La loi CAP : des enjeux dont la profession ne semble pas encore avoir pris la mesure

Rédigé par Christine DESMOULINS
Publié le 31/08/2016

Article paru dans d'A n°247

Contribuer à transformer nos paysages et l’économie de nos territoires par le biais de l’architecture et de la valorisation du patrimoine est l’un des enjeux de la loi CAP (création, architecture et patrimoine) dont les décrets d’application sont en attente. Pour la ministre de la Culture et de la Communication, ses orientations multiples accompagnent les mutations du champ de l’architecture et de sa pratique pour mieux prendre en considération la pluralité et les compétences des acteurs de la construction. Nous nous sommes attachés à rendre plus compréhensible cette loi et les enjeux qu’elle porte.

Les votes solennels de la loi Liberté de création Architecture et Patrimoine (CAP) le 21 juin à l’Assemblée nationale et le 29 juin au Sénat marquent un temps fort dans l’évolution des textes régissant l’architecture depuis la loi de 1977.

Après des mois de discussions et de débats parlementaires nourris avec ténacité, la loi CAP est pour le ministère de la Culture l’aboutissement du long travail mené avec le député Patrick Bloche, président de la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation à l’Assemblée nationale et rapporteur du texte. Elle fait suite au rapport de ce dernier sur la création architecturale et aux travaux ayant conduits à l’élaboration de la Stratégie Nationale pour l’Architecture rendus publics par la ministre le 20 octobre 2016. Elle est aussi le fruit d’un dialogue avec les acteurs du cadre de vie : CNOA, UNSFA, Syndicat de l’Architecture, Académie, Ecoles Nationales Supérieures, CAUE et d’autres entités engagées dans les questions relatives à l’architecture et au patrimoine.

S’appuyant sur un diagnostic et les évolutions d’un environnement professionnel soumis aux transformations de la pratique et des techniques, le texte de cette nouvelle loi sur l’Architecture ne concerne pas que les seuls architectes. En réaffirmant la volonté du ministère de la Culture d’intéresser la société de façon globale aux enjeux de l’architecture, il réunit des articles de différente nature et plusieurs registres de dispositions, l’idée étant que les architectes, les décideurs, mais aussi les citoyens puissent se les approprier.


  1. Les points clés de la loi CAP

Au moment où les architectes, confrontés comme toute entreprise aux mutations économiques et à celles que traverse leur environnement professionnel, ont le sentiment d’un rétrécissement de leur champs d’intervention, les rédacteurs de cette loi cherchent à leur en ouvrir de nouveaux en prenant en compte leur rôle de chefs d’entreprises et d’acteur culturels. L’objectif du ministère de la culture consiste donc à les inviter à se saisir des opportunités que leur offre cette loi et à confirmer leur rôle de contributeurs puissants à la qualité architecturale.


. Étendre la qualité architecturale à toutes les constructions et à tous les territoires

L’entrelacs des grands enjeux environnementaux et patrimoniaux imposant des stratégies affinées, c’est l’un des grands objectifs de ce texte qui fait suite à la loi sur l’architecture de 1977. Renouer le lien entre l’aménagement et l’architecture

et inscrire la qualité architecturale, paysagère et environnementale sur tous les territoires est bien un vrai défi. Tout périple en France suffit à en mesurer l’urgence et la loi prévoit désormais le recours obligatoire à l’architecte pour l’aménagement des lotissements au-delà d’un seuil fixé par décret. (voir aussi ci-dessous « du côté des lotissements Â»).



. « Le permis de faire Â»

Ce point (voir aussi partie C) a connu plusieurs évolutions très positives au fil des étapes de l’examen de la loi. En valorisant la notion d’objectifs, il vise à favoriser l’innovation et l’expérimentation dans le logement social, les équipements et les opérations d’aménagement situées dans le périmètre d’opérations d’intérêt national. Il devrait aussi permettre de valoriser les matériaux et leur réemploi.


. Abaissement du seuil d’intervention de l’architecte à 150 m2

Le but est d’encourager les particuliers à recourir à l’architecte. En deçà de 150 m2, l’autorité chargé de la délivrance des permis de construire peut en réduire les délais d’instruction si un particulier a confié son projet à un architecte.


. Concours d’architecture et dialogue

La question des concours d’architecture un temps menacées a fait l’objet de longues discussions au terme desquelles le concours obligatoire est inscrit dans la loi, avec la possibilité d’une phase de dialogue entre le jury et les candidats avant le choix du lauréat.


