Quand
les rapports professionnels se complexifient et que les recours
judiciaires se développent dans un monde saturé de règles, la
médiation peut apporter des solutions rapides pour les architectes
et les professionnels de la construction. Le point avec l’architecte
François Payen, qui est aussi médiateur auprès du Centre de
médiation et d’arbitrage de Paris (CMAP).
|
DA :
En quoi la médiation se distingue-t-elle de l’action judiciaire ?
François
Payen : Courante
dans le monde anglo-saxon, la médiation a le mérite d’éviter un
procès devant un tribunal tout en permettant aux parties en présence
une meilleure maîtrise du conflit qui les préoccupe. Il n’est pas
rare qu’une dizaine d’heures de médiation suffisent à éviter
des années de procédure judiciaire, avec une meilleure maîtrise
des coûts pour les parties car le coût d’une médiation oscille
souvent entre 2 000 Ã 5 000 euros.
C’est avec l’objectif d’une aide à la résolution équilibrée des conflits que chacune des parties est libre de l’entreprendre. Son cadre se distingue clairement d’un cadre juridique contraint. Elle interrompt les délais de prescription et, dans une médiation réussie, les deux parties sont gagnantes. $A contrario,$ une décision judiciaire distingue toujours un gagnant et un perdant et, souvent, les deux parties sont la plupart du temps insatisfaites au terme d’un procès.
Un autre aspect clé de la médiation est ainsi qu’elle permet aux parties de trouver un accord mutuellement satisfaisant, tout en rétablissant, si besoin, des relations professionnelles ou commerciales utiles pour le futur. N’oublions pas que, lorsqu’une médiation professionnelle est engagée, ce sont souvent les rouages de l’entreprise qui sont en jeu…
DA :
Quels sont les types de conflits les plus fréquents ?
FP :
Il peut s’agir de
conflits avec un commanditaire ou un client, de dissensions entre les
associés d’une agence ou d’une entreprise, de questions de
sous-traitance, de différends entre l’encadrement et le personnel,
de litiges avec des fournisseurs, des partenaires ou des
sous-traitants… À titre d’exemple, j’ai animé une médiation
entre un maître d’ouvrage, une entreprise générale et un
sous-traitant qui peinait à se faire payer. La procédure judiciaire
traînait en longueur et le juge leur a conseillé la médiation. Ma
satisfaction fut de les voir aboutir à un accord en quatre heures,
pour un conflit vieux de plus de quatre ans !
Autre exemple, en juin 2012, la société X, en qualité de maître d’ouvrage, signe un marché de construction d’une résidence étudiante avec la société Y pour un montant de 2 millions d’euros. Les travaux devaient débuter le 30 août 2012 et s’achever le 15 novembre 2014. Le maître d’œuvre reprochait à la société X de ne pas avoir réglé le solde de la prestation, mais cette dernière estimait avoir subi un préjudice important lié au retard du chantier. On voit que les sources de conflits sont innombrables et que le rôle de l’architecte – avec sa position de plaque tournante entre les acteurs de la construction – conduit de façon évidente à la médiation qui contribue à régler leurs différends tout en poursuivant la construction.
DA : Comment intervient le médiateur ? A-t-il des compétences juridiques ?
FP : Le médiateur est maître du processus et sa mission est guidée par un principe d’indépendance et de neutralité. Il anime le débat pour que les parties trouvent ensemble les solutions, mais ne saurait être celui qui les trouve ou qui les impose. Il veille à ce que le conflit puisse être résolu dans le respect des droits de chacun, sans pour autant que les solutions retenues soient nécessairement toutes soutenues par un raisonnement juridique. Il veille au respect d’un équilibre entre les parties, qui ont le même temps de parole. Il les aide à exposer les faits et à évoluer dans leurs négociations, sans se poser en arbitre, en avocat ou en juge et sans exposer lui-même les faits. Rien ne lui interdit, par contre, d’avoir des apartés avec chacune des parties pour les aider à avancer dans leur réflexion mais, là encore, le respecter d’une égalité de temps s’impose. Et lorsque les parties en présence ont un peu des allures de David et Goliath, le médiateur se devra d’équilibrer les moyens.
En théorie, il n’a besoin ni de connaissances juridiques ni de connaissances spécifiques du domaine professionnel dont relèvent les cas qui lui sont confiés. J’estime néanmoins que mon expérience d’une trentaine d’années dans le monde du bâtiment m’apporte des connaissances bien utiles pour comprendre rapidement une situation et pour orienter les parties vers des pistes de solutions.
DA : À quoi les parties s’engagent-elles ? À quoi peuvent-elles aboutir ?
FP : Sans s’interroger sur qui a raison, l’un des premiers objectifs de la démarche est que chaque partie accepte d’écouter l’autre et d’entendre ses besoins. L’essentiel étant de faire émerger la nature du conflit pour que les protagonistes prennent conscience du risque dans le cas où la médiation n’aboutirait pas, ainsi que des aléas auxquels expose l’action judiciaire. La médiation pouvant durer plusieurs jours, les parties sont libres de poursuivre ou non le processus, à leur gré, avec si besoin des interruptions de séances, et dans une confidentialité totale des échanges entre le médiateur et les parties et entre les parties elles-mêmes. Ces échanges – qui ne sortent pas du cadre de la médiation – ne peuvent être utilisés dans une action judiciaire. Les parties ont d’ailleurs la liberté de les poursuivre à l’extérieur et en dehors de la présence du médiateur. Une fois prêtes à entériner un protocole d’accord, elles pourront revenir à leur guise vers lui.
