immeubles anciens.
D’A : Quels sont les sujets de préoccupation du SNATEAU-UNSA ?
Comme toute organisation professionnelle, nous défendons nos métiers. Avec plus de 450000 avis annuels à émettre par 180 ABF pour tout le territoire, nos services souffrent d’un manque d’effectif. Depuis que les SDAP et les DRAC ont fusionné en 2010 au sein des Unités départementales de l’architecture et du patrimoine (UDAP), des postes vacants sont à combler. Le ministère de la Culture est conscient de cette décorrélation avec la charge de travail, mais la profession a le sentiment de ne pas être assez soutenue. Les tâches de gestion et d’administration internes nous accaparent de plus en plus, ce qui nuit à notre travail au service du patrimoine et du cadre de vie. Le dialogue direct avec les demandeurs privés ou publics qui est au cœur de notre mission en pâtit. Les contraintes et les couches administratives se multipliant, nombre de décisions échappent à cette relation directe et la dématérialisation des dossiers entraîne des lenteurs de lecture et d’instruction. L’étude concrète et plus immédiate des questions posées serait plus efficace au nom du temps de dialogue indispensable qui permet de faire évoluer les projets. Tout cela assimile les ABF à de simples administrateurs et l’attractivité du métier s’en ressent. Pour y remédier, nous sommes en attente d’un perfectionnement de l’ergonomie du logiciel dont nous disposons et d’une revalorisation du métier. Il y a une réelle urgence à agir.
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