La France comme marque et comme expérience

Rédigé par Soline NIVET
Publié le 25/06/2018

Le Petit train des vignobles de Champagne

Dossier réalisé par Soline NIVET
Dossier publié dans le d'A n°264

Qui l’ignore encore ? Le tourisme représente 10 % de l’économie globale et fait vivre des centaines de millions d’individus sur notre planète. La France maintient son rang de première destination mondiale, mais de justesse, car la concurrence devient de plus en plus rude. Même si, avec ses 82,6 millions de touristes internationaux par an, l’Hexagone compte déjà bien plus de visiteurs que de résidents, l’ambition du plan Tourisme du gouvernement est de porter ce nombre à 100 millions à l’horizon 2020 avec un autre objectif : prolonger la durée moyenne des séjours et favoriser leur répartition sur les territoires, et notamment dans les territoires ruraux.

Le grand chelem des sites français les plus visités ne change pas, et ce depuis des années : Paris et Disneyland Paris restant très largement en tête, suivis loin derrière par la région Provence-Alpes-Côte d’Azur en seconde position. Et tandis que les métropoles rivalisent de stratégies pour attirer les city-breakers (ceux qui profitent des liaisons TGV, du maillage aérien low-cost européen et des offres Airbnb pour multiplier leurs week-ends cool, culturels et festifs), villes moyennes et campagnes s’attachent à intensifier leur mise en tourisme.

 

Valoriser les particularités locales… tout en confortant la « marque France Â»

Tout en valorisant des « particularités Â» (des sites, des panoramas, des patrimoines, des économies ou des circuits), ces initiatives locales s’inscrivent aussi dans une politique nationale qui a proclamé depuis 2015 que l’œnotourisme, l’écotourisme et le tourisme des savoir-faire artisanaux et gastronomiques sont des atouts prioritaires pour valoriser la destination hexagonale à l’export. La construction de l’image et de la lisibilité de la marque France est donc au cÅ“ur de la mission confiée à Atout France (l’Agence de développement touristique de la France et opérateur unique de l’État pour le secteur) par le conseil interministériel du Tourisme, qui insiste sur la nécessaire mise en convergence des politiques touristiques et patrimoniales.

Labels et subventions à la clé, le paysage rural poursuit-il donc inexorablement la mue annoncée par Michel Houellebecq dans La Carte et le Territoire d’une France « n’ayant guère à vendre que des hôtels de charme, des parfums et des rillettes – ce qu’on appelle un art de vivre Â», et dont les campagnes entièrement converties à l’économie touristique sont repeuplées de « nouveaux arrivants venus des zones urbaines […] animés d’un vif appétit d’entreprise et parfois de convictions écologiques modérées et commercialisables1 Â» ?

 

Accélération des classements et des labellisations

Localement, la concurrence en termes d’attractivité est rude puisque l’enjeu est finalement partout le même : inciter le visiteur de passage à rester un peu plus longtemps, à consommer et à dormir sur place. Cette compétition conduit la plupart des territoires à inventer et à construire leur singularité et leur économie touristique essentiellement à partir de leur potentielle richesse patrimoniale, articulée à des programmations événementielles ou culturelles sous la forme de fêtes, festivals, expositions, interventions et résidences artistiques, au cours desquels les touristes feront l’expérience de ce fameux « art de vivre à la française Â». Et depuis quelques années, la notion de patrimoine s’est encore élargie, qui ne s’applique plus seulement à des objets, des bâtiments ou des paysages, mais aussi des métiers, savoir-faire, spécialités culinaires. L’accélération des classements (par l’Unesco, l’Europe, l’État) et des labellisations donne le tournis : quelles sont encore les portions du territoire qui en réchappent ?

Ce phénomène de patrimonialisation accélérée a été très précisément décrit dans l’ouvrage Enrichissement2, publié l’année dernière et écrit par les sociologues Luc Boltanski et Arnaud Esquerre, qui ont examiné à la loupe les conséquences du passage d’une économie de la production de biens matériels à une économie de la valorisation et de l’exploitation du passé.

Un des chapitres les plus stimulants de l’ouvrage examine l’impact de ce phénomène patrimonial sur les métiers de la culture. Produire de la valeur, mettre en valeur, raconter la valeur des territoires mobilise en effet de nombreuses professions de la culture et de la création. La promotion des nouvelles destinations rurales ne commençant que lorsque leur mise en narration est maîtrisée, scénarisée, mise en scène, elle mobilise des compétences multiples au sein d’équipes de maîtrise d’œuvre dont le générique s’allonge à mesure.

La place de l’architecture dans cette valorisation touristique des territoires ruraux constitue donc le thème de ce dossier, ouvrant les pages qui suivent aux témoignages et aux réalisations. Labellisation et mise en valeur des sites génèrent en effet ces programmes architecturaux spécifiques que sont les parcours et centres d’interprétation. Généralement modestes dans leurs budgets et leurs surfaces, car financés le plus souvent par des intercommunalités ou des filières de production locales, ces équipements placent l’émotion et l’expérience sensorielle au cœur de leur projet muséographique. Ils requièrent des équipes de conception pluridisciplinaires, dans lesquelles le paysagisme, la scénographie et les animations numériques jouent un rôle central.

Entre expression compassée des patrimoines locaux à célébrer et course à l’exubérante singularité existe une troisième voie, exigeante corde raide sur laquelle se tiennent les quelques beaux exemples montrés dans ces pages.

 

1. Michel Houellebecq, La Carte et le Territoire, Paris, Flammarion, 2010.

2. Luc Boltanski et Arnaud Esquerre, Enrichissement, une critique de la marchandise, Paris, Gallimard, NRF Essais, 2017.

 

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