Mama Works à Lille |
Dossier réalisé par Maryse QUINTON Si la pandémie a largement accéléré la mutation des modes de travail, celle-ci était déjà néanmoins bien amorcée. Parmi les conséquences de cette crise sanitaire, la transformation des hôtels en lieux de travail qui, pour rentabiliser leurs mètres carrés et combler la baisse considérable des nuitées, ont ouvert un peu plus grand leurs portes, notamment aux télétravailleurs. Leur atout principal ? Les services et la flexibilité qui ne sont autres que les maîtres-mots des modes de travail contemporains. Le phénomène est-il passager  ? Il semble en tout cas que l’on ne travaillera plus exactement comme avant. |
Parmi les évolutions majeures que le monde du travail a connues récemment figure en premier lieu l’explosion des nouvelles technologies, qui a permis l’émergence du nomadisme professionnel. Travailler partout et tout le temps : rien d’inédit dans les domaines d’activité qui le permettent. La limite entre vie professionnelle et vie privée est redevenue floue et l’accélération massive du télétravail, longtemps à la traîne en France, a renforcé l’attractivité des tiers-lieux qui se sont multipliés depuis ces dernières années.
Parmi les conséquences de cette situation sanitaire sans précédent, une grande majorité des hôtels a fermé ses portes – quant à ceux qui sont restés ouverts, ils ont vu leur fréquentation s’effondrer. En juin 2020, les hôtelleries voyaient leur nombre de nuitées baisser de 73 % par rapport à juin 2019 (INSEE Focus, 31/08/2020). Un an plus tard, le recul reste de 65 % toutes gammes confondues (In Extenso, février 2021) sur les deux premiers mois de l’année par rapport à 2020. Les hôtels sont alors nombreux à avoir tenté de compenser la perte de la clientèle dite « hébergée » en transformant leurs locaux en espaces de cotravail. Si le phénomène est à observer à l’aune de la crise, il augure probablement une transformation plus profonde. Difficile en effet d’imaginer que les entreprises ne revoient pas leur stratégie en matière d’immobilier. Elles vont nécessairement se poser la question de la nécessité de tous ces mètres carrés partiellement ou non utilisés. Mais ne pas venir au bureau ne signifie pas obligatoirement travailler chez soi. On a vu ces dernières années se multiplier les adresses de cotravail ciblant certes les travailleurs indépendants mais aussi les entreprises.
Si chacun essaye de se différencier, la sémantique est néanmoins toujours la même : services agiles, flexibilité et souplesse, ambiance chaleureuse, design à tous les étages, proximité du domicile, espaces inspirants, bulle bienfaisante ou agora stimulante… Parmi ces tiers-lieux où l’on déplace son bureau figurent également, dans une moindre mesure, les hôtels. Avec plus de 18 000 établissements en France, ce maillage du territoire se révèle particulièrement intéressant à exploiter et à valoriser. D’autant plus que l’implantation des espaces de coworking se concentre aujourd’hui essentiellement dans les grandes villes, à quelques exceptions près, ce qui exclut une partie importante de la population.
Cela fait quelques années que les hôtels accueillaient ponctuellement les travailleurs « sans bureau fixe ». Le phénomène fut initié par les hôtels urbains orientés « lifestyle » qui ont émergé il y a une dizaine d’années en France. En 2008, la naissance du premier Mama Shelter dans le 20e arrondissement est à l’époque une petite révolution, initiée par la famille Trigano avec Philippe Starck. Dans son sillage, de nombreux établissements se sont approprié cette idée, en proposant des lieux de vie ouverts sur leur quartier plutôt que de simples endroits où dormir.
Depuis, le groupe a lancé Mama Works, des espaces de cotravail reposant exactement sur les mêmes principes que les hôtels de la marque, parfaite illustration du mélange des genres. Les deux premières adresses sont situées à Lyon et à Lille. On y retrouve tous les codes éculés des start-up : faire du lieu de travail un endroit « comme à la maison » où rien ne ressemble à un bureau – « un lieu de vie où l’on partage bien plus qu’un bureau », nous dit-on. Le soir venu, les lieux deviennent festifs, entre « afterwork » et autres soirées « networking ». Chez Mama Works, on trouve également des douches, une boutique de décoration, une salle insonorisée pour s’essayer à la batterie et l’inévitable baby-foot. Autre adresse pionnière, le BOB Hôtel (acronyme de « Business Entertainment Hôtel ») à Paris revendique être le premier à faire du mélange hôtel et coworking le cœur de son concept. Ils accueillent les travailleurs indépendants durant la journée, individuellement ou en groupe, et hébergent une autre clientèle le soir venu.