. Identification obligatoire de l’équipe de maîtrise d’œuvre lors de l’exécution des marchés publics globaux de performance. Ce principe est entérinée en liaison avec les dispositions de l’ordonnance sur les marchés publics et de la loi Sapin 2.



  1. Une loi inscrite dans un contexte législatif plus large


La loi CAP s’inscrit en effet dans un contexte d’évolution législatif plus global qui fait bouger les lignes et tend à simplifier les procédures. Sans rappeler l’impact évident des lois sur le logement et l’environnement, on voit ainsi que des dispositions figurant dans d’autres textes concernant l’architecture et l’urbain la complètent.


-La loi Macron. Elle étend à toutes les exploitations agricoles la dérogation du recours à l’architecte en dessous d’un seuil de 800 m2, et non plus aux seules exploitations individuelles ou unipersonnelles.1 Autre point en débat dans cette loi : le sujet sensible lié à la décorrélation entre le capital et le droit de vote au sein des sociétés d’architecture. 2


-L’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 sur les marchés publics. La mise en place de cette ordonnance en voie de ratification sur laquelle nous reviendrons maintient le concours d’architecture comme mode privilégié de choix du projet. Elle donne un nouveau cadre aux commandes, et notamment aux PPP rebaptisés « contrats de partenariat Â». Son décret d’application reste imprécis sur les conditions de recours à ces marchés. Sans les restreindre, il donne plutôt un nouvel élan à cet outil contractuel, mais tend à recadrer sa sphère d’intervention pour éviter les abus dénoncés par le passé quant aux conditions d’urgence et de complexité.


-La Loi Sapin 2. La commission des lois du Sénat a examiné le 22 juin dernier la loi Sapin 2. La loi CAP ayant rendu obligatoire l’identification de l’équipe de maîtrise d’œuvre dans les contrats globaux, la loi Sapin élargit cette obligation aux contrats de partenariat.


  1. Quelles améliorations voudrait-on voir en traversant la France dans dix ans ?


D’une meilleure sensibilisation des acteurs non professionnels au développement de savoir-faire en passant par l’élaboration de nouveaux modèles économiques, les divers volets de cette loi sont destinés à en faire un outil pragmatique pour les professionnels et les acteurs de terrain. S’ils demandent à être approfondis et mis en perspective, chacun de ces volets peut ouvrir des champs de réflexion mobilisant les architectes et les professionnels du domaine.


1-Du côté des lotissements


Malgré les excellents exemples du passé ( lire notre dossier du mois dernier), le lotissement est un secteur d’activités marginal pour les concepteurs, architectes ou paysagistes depuis une quarantaine d’années. L’enseignement des écoles l’aborde peu mais certains lauréats des Albums des jeunes architectes et paysagistes s’en saisissent aujourd’hui proposant des alternatives stimulantes.
Le Grenelle de l’environnement avait imposé à l’aménagement des lotissements un nouveau tournant, via un volet architectural et paysager et environnemental. Le dispositif prévu par la loi va plus loin car l’article sur le permis d’aménager met en évidence le lien de l’architecture, du paysage et de l’environnement avec l’aménagement.


Actuellement, l’aménagement d’un lotissement -qui contrairement à une ZAC n’engage pas l’action publique- donne lieu à un permis d’aménager qui donne l’orientation et la nature des bâtiments, du paysage et de la forme urbaine sans que des compétences dans ces domaines ne soient requises. Renforcer l’exigence de conception architecturale paysagère et environnementale permet de franchir le saut qui est aujourd’hui demandé. Selon le ministère de la Culture et de la Communication, c’est une façon de souligner le fait que lotir est un acte d’extension urbaine et en aucun cas un acte anodin, limité à la vente de lots où le foncier tire sa valeur d’un déclassement de terres agricoles longtemps favorisé depuis l’exode rural. C’est aussi l’espace d’un investissement majeur dans la vie d’une famille ou d’une entreprise dont ce lieu deviendra le patrimoine.


