Une matière en grains
Il n’y a pas une terre, mais des terres à pisé : la composition et les proportions des constituants varient en fonction des sites, des territoires et des régions. On retrouve toujours cinq types d’éléments de différentes tailles : des cailloux (10 à 2 cm), des graviers (environ 2 cm), des sables (2 mm à 20 microns), des silts (20 à 2 microns) et des argiles (environ 2 microns). En faisant une analogie avec le béton de ciment, certains parlent de « béton d’argile », car on retrouve un ensemble d’agrégats (cailloux, graviers et sables) assemblés par un liant (l’argile), l’ajout d’eau créant la cohésion.
L’eau : ni trop ni trop peuPour réaliser 1 m2 de mur en pisé de 50 cm d’épaisseur (soit environ 850 kg), il faut environ 1,2 tonne de terre. Les graviers, cailloux et sables représentent entre 50 et 70 % du mélange, les silts entre 15 et 30 % et les argiles entre 5 et 20 % au maximum, car une trop grande quantité augmente le risque de retrait. La juste teneur en eau (8 à 12 %) est déterminante pour la bonne prise de l’ensemble et pour la réussite de la mise en œuvre. Une terre trop humide aura tendance à « couler » et manquera de tenue au moment du décoffrage ; une terre trop sèche ne pourra pas être compactée.
Caractéristiques physiques et mécaniquesLa masse volumique du pisé est comprise entre 1 700 et 2 400 kg/m3. Elle influence la conductivité thermique, qui oscille entre 0,90 et 1,10 W.mK. Naturellement poreux, le matériau est plus ouvert à la diffusion de la vapeur d’eau qu’un mur en béton armé. D’un point de vue mécanique, un mur en pisé d’une épaisseur de 40 à 50 cm a une résistance à la compression de 1 à 2 Mpa, ce qui le rapproche d’un ouvrage en pierre sèche.
Éviter la stabilisation au cimentIl est très important de faire la distinction entre la terre à pisé stabilisée et la non stabilisée. La stabilisation par ajout de ciment, de pouzzolane ou de chaux (entre 2 et 8 %) a pour objectif l’amélioration de certaines propriétés de l’ouvrage, notamment la résistance à la compression et à l’humidité, mais elle a plusieurs conséquences négatives, entre autres sur les qualités hygrothermiques. S’il faut éviter de stabiliser la terre, c’est aussi pour réduire la production de ciment, responsable d’environ 7 % des émissions de CO2. Malheureusement, la réglementation de certains pays, comme les États-Unis, exige une stabilisation avec environ 10 % de ciment.
Un cycle de vie vertueuxL’absence d’additifs facilite la déconstruction et le traitement des déchets quand l’ouvrage sera en fin de vie : le mur redeviendra un simple tas de terre, qui pourra être réutilisé selon les principes de l’économie circulaire. La seule tolérance admissible est l’ajout de chaux hydraulique (NHL 3,5) en petite quantité (moins de 4 %), qui permet de corriger et d’ajuster au mieux la teneur en eau juste avant la mise en œuvre. Pour éviter ce léger ajout de chaux, la préparation du chantier est primordiale, et il est nécessaire de prévoir une longue période en amont, notamment pour éliminer tous les éléments organiques, avant de travailler, tamiser et malaxer la matière.
Un stockage au secLe stockage est une autre étape essentielle, car il faut veiller à ne pas altérer le mélange préparé. Une aire dédiée doit être mise en place, protégée des intempéries, largement ventilée et si possible nettement surélevée. Il faut éviter que la terre se réhumidifie, que la teneur en eau en soit perturbée et que des végétaux ou moisissures se développent, car cela demanderait l’ajout de chaux pour corriger. Le foisonnement, qui caractérise la propriété de la terre à augmenter de volume lorsqu’elle est extraite, manipulée et transportée sur le chantier, est également important. Sa prise en compte doit être réfléchie dans le cadre des installations de chantier.
Strate par strateLors de la mise en œuvre, la terre est versée, strate par strate, dans un coffrage, et l’artisan piseur se tient généralement debout entre les deux banches. Chaque couche a une épaisseur de base de 15 à 20 cm, qui diminue environ de moitié après compactage. Traditionnellement, le coffrage était en bois et avait une hauteur d’environ 90 cm. Après chaque décoffrage, on recommençait par « banchée de pisé », une succession de dix couches de terre compactée.
L’influence du coffrageLes coffrages en aluminium utilisés aujourd’hui sont semblables à ceux des ouvrages en béton de ciment. Le mode de progression est soit vertical, permettant de travailler un mur sur toute sa hauteur, soit horizontal, en traitant l’ouvrage par banchée sur des éléments plus longs. Dans les deux cas, il est nécessaire de prévoir des étaiements résistants, afin de reprendre les importantes poussées latérales et les vibrations du damage. Le choix du coffrage n’est pas anodin, car il influe sur l’organisation du chantier (poids, maniabilité), sur la sécurité des ouvriers, sur l’aspect esthétique et sur la rentabilité de l’opération.
Compactage : des bords vers le centreLa dame manuelle (ou pisoir) était traditionnellement en bois, puis en métal. Elle est désormais remplacée par des fouloirs pneumatiques, voire par des plaques vibrantes. Les opérations de damage se réalisent en deux étapes : en tassant à la main de manière légère les bords puis en compactant fortement (minimum 3 bars) en démarrant par les contours pour finir au centre. Il est nécessaire de décoffrer rapidement l’ouvrage pour permettre à la matière de sécher. Le séchage dure en général trois mois. La mise sous cure, qui favorise la prise du liant fraîchement décoffré pour la terre coulée, n’est pas nécessaire pour la terre compactée.
Artisans et autres professionnelsEn France, le pisé était traditionnellement présent dans le Lyonnais et le Dauphiné, en Auvergne, autour de Rennes et au sud de Toulouse. Il est donc naturel de retrouver dans ces régions non seulement des artisans hautement qualifiés, mais également des bureaux d’études, des assistants à maîtrise d’ouvrage et des architectes spécialisés dans le matériau terre, qui servent aujourd’hui de référents pour l’ensemble des projets du territoire français. Leur nombre est actuellement trop faible pour répondre à la demande croissante, et des efforts sont indispensables pour former de nouveaux professionnels.