Maison Ara Pytu |
Dossier réalisé par Marie-Hélène CONTAL « Lorsque j’étais enfant au Paraguay, je me cachais sur les chantiers où j’aidais à faire le mortier. Étudiant, j’apprenais tout seul à construire dans mon coin. À l’université, j’en savais déjà beaucoup en matière de construction. Je ne sais pas vraiment quand j’ai commencé l’architecture. Lorsque j’ai été diplômé, je suppose ? En 1994. » Depuis cette date, José Cubilla a construit, avec les maçons guaranis, de très nombreuses maisons, qui ont été le laboratoire de ses recherches sur la qualité d’habiter. Diplômé de l’Université nationale d’Asunción, il a ensuite étudié l’architecture contemporaine à la Católica d’Asunción puis le projet expérimental à l’université del Nordeste en Argentine. Victor Pelli et Solano BenÃtez ont été ses professeurs. Il enseigne aujourd’hui à l’UNA à Asunción, au sein du Studio E, très célèbre en Amérique latine depuis qu’il a été créé en 1994 par Juanchi Giangreco et Solano BenÃtez, alors que le Paraguay peinait à se reconstruire après la chute de la dictature en 1989. S’y forme une nouvelle génération d’architectes. |
Parmi ses maisons, la maison Ara Pytu (2016) surprend, tant à première vue seule la nature semble présente. C’est qu’au-delà de la matière et de la démonstration constructive, la maison devait offrir la plus grande liberté possible à la nature pour qu’elle s’approprie et construise l’espace. L’architecture de José Cubilla ne cherche pas à tout prix le premier rôle, elle laisse place à l’expérience de l’habiter. Pour la vivienda Takuru (2018), qui ne bénéficie pas d’une nature aussi exubérante, l’approche a été plus tectonique. Les techniques vernaculaires sont appliquées de manière contemporaine pour, à nouveau, bâtir une expérience de l’habiter. Une maison qui ne pouvait pas être construite ailleurs : elle est faite avec les matériaux que l’architecte a trouvés sur place et qu’il reconfigure : voûtes en briques, murs en pisé et colonnes en bois de quebracho.
À présent qu’il s’est forgé sa propre grammaire constructive et esthétique, José Cubilla entreprend de construire en ville, et d’abord à Asunción. Il est très lucide sur le fait que les architectes ont perdu toute capacité d’agir dans la ville : « Nous nous sommes autorelégués et, ce faisant, nous avons relégué l’architecture. Le seul vainqueur est le marché. » Sa stratégie est d’attaquer le système de l’intérieur – attitude à la fois résolue et pragmatique, typique de ces architectes latino-américains. Lorsqu’il explore par exemple le sujet de l’habitat collectif, il ne le fait pas par la commande publique (il n’y a quasiment pas de concours au Paraguay) mais relève le défi avec la promotion privée. Son premier projet a été l’immeuble San Francisco, achevé en 2013. Les leçons qu’il tire de ses maisons sont visibles : l’immeuble, imposant, a pourtant une échelle profondément domestique. Il livre en 2020 l’immeuble Valois, remarquable par la puissante matérialité de ses façades en terre. L’architecte a encore plus cherché à rapporter l’expérience rurale à la ville – ici par ces murs en terre qui offrent le meilleur confort thermique – en même temps qu’il joue avec l’archétype de l’immeuble-villa.
Maison Ara Pytu, Surubi’i, Paraguay, 2016
Architectes : José Cubilla, avec Dahiana Núñez, Salma Abraham et Jorge Augusto Noreña
En langue guaranie, arapytu signifie « atmosphère ». Ara (espace) est aussi le jour et le temps météorologique. Pytu (respiration) signifie aussi pénombre. Un architecte aussi sensible aux qualités haptiques et tactiles de la matière que José Cubilla sait convoquer les ressources immatérielles pour donner ombre et intériorité à cette maison de 340 m2 dans une grande porosité avec la nature.
À trente minutes d’Asuncion, le site est en bordure d’une forêt luxuriante. Cubilla a posé sur le terrain un plan rectangulaire puis il l’a matérialisé sous la forme d’une plateforme longue et large qui devait être lisse « comme une pierre ». Elle délimite l’espace des êtres humains. Le programme y est décomposé en cinq unités, qui s’ouvrent chacune en U vers la nature et offrent une possession spatiale à la fois démultipliée et légère.
L’air circule entre les unités, les habitants jouissent de la même fluidité, grâce au dallage lisse, composé de déchets de carrière récupérés puis assemblés par de savants artisans. La plateforme se prolonge en terrasse. Les parois-écrans qui enclosent les unités sont construites en briques moulées sur place.
Un grand toit plat à débords répond à la plateforme. Il contribue à l’inertie thermique, végétalisé en potager, comme dans l’habitat populaire latino-américain. Il dissimule aussi la maison dans la forêt et il « récupère de l’oxygène ». Ara Pytu parvient ainsi à s’inscrire comme archétype de maison moderne sans pour autant renoncer à ses qualités vernaculaires.
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