DA : Leurs avocats interviennent-ils dans la médiation ?
FP : Les avocats les accompagnent, mais essentiellement pour les conseiller et les éclairer sur les risques.
DA : Qu’est-ce qui peut faire échouer une médiation ?
FP : Il est indispensable que les parties acceptent d’emblée de s’engager dans cette démarche et de respecter l’accord qui sera trouvé. Chacune d’elle – ou son représentant – doit impérativement avoir un pouvoir de décision et éviter la mauvaise fois. Sans ces conditions, toute médiation s’avère ardue, voire impossible. Il arrive aussi qu’aucun accord ne soit trouvé ou que l’un des protagonistes torpille délibérément la médiation. Cela peut advenir quand un juge a conseillé la médiation avant de poursuivre l’instruction d’une affaire.
DA :
Quel est le taux de réussite des médiateurs du
Centre de médiation et d’arbitrage de Paris ?
FP :
Sur un peu plus d’une centaine de médiateurs au CMAP, nous avons
environ 80 % de réussite. Ce taux tient à mon sens au fait que
ce qui fait conflit est la plupart du temps facilement résolu si
l’on sait laisser place à l’expression du ressenti. C’est
pourquoi le médiateur commence par demander à chacune des parties
d’exprimer ses sentiments et ses valeurs. Il y a souvent une grande
part d’ego dans ce genre de situation, et quelques mots peuvent
suffire pour commencer à faire évoluer la situation. Pour que
chacun soit entendu, le rôle du médiateur est alors de reformuler.
La seconde étape consiste à faire émerger les raisons du conflit,
mais aussi les besoins et les intérêts de chacun afin qu’ils
deviennent explicites pour l’autre. Tout l’enjeu étant de fonder
l’accord sur ce qui a donné lieu à un désaccord, cette étape
permet aux parties de s’accorder sur ce qui les sépare en
confrontant leurs points de vue d’une même situation. La troisième
étape de la médiation est la phase de brainstorming, vers des
pistes de solution. Tout cela étant logique et pragmatique,
anticiper les risques élargit les possibilités de solutions. Selon
la méthode BATNA ($Best Alternative to a Negotiated
Agreement$), qu’affectionnent les Anglo-Saxons, faire prendre
conscience du risque est un point clé de la négociation. Dans un
protocole transactionnel, il est rare qu’il y ait un accord sans
concession, mais ce protocole met fin à toute action juridique.
DA : Quid de la formation des médiateurs ?
FP : À ce jour, il ne s’agit pas d’une profession réglementée. Et si la formation n’est pas obligatoire pour exercer, elle me paraît indispensable pour être un bon médiateur. Il faut en effet bien connaître les différentes étapes du processus que nous avons évoqué et maîtriser les techniques de négociation permettant d’accompagner les parties vers une solution amiable. Différentes formations existent. J’ai suivi pour ma part celle du CMAP, une association créée par la Chambre de commerce et d’industrie de Paris. Elle s’adresse à des personnes en activité désireuses d’étendre leurs compétences à la médiation.
DA : Comment y êtes-vous venu ?
FP : Dans le cadre de mon activité d’architecte au sein de l’agence G2A (GLOBAL ACCESS Architecture), j’ai été amené à participer à des réunions d’expertise dommages-ouvrage regroupant souvent dans une salle une trentaine de personnes et leurs avocats. Des parties adverses – architecte, maître d’ouvrage, BET – trouvaient souvent un accord avant l’arrivée de leurs avocats mais, une fois ces derniers en piste, il n’était pas rare que les parties reviennent à leurs désaccords. Ces procédures sont très lourdes et très coûteuses en temps et en honoraires d’avocats.
Il m’est aussi arrivé d’être en conflit avec un maître d’ouvrage sur un chantier alors que l’utilisateur était parfaitement satisfait du bâtiment réalisé par notre agence. Malgré la qualité de notre prestation, nous perdions un client !… Tout cela m’a incité à me former à la résolution des conflits et je me suis tourné vers le CMAP. J’y ai notamment découvert la communication non violente et l’importance de la façon de dire les choses. Je constate désormais avec satisfaction que les contrats comportent souvent une clause prévoyant de recourir à la médiation en cas de conflit, avant de pouvoir ester en justice.
Cette démarche me paraît très performante pour aider les architectes dans d’éventuels conflits financiers, juridiques ou techniques. L’Ordre des architectes propose déjà une cellule d’assistance juridique composée d’experts mais, 80 % des racines d’un conflit étant liés au ressenti, la médiation prend vraiment sens pour aider les confrères à sortir d’un conflit par le haut (et ce, rapidement, tout en préservant la relation professionnelle avec d’autres maîtres d’œuvre, des entreprises ou des maîtres d’ouvrage) et donc pour les aider à continuer à développer pleinement leur vie professionnelle !
Propos recueillis par Christine Desmoulins
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