La fin de l’immeuble de bureaux ? - Entretien avec Dietmar Eberle : On ne peut plus se limiter à « des immeubles de bureaux »

Rédigé par Karine DANA
Publié le 20/09/2016

Bâtiment 2226 réalisé par l’agence Baumschlager et Eberle dans le Vorarlberg

Dossier réalisé par Karine DANA
Dossier publié dans le d'A n°248 S’il est évident que toute démolition constitue une perte définitive pour la ville, comment construire encore aujourd’hui et pour quelle durée de vie ? Face à cette question, l’architecte Dietmar Eberle revient sur l’importance de penser la longévité d’un bâtiment et de ne jamais préjuger de sa programmation.


Vous défendez depuis toujours une approche de la longévité des bâtiments. Pouvez-vous détailler votre pensée ?

Il faut aujourd’hui revenir sur la question de la finalité d’un bâtiment, sur son positionnement dans le temps. Quels que soient le contexte économique et les conditions de production, je pense qu’il faut construire pour une très longue vie. Or les constructions de ces soixante dernières années ne répondent pas à cette dimension. Ils sont prévus pour durer quarante ou cinquante ans suivant les attentes en matière de rentabilité.

Je pense que l’on devrait considérer cinq « niveaux de durée de vie Â» au sein d’un bâtiment. En premier lieu : la destination d’usage social du bâtiment. Cela devient la question clé pour accorder au bâtiment une longévité, deux cents ans et plus… Le second niveau de durée de vie, qui peut atteindre cent ans, concerne la structure, et peut aussi intéresser l’organisation verticale du bâtiment. Le cadre temporel suivant regarde l’enveloppe ou la façade du bâtiment. Leur durée de vie approximative est de cinquante ans environ. La manière dont est utilisé le bâtiment, sa partition d’usage, correspond à ce que j’appelle le quatrième niveau de durée de vie. Ce contenu peut durer dix à vingt ans. Le temps d’une génération. La dernière catégorie concerne les surfaces et l’équipement technique : dix à quinze ans. Selon cette analyse, un bâtiment de bureaux qui a une durée de vie d’une vingtaine ou d’une trentaine d’années n’est pas un bâtiment « rationnel Â».


Mais alors qu’est-ce qu’un bâtiment de bureaux ?

Il est admis de considérer en Europe qu’un bâtiment de bureaux est une construction qui accueille des bureaux pour une génération ou deux. À partir du moment où l’on a répondu à ce besoin, on démolit le bâtiment ! Si, d’un point de la vue économique, ce raisonnement pouvait dans un premier temps sembler intéressant, d’un point de vue écologique, c’est une catastrophe. Il s’agit d’un gaspillage direct d’argent, de capacité et d’énergie. Nous sommes aujourd’hui dans cette situation, car nous avons pensé que la destination déterminait la forme et l’organisation d’un bâtiment. Nous avons beaucoup construit dans cette optique. Au XIXe siècle, la notion d’usage n’existait pas vraiment en architecture. Le développement de la programmation est un héritage du modernisme et appartient au XXe siècle, très concentré sur les questions répétitives et quantitatives. Or aujourd’hui, on se rend compte à quel point raisonner sur le seul critère de la fonction a encouragé à construire à court terme et à démolir pour remplacer. Lorsqu’on a conscience de cela, on peut ne plus s’attacher à construire « des immeubles de bureaux Â».


Il y a aujourd’hui une surproduction de bureaux, mais nous continuons d’en construire ou nous les démolissons pour les reconstruire, au lieu d’occuper le parc qui existe… L’obsolescence des bâtiments n’est-elle pas clamée un peu trop vite ?

Je suis complètement d’accord avec vous : nous avons été trop rapides à démolir. Cependant, certains arguments sont à analyser. Il faut reconnaître que le potentiel de transformation des bâtiments construits ces cinquante dernières années est limité. Il y a des bâtiments que l’on peut transformer, mais ils sont peu nombreux. Leur capacité d’accueil est un problème. La plupart du temps, rénover un bâtiment de bureaux coûte plus cher que de détruire et reconstruire un nouvel immeuble. Donc la question est – et c’est une question compliquée – démolir ou ne pas démolir ?

Sur un plan écologique, tout ce qui n’est pas rénové constitue une grosse perte. Mais sur un plan purement économique, il est souvent plus intéressant de démolir et de reconstruire neuf. Et aujourd’hui, il y a plus de bâtiments démolis que de bâtiments rénovés.

Nous devons actuellement nous demander : comment construire et qu’allons-nous faire dans les bâtiments, afin de ne pas reproduire les mêmes erreurs ? À ce sujet, nous venons de publier un ouvrage sur la réalisation du bâtiment 22261 à Lustenau, dans le Vorarlberg. Ce bâtiment fonctionne sans chauffage, ni système de refroidissement, ni ventilation mécanique. Il relève d’une réflexion affranchie vis-à-vis de l’idée de programme au profit des conditions physiques de l’immeuble et de stratégies d’optimisation. Cette approche revient à développer des vraies qualités de luminosité, de solidité et de distribution.

Il faut aujourd’hui se battre pour atteindre de très hauts niveaux de confort. Cela concerne la température, l’humidité et la qualité de l’air. Se battre pour des systèmes techniques décentralisés capables de prendre en compte l’impact de l’apport énergétique des personnes dans un bâtiment, et ne plus seulement établir un niveau de confort intérieur suivant les variations des températures extérieures. En effet, 80 % des facteurs du changement de température intérieure sont liés aux usagers eux-mêmes… Pour optimiser le confort et le bien-être intérieurs, nous interrogeons la capacité d’autogestion d’un bâtiment. Et suivant des actions simples pilotées par un logiciel – ouverture et fermeture automatique d’une fenêtre, abaissement d’un éclairage électrique –, nous proposons que chaque espace soit capable de réagir indépendamment du reste du bâtiment, qu’il s’agisse d’un appartement, d’un restaurant, d’une église ou d’une galerie d’art… Ainsi, grâce à cette finesse du contrôle des ambiances, un bâtiment peut accueillir toutes sortes de programmes.


Comment le système constructif du bâtiment 2226 de Lustenau a-t-il été abordé ?

Le bâtiment a été conçu selon sur une double intention : ce qui est horizontal est réalisé en béton, et ce qui est vertical est constitué de briques et de verre. Très simple, ce système permet d’obtenir des bâtiments solides à l’intérieur desquels tout peut être modifié un certain nombre de fois. Ce que vous allez y mettre n’a plus d’importance, ce que vous y trouvez, c’est ce que vous cherchez…

Il est utile de rappeler que la performance énergétique des bâtiments anciens – construits suivant les propriétés du site, du climat, de l’environnement – est supérieure à celle des nouveaux bâtiments. Le XXe siècle a cru que nous pouvions remplacer l’expérience et le savoir architectural par la technologie moderne. Mais cela a conduit à un développement impossible et à compenser les erreurs ainsi commises par une surenchère de moyens techniques. Cela nous a menés tout droit aux problématiques énergétiques actuelles. Et c’est à cette situation complexe que nous sommes confrontés aujourd’hui.


Entretien réalisé par Karine Dana


1. 2226 concerne la température intérieure d’un bâtiment : pas moins de 22 Â°C en hiver et pas plus de 26 Â°C en été.

L’ouvrage 2226, Die Temperatur der Architektur, par Dietmar Eberle et Florian Aicher vient de paraître aux Éditions Birkhäuser.


Lisez la suite de cet article dans : N° 248 - Octobre 2016

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