Le Grand Paris des écrivains - « Procurer une forme d’émerveillement plutôt que décrire un bâtiment » - Entretien avec Jacques Ferrier

Rédigé par Soline NIVET
Publié le 14/03/2017

Le Village Nature (Jacques Ferrier architecte) imaginé par Disney et Pierre & Vacances-Center Parcs à Marne-la-Vallée entend prolonger l’expérience immersive des parcs de loisir.

Dossier réalisé par Soline NIVET
Dossier publié dans le d'A n°252 Quatre ans après son élaboration, l’architecte Jacques Ferrier revient sur la fabrication de cette image pour le concours de l’Aqualagon de Village Nature et nous explique en quoi elle devait raconter une histoire plutôt que montrer un bâtiment.  

d’a : Jacques Ferrier, dans quelles circonstances cette image, qui a fait réagir l’écrivain Serge Lehman, a-t-elle été élaborée

 

Jacques Ferrier : C’est une image qui a été faite en interne, à l’agence, il y a trois ou quatre ans, au moment du concours pour le projet Village Nature conduit par les groupes Disney et Pierre & Vacances-Center Parcs, à Marne-la-Vallée. La commande était celle d’une grande bulle avec un climat artificiel à l’intérieur – qui caractérise tous les Center Parcs. J’avais envie de casser l’opposition de cet univers intérieur purement artificiel à ses abords extérieurs. J’ai donc eu l’idée d’un dôme de verre offrant aussi une promenade en spirale s’élevant jusqu’au sommet, pour ajouter une expérience supplémentaire à tous ces toboggans, piscines et bassins intérieurs. À ce moment-là, je réfléchissais aussi à la réintroduction des animaux dans l’architecture et dans la ville, en partant du principe qu’il ne suffisait peut-être pas de recréer des jardins et des espaces dits « naturels » (ce que tout le monde fait maintenant, et à juste titre) pour répondre complètement à l’idée de nature en ville. En réintroduisant des animaux locaux ou familiers, on peut créer un paysage réellement vivant. Donc ce couple de chevaux qui est là, un peu comme sur une arche de Noé, m’avait paru assez évident, un peu comme deux personnages contemplant cet environnement complètement artificiel et néanmoins censé procurer des impressions et des sensations de nature. J’étais aussi alors très attaché à ce que nos images ne soient pas simplement des perspectives d’architecture, mais qu’elles racontent aussi une histoire. Sur ce lac artificiel, il y a cette maison flottante illuminée, sur laquelle je proposais que l’on puisse jouer des concerts. Gérard Bremond, le patron de Pierre & Vacances, est un grand passionné de jazz, actionnaire de la station de radio TSF… Tout cela je le savais, bien entendu, et je me suis dit que nous pouvions enrichir l’atmosphère de cet Aqualagon en lui arrimant dans la journée ce pavillon de musique, que l’on aurait détaché le soir pour offrir des concerts à tous les gens placés autour du lac. Donc, il y avait l’idée des animaux, mais aussi celle de suggérer des sensations autres que visuelles, avec l’idée de cette plateforme flottante et musicale. 

 

En quoi cette image évoque-t-elle le Grand Paris

 

Elle l’évoque du point de vue de l’expérience. Le Grand Paris est surtout associé à du fonctionnel : loger les gens, les transporter… ce sont des besoins évidents, bien sûr. En 2013, notre studio de recherche Sensual City Studio (avec Pauline Marchetti et Philippe Simay) n’avait qu’un an ou deux. Et je me demandais le sens qu’avait ce grand équipement complètement artificiel, je trouvais cela bizarre. Philippe Simay, qui est un peu notre philosophe attitré, était très positif et optimiste. Il m’affirmait au contraire que le sujet des loisirs dans la métropole, pas assez traité par les architectes, était à prendre très au sérieux : une ville de plus de 10 millions d’habitants génère, en contrepoint, une demande de loisirs à mesure qu’elle s’accroît. Les métropoles mondiales réussissant à conjuguer intensité métropolitaine et temps des loisirs seront les plus attractives. Il insistait aussi sur la dimension nécessairement expérientielle et sensorielle de ces nouveaux loisirs. Ce que j’ai traduit ici en suggérant que mon projet n’était pas juste une pyramide ou une belle forme de plus, mais qu’il procurerait une expérience nouvelle. Plutôt que de décrire le bâtiment (je me souviens que j’avais même fait effacer la structure à droite), cette image, en associant le plaisir d’un coucher de soleil à la musique et ces chevaux, devait procurer une forme d’émerveillement. 

 

Quelles références picturales avez-vous mobilisées dans cette image

 

Je n’ai pas de culture BD, ce sont donc plutôt des références de cinéma. Quand j’ai commencé à travailler sur des très grands bâtiments, il y a une dizaine d’années, un ami chef opérateur m’avait expliqué : « Tu sais, moi, quand je filme une tour, je ne la filme jamais en entier, c’est beaucoup plus dynamique de la montrer par fragments. La totalité a finalement peu d’intérêt, et on traduit mieux la hauteur et l’échelle pas des cadrages successifs plutôt que par une vue générale. » Là, mon bâtiment n’occupe qu’un gros quart de l’image, les alentours ne sont pas de moi ! 

 

Avez-vous une mission de suivi sur le chantier, en cours d’achèvement ? 

 

Nous ne nous occupons pas des équipements ni des aménagements des bassins, toboggans, mais nous assurons le suivi des lots architecturaux de la structure et de l’enveloppe avec l’ingénieur Jean-Marc Weil, qui a conçu une structure en bois très innovante, en partenariat avec la faculté de Vienne, en Autriche. Pour les pièces métalliques, nous avons suggéré de reprendre la couleur rouge/rose utilisée par Eiffel sur le viaduc de Garabit. Cette teinte renoue avec une culture un peu XIXe siècle, et se détache de nos réflexes habituels consistant à associer le métal au high-tech et à des teintes gris métallisé. Dans un programme de loisirs, on pouvait s’éloigner de cette culture : cela sera très étonnant et conférera à l’intérieur une belle présence à ce chapiteau de bois, malgré tous les toboggans et les piscines à vagues… 


Lisez la suite de cet article dans : N° 252 - Avril 2017

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