Le Petit train des vignobles de Champagne |
Dossier réalisé par Soline NIVET Qui l’ignore encore ? Le tourisme
représente 10 % de l’économie globale et fait vivre des centaines de
millions d’individus sur notre planète. La France maintient son rang de
première destination mondiale, mais de justesse, car la concurrence devient de
plus en plus rude. Même si, avec ses 82,6 millions de touristes
internationaux par an, l’Hexagone compte déjà bien plus de visiteurs que de
résidents, l’ambition du plan Tourisme du gouvernement est de porter ce
nombre à 100 millions à l’horizon 2020 avec un autre objectif :
prolonger la durée moyenne des séjours et favoriser leur répartition sur les territoires,
et notamment dans les territoires ruraux. |
Le grand
chelem des sites français les plus visités ne change pas, et ce depuis des
années : Paris et Disneyland Paris restant très largement en tête, suivis loin
derrière par la région Provence-Alpes-Côte d’Azur en seconde position. Et
tandis que les métropoles rivalisent de stratégies pour attirer les
city-breakers (ceux qui profitent des liaisons TGV, du maillage aérien low-cost
européen et des offres Airbnb pour multiplier leurs week-ends cool, culturels
et festifs), villes moyennes et campagnes s’attachent à intensifier leur mise
en tourisme.
Valoriser
les particularités locales… tout en confortant la « marque France »
Tout en
valorisant des « particularités » (des sites, des panoramas, des
patrimoines, des économies ou des circuits), ces initiatives locales s’inscrivent
aussi dans une politique nationale qui a proclamé depuis 2015 que l’œnotourisme,
l’écotourisme et le tourisme des savoir-faire artisanaux et gastronomiques sont
des atouts prioritaires pour valoriser la destination hexagonale à l’export. La
construction de l’image et de la lisibilité de la marque France est donc au
cœur de la mission confiée à Atout France (l’Agence de développement
touristique de la France et opérateur unique de l’État pour le secteur) par le
conseil interministériel du Tourisme, qui insiste sur la nécessaire mise en
convergence des politiques touristiques et patrimoniales.
Labels
et subventions à la clé, le paysage rural poursuit-il donc inexorablement la
mue annoncée par Michel Houellebecq dans La
Carte et le Territoire d’une France « n’ayant guère à vendre que
des hôtels de charme, des parfums et des rillettes – ce qu’on appelle un
art de vivre », et dont les campagnes entièrement converties à l’économie
touristique sont repeuplées de « nouveaux arrivants venus des zones
urbaines […] animés d’un vif appétit d’entreprise et parfois de convictions
écologiques modérées et commercialisables1 » ?
Accélération
des classements et des labellisations
Localement,
la concurrence en termes d’attractivité est rude puisque l’enjeu est finalement
partout le même : inciter le visiteur de passage à rester un peu plus
longtemps, à consommer et à dormir sur place. Cette compétition conduit la
plupart des territoires à inventer et à construire leur singularité et leur
économie touristique essentiellement à partir de leur potentielle richesse
patrimoniale, articulée à des programmations événementielles ou culturelles
sous la forme de fêtes, festivals, expositions, interventions et résidences
artistiques, au cours desquels les touristes feront l’expérience de ce fameux
« art de vivre à la française ». Et depuis quelques années, la notion
de patrimoine s’est encore élargie, qui ne s’applique plus seulement à des
objets, des bâtiments ou des paysages, mais aussi des métiers, savoir-faire,
spécialités culinaires. L’accélération des classements (par l’Unesco, l’Europe,
l’État) et des labellisations donne le tournis : quelles sont encore les
portions du territoire qui en réchappent ?
Ce phénomène
de patrimonialisation accélérée a été très précisément décrit dans l’ouvrage Enrichissement2,
publié l’année dernière et écrit par les sociologues Luc Boltanski et Arnaud
Esquerre, qui ont examiné à la loupe les conséquences du passage d’une économie
de la production de biens matériels à une économie de la valorisation et de l’exploitation
du passé.
Un des
chapitres les plus stimulants de l’ouvrage examine l’impact de ce phénomène
patrimonial sur les métiers de la culture. Produire de la valeur, mettre en
valeur, raconter la valeur des territoires mobilise en effet de
nombreuses professions de la culture et de la création. La promotion des
nouvelles destinations rurales ne commençant que lorsque leur mise en narration
est maîtrisée, scénarisée, mise en scène, elle mobilise des compétences
multiples au sein d’équipes de maîtrise d’œuvre dont le générique s’allonge Ã
mesure.
La place
de l’architecture dans cette valorisation touristique des territoires ruraux
constitue donc le thème de ce dossier, ouvrant les pages qui suivent aux
témoignages et aux réalisations. Labellisation et mise en valeur des sites génèrent
en effet ces programmes architecturaux spécifiques que sont les parcours et
centres d’interprétation. Généralement modestes dans leurs budgets et leurs
surfaces, car financés le plus souvent par des intercommunalités ou des
filières de production locales, ces équipements placent l’émotion et l’expérience
sensorielle au cœur de leur projet muséographique. Ils requièrent des équipes
de conception pluridisciplinaires, dans lesquelles le paysagisme, la
scénographie et les animations numériques jouent un rôle central.
Entre
expression compassée des patrimoines locaux à célébrer et course à l’exubérante
singularité existe une troisième voie, exigeante corde raide sur laquelle se
tiennent les quelques beaux exemples montrés dans ces pages.
1.
Michel Houellebecq, La Carte et le
Territoire, Paris, Flammarion, 2010.
2. Luc Boltanski et Arnaud
Esquerre, Enrichissement, une critique de
la marchandise, Paris, Gallimard, NRF Essais, 2017.
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