Dans ce domaine, l’exemple des Parcs naturels régionaux (PNR) vaut d’être observé car il pourrait permettre d’inventer de nouveaux processus de décision et de projets destinés à d’autres territoires. Dans ces sites forts que sont les parcs naturels régionaux, les élus se sont regroupés et ils sollicitent des architectes qui réalisent des lotissements en collaboration avec des paysagistes. En dépit de budgets modestes, il en résulte des produits de qualité. La force de ces parcs naturels étant de partir de la nature, c’est par le biais de la préservation des paysages que l’architecture s’impose comme un enjeu. Certains PNR ont des ateliers d’architecture et des plateformes de débats qui étudient la façon de redévelopper ces territoires par des activités et de nouvelles formes urbaines, ce qui renvoie naturellement à la notion de qualité des lotissements en jeu dans la loi.


La question d’un seuil de recours à l’architecte dans ces lotissements est encore en débat. La ministre de la Culture a déclaré au banc qu’il serait bas. Reste à déterminer si elle sera, selon les cas, variable ou non. Le dispositif adopté sera précisé par le décret, mais la loi CAP qui va dans le sens des politiques publiques voués à restreindre la consommation des terres agricoles doit permettre d’introduire une qualité sur tous les territoires. Cela suppose de définir un nouveau modèle économique pour ces lotissements et d’introduire des architectes auprès des lotisseurs en précisant comment les rémunérer sur ce type de projet selon un montant de travaux ou un forfait et ou, pourquoi pas, un intéressement à la vente des maisons.


Travailler les formes urbaines et architecturales en étudiant la topographie, l’ensoleillement, l’écoulement des eaux… pourrait ainsi être un moyen de donner de la valeur aux constructions, de s’interroger sur les questions d’identité locales, de géographie, de topographie et de faire travailler des entreprises locales.


Centrée sur l’habitat, l’approche proposée par la loi peut aussi s’appliquer aux lotissements commerciaux et aux zones d’activité économique. On voit ainsi que cette loi ouvre un vrai chantier où l’important est d’identifier dans différents territoires les ressources de modèles alternatifs ou clés en main qu’il serait possible de proposer aux élus.


Au nom de la qualité du cadre de vie, la politique de la loi CAP rejoint aussi celle de Sylvia Pinel qui conduit le Programme expérimental des centres bourgs lancé en 2014 pour la revitalisation des centres-bourgs. 


2- Répondre à la demande de formation des élus et des services des collectivités territoriales

S’appuyer sur le maillage des acteurs qui contribuent à promouvoir la qualité architecturale sur tous les territoires étant plus que jamais d’actualité la loi donne agrément aux CAUE pour la formation des élus. Dans les territoires où les sujets liés à l’architecture alimentent déjà un débat nourri entre différents acteurs (CAUE, maison de l’architecture, Drac, architectes conseils, ABF, etc.) pour mieux intégrer les aspects techniques et les habitants, c’est une façon de rendre visible l’action d’utilité publique d’un microcosme de sachants.


3- La réunion des compétences de tous les acteurs de la construction


Les enjeux étant ceux d’une synergie des compétences, ils s’apparentent à ceux d’un cluster du monde de la construction où l’architecte redevient le chef d’orchestre, sans pour autant s’engager seul dans le projet. Si les artisans sont sous la coupe des géomètres ou des grands groupes du bâtiment, c’est assez rarement propice à la qualité architecturale. Les architectes savent par contre entraîner d’autres professionnels dans l’aventure et ils peuvent donc jouer un rôle clé en ce sens. En lien avec les intérêts économiques locaux, leur intérêt et celui des artisans se rejoignent au profit d’un travail de qualité.


4-Et grâce au « permis de faire Â»

La notion d’objectifs incontournables à atteindre, comme la réduction de l’impact énergétique ou l’amélioration de l’accessibilité n’est pas remise en question. L’expérimentation permet de faire évoluer les moyens de les atteindre pour réduire le poids de règles souvent inadéquates quand on les additionne et qu’elles ne valent que pour elles mêmes. C’est la visée du « permis de faire Â» qui s’appuie la capacité des synthèse du projet architectural et se construit sur l’exemple d’initiatives reposant sur l’observation des besoins, des ressources, du climat et du tissus urbain ou rural de certains des territoires. Observés notamment en Outre-Mer, dans des situations métropolitaines imposant la reprise de la ville existante ou encore dans des milieux ruraux isolés, ces exemples incitent à laisser la possibilité à des acteurs locaux d’initier des expériences.


1. Loi n° 2015-990 du 6 août 2015

2. Voir à cet égard, notre article dans la rubrique pro de d’A n°X


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