L’ancien siège des Assurances Générales de France réalisé par les architectes Joseph Belmont et Pierre-Paul Heckly à Paris, en 1979 |
Dossier réalisé par Karine DANA |
La situation actuelle est en effet toujours favorable aux opérations de démolition/reconstruction ou de constructions neuves jugées plus rentables par les promoteurs et les investisseurs, même si certains d’entre eux cherchent toutefois à minimiser leurs prises de risque en répondant à des besoins de surfaces neuves sans augmenter le taux de vacance des bureaux. Cette inflexion impliquerait, selon Christian Terrassoux, président de la Fédération des promoteurs immobiliers d’Île-de-France, de relier plus directement le marché des bureaux neufs à celui du renouvellement. Les promoteurs seraient aujourd’hui contraints de moins construire qu’auparavant. Mais fin 2015, ils proposaient encore à la vente 452 000 m2 en cours de construction, 600 000 m2 de bureaux déjà achevés et 1,1 million de mètres carrés en projets. Des années 2003 à 2013, où près de 10 millions de m2 de bureaux supplémentaires ont été construits en Île-de-France, découle un déséquilibre du marché des bureaux, toujours sensible. Celui-ci est la « conséquence d’une production de bureaux trop largement fondée sur le développement de sites tertiaires nouveaux et pas assez sur le renouvellement de l’existant », indiquait en 2014 une étude de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Île-de-France.
Au-delà de la plus grande maîtrise des chantiers, des coûts et du temps qu’elle est censée favoriser, l’insidieuse mécanique de démolition/reconstruction n’a-t-elle pas pour objectif de permettre aux promoteurs et investisseurs de densifier les parcelles et d’augmenter ainsi leur potentiel locatif ? On est cependant en droit de se demander si les voies de la densification par transformation de l’existant sont toujours explorées. À ce titre, la démolition d’un ensemble immobilier en parfait état réalisé par les architectes Joseph Belmont et Pierre-Paul Heckly rue de Richelieu à Paris est symptomatique de ces scénarios trop courants qui visent particulièrement le parc immobilier des années 1980. « Le surcoût du neuf par rapport à la rénovation avoisine 12 à 14 millions, toutefois ce choix s’avère le meilleur. Même s’il ne date que de 1979, l’immeuble actuel n’est plus adapté ni aux besoins ni aux standards internationaux de bureaux. Sur la même parcelle, le futur ensemble qui disposera d’une triple certification environnementale devrait pouvoir accueillir presque deux fois plus de salariés, soit 2 500 postes de travail », explique Olivier Wigniolle, le PDG d’Allianz Real Estate France, qui pilote la démolition/reconstruction. Propriétaire des lieux, la compagnie d’assurances – qui va déménager à la Défense et ne sait pas encore qui occupera le nouveau bâtiment en 2018 ni qui achètera le nouvel ensemble conçu par Anthony Bechu – avait envisagé deux scénarios : réhabilitation lourde et démolition/reconstruction.
Complaisance politique
Dans ce contexte purement spéculatif, la transformation du parc immobilier existant n’est pas encouragée et les municipalités peinent à faire pression sur les entreprises toujours très attendues. Le tout récent scandale de Novartis à Rueil-Malmaison en présente une illustration criante de désinvolture. Menaçant la ville de Rueil de se retirer s’il ne lui était pas accordé l’autorisation de démolir-reconstruire le bâtiment signé par les architectes Zehrfuss-Burckhardt-Prouvé-Perriand qu’elle occupait, la firme a finalement obtenu gain de cause. Mais après avoir démoli cet édifice manifeste des années 1960 dans le but de densifier la parcelle, la société a finalement renoncé à ce projet, jugeant qu’il n’était plus judicieux d’investir en France.
L’absence de valeur accordée au parc existant comme à l’intelligence des situations de transformation par les politiques qui continuent de récompenser de labels environnementaux des opérations de démolition/reconstruction est aussi responsable de ce gâchis. Les représentants politiques semblent démunis face à la problématique de la sous-occupation du parc tertiaire, d’autant plus délicate qu’il manque des millions de logements en France. « Transformer 250 000 m2 de bureaux en logements », tel était l’objectif de la mairie de Paris début 2015 et, selon l’APUR, 840 000 m2 de bureaux parmi les 18 millions recensés à Paris seraient transformables en logements… Malgré des mesures incitatives, la mise en place d’une réelle politique de transformation se fait toujours attendre.