Avec cette crise sanitaire, les hôteliers ont effectivement un rôle à jouer. Comment aménager leurs établissements pour capter les nouveaux télétravailleurs ? Et comment faire cohabiter les différentes clientèles ?
Influence réciproque
Durant ces périodes successives de confinement, certains hôtels ont ainsi accueilli des télétravailleurs trop à l’étroit dans leur maison ou leur appartement, ou simplement en quête de tranquillité ou de dépaysement. Car cette pandémie aura vu de nombreuses personnes éprouver les limites de leur logement. À la recherche de calme, le peu de travailleurs qui en ont les moyens ont parfois migré vers l’hôtel d’à côté. Les établissements ont ainsi pu expérimenter leurs attentes de manière empirique. Alors que recherchent ces télétravailleurs lorsqu’ils ne sont pas dans leur entreprise ? Lors d’un webinaire organisé par Actineo, l’Observatoire de la qualité de vie au travail, organisé le 19 novembre dernier sur le thème « L’hôtel réenchante le travail », Marion Flichy, directrice Workplace Strategy chez Haworth, expliquait : « Nous avons besoin de confort de travail, de proximité du domicile, d’avoir une collaboration virtuelle facilitée puisque, à terme, la collaboration se fera de plus en plus dans un mix de virtuel et de présentiel (même si nous sommes tous en virtuel actuellement) mais il est très possible qu’une fois que les conditions sanitaires le permettront, il y ait toujours une partie en présence, une partie à distance. Il y a donc un champ à investiguer sur l’espace de réunion et la manière de collaborer, quel que soit le lieu où on est. Il y a donc d’importantes sources d’innovation à trouver pour l’hôtellerie notamment. Un télétravailleur cherche aussi la surprise, la stimulation et l’inspiration : les hôtels ont ainsi une grande carte à jouer. Si on regarde le phénomène de manière plus large, il va chercher aussi une connexion avec son entreprise, pour maintenir ce lien d’appartenance : c’est vrai pour le télétravailleur comme pour l’entreprise. Si les entreprises sont amenées à réduire leur empreinte immobilière, elles vont tout de même chercher à entretenir ce lien. Donc si elles ont fait un choix drastique sur les réductions de leurs surfaces, elles vont demander à ces fameux tiers-lieux de pouvoir recréer ce lien. On ira dans un tiers-lieu ou un hôtel pour travailler en solo mais aussi, peut-être, pour retrouver d’autres collègues qui habitent à proximité ou partager des événements fédérateurs. Il y a déjà une activité business dans les hôtels mais c’est quelque chose qui va se développer. »
Attirer des clients hébergés mais aussi extérieurs à l’hôtel, c’est en effet le souhait de beaucoup d’hôteliers qui, à dessein, ont un certain nombre d’atouts à faire valoir. Diversifier permettrait d’animer les lobbies généralement déserts durant la journée, mais aussi le spa ou la salle de sport, toujours sous-utilisés. De même la fameuse salle de petit-déjeuner qui ne sert que quelques heures par jour se révèle également un espace à exploiter. Ces qualités en termes d’hospitalité ont d’ailleurs largement inspiré le monde du travail ces dernières années. Entre un lobby d’hôtel ou celui d’une start-up, la frontière est parfois ténue. Le design et l’architecture de ces espaces ont fait irruption dans le monde longtemps austère et gris du travail. Depuis leur apparition, les espaces de cotravail empruntent leurs codes à ceux de l’hôtellerie.
