La fin de l’immeuble de bureaux ? - Entretien avec Patrick Rubin : « Habiter ou travailler dans un bâtiment peut être abordé suivant une culture commune »

Rédigé par Karine DANA
Publié le 21/09/2016

Épaisseur du bâtiment

Dossier réalisé par Karine DANA
Dossier publié dans le d'A n°248 Plusieurs études convoquant architectes et promoteurs sont aujourd’hui lancées dans le but de réfléchir aux potentiels de réversibilité d’un bâtiment en situation neuve. L’architecte Patrick Rubin, de l’atelier Canal – l’agence s’était fait connaître dès 1987 en réhabilitant un ancien garage pour y installer les bureaux du journal Libération –, nous explique le cheminement de sa démarche, qui privilégie cette fois la transition d’un programme de bureaux en logements.

Vous menez aujourd’hui une étude pour Vinci Construction portant sur la réversibilité des bâtiments de bureaux, pouvez-vous nous expliquer les fondements de votre démarche ?

Nous travaillons sur des projets de transformation depuis les débuts de l’agence Canal et j’ai d’ailleurs monté un séminaire sur le sujet à l’École d’architecture de Marne-la-Vallée. Il y a une trentaine d’années déjà, nous réhabilitions l’ancien garage de la rue Béranger à Paris, dans lequel le journal Libération s’installait. Cette structure industrielle, dont nombre des planchers étaient en très légère pente, pouvait contenir des voitures et des journalistes. Mais aujourd’hui – notamment du fait des normes PMR –, réinstaller ainsi des médias libres serait bien difficile… Ce projet est cependant resté fondateur, car il nous a permis de mesurer combien il était important de partir de l’intelligence d’un système constructif et à quel point cette capacité pouvait porter à conséquence sur la qualité des espaces intérieurs. En ce sens et dans le cadre d’une réflexion élargie au logement, à la santé et à l’éducation, nous nous sommes interrogés sur l’intérêt des propriétés structurelles de toute construction neuve, et notamment sur le potentiel des structures poteaux-poutres plutôt que des systèmes pleins à refends, beaucoup plus contraignants.

Au-delà de devoir répondre à un programme donné, un bâtiment est susceptible de servir plusieurs fois, d’avoir plusieurs vies. Une résidence pour étudiants, sportifs ou personnes âgées n’existe pas ! Il nous semble plus pertinent de concevoir un bâtiment générique afin qu’il contienne en lui les germes de sa propre reconversion et de dépasser sa destination première en rendant indépendante la relation programme/structure. Dans cette optique, nous menons une recherche avec Vinci Construction et Génie des Lieux sur la réversibilité des bâtiments neufs, de l’immeuble de bureaux vers l’immeuble de logements. Nous travaillons sur l’idée d’un système constructif industrialisé reposant sur la souplesse et la générosité d’une trame poteau-dalle de grande portée, avec poutres noyées, un principe finalement proche du système Dom-Ino.


Comment faire pour concilier les programmes bureaux et logements ?

Cette étude a démarré sur les bases d’une programmation tertiaire – les deux programmes n’étant pas amenés à se superposer d’un étage à l’autre. Et nous avons réfléchi à une manière de concevoir des bureaux et des logements suivant les mêmes critères et la même matrice en ayant en tête d’en augmenter les qualités d’habitabilité. Penser un programme de bureaux et de logements conjointement a d’ailleurs facilité certaines prises de décisions auxquelles il aurait été très difficile d’accéder dans un contexte de production traditionnel. Certains standards ont donc été remis en cause, comme le fait de porter la hauteur des planchers à 2,70 m, par exemple. Pour les bureaux, cela implique qu’ils ne soient plus équipés de faux planchers et faux plafonds, mais d’une dorsale centrale. Or, construire en réseaux apparents est un principe intégré de tous, aujourd’hui. Cette intention de baisser les hauteurs de planchers – sans imputer l’espace, mais au contraire en le soustrayant à toute stratégie de doublage – permet de gagner une hauteur d’étage à partir du quatrième niveau, comparativement à ce que permettent les modes constructifs habituels des bâtiments de bureaux. C’est un argument fort… Et d’autre part, offrir 2,70 m sous plafond à des logements modifie sensiblement leurs qualités d’espace, de lumière et de ventilation. Des propriétés d’autant plus appréciables que nombre d’individus travaillent aujourd’hui chez eux. Le fait d’habiter ou de travailler dans un bâtiment peut ainsi être abordé suivant une culture commune. Dans cette optique, il est temps de tenir compte des changements de société.

Surtout, nous avons remis en question le fameux standard des 18 m d’épaisseur qui caractérise tant de bâtiments tertiaires de l’Ouest parisien. En effet, cette largeur implique de placer salles de réunion et circulations au centre du plateau, mais prive les bureaux d’un grand espace libre de façade à façade. En rapportant cette cote à 13,50 m et en logeant les circulations verticales en périphérie, les planchers peuvent ainsi devenir de grands plans libres et se destiner indifféremment à un programme d’hôtels, de bureaux ou de logements. Et en ajoutant des coursives autour des bâtiments, nous répondons aux contraintes de sécurité et d’entretien des logements comme à celles des bureaux, et offrons de surcroît un vrai bénéfice d’usage.

Nous assumons parfaitement l’idée d’un bâtiment générique, mais celui-ci doit avoir la capacité à se transformer en permanence. Et le mot « générique Â» ne signifie pas « uniformité Â». Chaque architecte, chaque acteur doit s’en emparer pour produire de la singularité.


La situation actuelle est-elle favorable à la concrétisation de ces propositions ?

Oui, tout à fait ! Notre agence n’est d’ailleurs pas la seule à réfléchir à l’idée de constructions réversibles. C’est une réflexion partagée par tous actuellement, notamment parce qu’elle rejoint des préoccupations liées à la durabilité. Cette initiative est d’autant plus à propos pour des constructions situées en troisième couronne, à l’échelle du projet du Grand Paris, vis-à-vis duquel Vinci est bien positionné. Les élus des communes veulent en effet attirer des entreprises pour bénéficier des produits sur les taxes professionnelles. S’il est bien sûr plus simple de trouver investisseurs et leviers financiers dans l’immobilier de bureaux plutôt que dans le secteur du logement, nul ne peut cependant garantir la réussite d’une mise sur le marché. L’argument de la réversibilité des bâtiments de bureaux en logements permet donc de pallier l’éventuel insuccès qui menace toutes les communes à en croire les taux de vacances, et particulièrement les plus reculées.

Notre proposition est bien sûr susceptible d’évoluer grâce aux usages et confrontations auxquels elle fera face, mais toujours est-il que ce travail sur les modes constructifs participe à déplacer le regard, à désintéresser les acteurs du projet vis-à-vis de l’image et de la forme bâtie. Une avancée importante à l’égard de toute construction que l’on aura ainsi peut-être moins tendance à casser et à vouloir remplacer. En ce sens, nous offrons une réflexion critique en proposant des bâtiments neufs réversibles dont la transformation sera facile et légère. Cela consistera par exemple à intervenir sur des composants de façades ou sur le second œuvre. On ne peut que regretter les démolitions/reconstructions qui touchent les bâtiments de bureaux aujourd’hui, mais réhabiliter coûte très cher, notamment parce que les constructions n’ont pas été conçues pour évoluer.



Lisez la suite de cet article dans : N° 248 - Octobre 2016

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