Penser autrement la structure
Défendre et encourager une politique de transformation et de réhabilitation de bureaux est plus qu’indispensable aujourd’hui quel que soit le jugement porté sur le parc immobilier des quarante dernières années, auquel on reproche souvent et bien hâtivement le manque de potentiel d’évolutivité. Il faut chercher des solutions.
Les cinq projets présentés dans ce dossier constituent autant d’exemples de réemploi. Le bâtiment existant peut être un immeuble de bureaux qu’il s’agit de faire évoluer ou bien un édifice industriel reconverti en espaces tertiaires. Le niveau de pertinence des opérations dépend bien sûr du degré de lourdeur des interventions. Et l’on pourra sentir à quel point les équilibres financiers de ces projets sont parfois fragiles. Renforcé par les propos de maîtres d’ouvrage, ce constat montre les difficultés que connaissent les architectes lorsqu’il faut transformer ou réhabiliter un existant à moindre coût en l’adaptant aux normes énergétiques et PMR actuelles.
En plus d’offrir de nouveaux potentiels de situations de travail, encourager la transformation permet de tempérer la production de bureaux en blanc. En effet, tout projet d’adaptation à l’existant doit être supporté par un usager et un projet d’entreprise forts. « Travailler le projet avec un futur occupant vous donne les moyens de vous battre auprès d’un promoteur », explique Frédéric Jung, architecte de la transformation des anciens magasins des douanes à Pantin en bureaux pour l’agence de publicité BETC-Euro-RSCG. À Rémi Babinet – directeur et cofondateur de la célèbre agence – de répondre : « Nous nous sommes notamment battus sur la question de la valeur du vide et de la transparence : faire accepter l’idée de supprimer quelques mètres carrés pour augmenter les connexions et de maintenir la transversalité et la lisibilité de l’ensemble. » Cette opération montre à quel point une entreprise peut être bénéficiaire en partant d’un patrimoine existant exploité dans toute sa disponibilité structurelle, en totale adéquation avec ses besoins de communication et d’interactions entre salariés. Portée par un utilisateur engagé, la transformation de cet ensemble présente ici une réflexion sur la compétence initiale d’une structure à être réenvisagée, redécouverte.
Cette attention aux capacités d’adaptation du patrimoine construit trouve aujourd’hui des prolongements intéressants dans le cadre de recherches menées sur le potentiel de réversibilité des bâtiments neufs : continuer à construire des bureaux, soit, mais construire réversible et fabriquer un potentiel de transformation en situation neuve. Développées en réaction aux forts taux de vacance et à la difficulté éprouvée à faire évoluer le parc existant des dernières années, ces intentions visent à rompre avec les cycles de démolition/reconstruction et à impliquer davantage les promoteurs dans les réflexions architecturales. Comme nous la présente l’architecte Patrick Rubin, l’étude « construire réversible » menée avec Vinci Construction et Génie des Lieux, porte sur la problématique cruciale de réversibilité des bureaux en logements. Ce champ de réflexion repose sur une indépendance de la notion de programme vis-à -vis de la structure. La réalisation à compte d’auteur du bâtiment 2226 dans le Vorarlberg par l’agence Baumschlager et Eberle en décline une autre approche. À l’occasion d’un entretien, Dietmar Eberle nous explique pourquoi il est favorable à la construction de bâtiments à très longue durée de vie, indépendamment de toute préfiguration programmatique. Et selon lui, on ne devrait tout simplement plus entendre parler de bâtiments de bureaux. Une assertion qui, si elle peut apparaître radicale a priori, se révèle pertinente lorsqu’elle est portée par une architecture capable.
1. Selon l’Observatoire régional de l’immobilier d’entreprise (ORIE), sur les 3,9 millions de mètres carrés de bureaux aujourd’hui vides en Île-de-France, 2,2 millions sont difficiles à louer. Et près de 1,2 million sont vacants depuis plus de trois ans.
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N° 248 - Octobre 2016
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