Fondé en 2016 à Paris, The Bureau propose « une nouvelle façon de travailler en phase avec son époque ». Comprendre, « quand je veux » et « sans contraintes ». « La gastronomie tient une place importante dans chacune des adresses The Bureau, toutes possèdent un restaurant avec leur propre chef, pensé comme un véritable lieu de rencontre et de partage », explique Laurent Geneslay, qui a fondé The Bureau après des années passées dans la banque et la finance. Pour sa troisième adresse, The Bureau a fait appel à Franklin Azzi pour restructurer les 3 400 m2 de deux bâtiments de la rue du Quatre-Septembre, bâtiments désormais reconnectés. L’architecte explique d’ailleurs qu’il a puisé son inspiration du côté de l’hôtellerie pour transformer les lieux. C’est un exemple parmi d’autres. Ils sont d’ailleurs nombreux à refuser le terme « coworking », qu’ils jugent trop réducteur. Plus que des espaces de travail, ce sont souvent des lieux de vie qui sont proposés, ou du moins revendiqués, exactement comme dans un hôtel. Le monde du travail s’intéresse à l’hôtel, et réciproquement. Accor a lancé Easyworks dans une partie de ses hôtels Mercure pour travailler à l’hôtel de manière ponctuelle, quelques heures ou à la journée.
Capter une nouvelle clientèle
À Zurich, l’hôtel 25hours n’a pas attendu la pandémie pour proposer une offre atypique. La suite est organisée pour permettre un scénario de travail avec un espace de réunion dédié. Pandémie oblige, la marque propose depuis peu une offre « Home office @ 25Hours Hotel » avec des chambres qui se transforment en bureaux durant la journée : « Bureaux faits maison, wi-fi lent, voisins fêtards : tous les salons ne veulent pas être une pièce de travail. Pour tous ceux qui aspirent à un véritable bureau, voici l’alternative parfaite : nos chambres de télétravail », résume leur site web. À 50 euros la journée, le tarif est attractif. D’autant plus qu’à ce prix, le café et le thé sont fournis ainsi qu’un vélo électrique en cas de besoin ! Si elle est loin d’être généralisée, transformer la chambre vide en bureau la journée est une piste à évaluer.
La crise conduit ainsi à une hybridation des espaces hôteliers et tertiaires. Néanmoins, tout est histoire de dosage et d’équilibre. Car certains clients de l’hôtellerie n’ont pas nécessairement envie d’avoir l’impression de se retrouver au bureau dans le lobby de leur hôtel. À l’inverse, ce que recherchent les télétravailleurs lorsqu’ils s’extraient de leur environnement de travail habituel et quand ils franchissent la porte d’un hôtel, ce n’est pas l’ambiance de leur entreprise. De même l’ergonomie et la confidentialité restent à développer. Très importantes, elles sont assurément les points faibles de l’hôtellerie qui n’est pas conçue pour ça. Mais la multitude de services de l’hôtellerie pourrait bien faire la différence. L’hôtel peut également pallier l’absence de lieux de cotravail dans les nombreuses zones qui en sont dépourvues.
Le phénomène sera-t-il renforcé par la crise ? Tout laisse à penser que oui. Car la brutalité de cette pandémie a montré que rien n’était immuable et que tout le monde avait à gagner dans l’hybridation des modèles et dans l’acceptation d’une certaine souplesse. Il y a donc un territoire à explorer pour les architectes et les designers afin de concevoir ces espaces hybrides où se mêlent clientèles, fonctions et usages. Il y a un vaste champ des possibles à investiguer. Pour l’architecte Jean-Philippe Nuel, signature récurrente dans le domaine hôtelier, lors d’une conférence intitulée « Réinventer l’hôtel d’après Covid » donnée le 17 novembre 2020 : « Il est fort probable que nous voyagerons moins et que l’hôtel ne pourra plus compter exclusivement sur ses touristes. » La généralisation de la visioconférence devrait mathématiquement conduire à une baisse des déplacements liés au travail et donc des nuitées dans les hôtels. « L’hôtel, poursuit-il, a la capacité de capitaliser sur ses fonctions annexes et les mettre en avant auprès d’une clientèle plus locale, plus diverse. L’hôtel n’est plus un lieu isolé, déconnecté de la ville. Il faut créer de nouvelles synergies. La crise pourrait être un accélérateur pour repenser l’économie de l’hôtel. »
Réagissez à l’article en remplissant le champ ci-dessous :
Vous n'êtes pas identifié. | |||
SE CONNECTER | S'INSCRIRE |
> Questions pro |
Quel avenir pour les concours d’architecture ? 4/6
L’apparente exhaustivité des rendus et leur inadaptation à la spécificité de chaque opération des programmes de concours nuit bien souvent à l… |
Quel avenir pour les concours d’architecture ? 3/6
L’exigence de rendus copieux et d’équipes pléthoriques pousse-t-elle au crime ? Les architectes répondent. |