Immeuble de bureaux Pulse |
Dossier réalisé par Stéphane BERTHIER Depuis une dizaine d’années, des bâtiments en bois de
grande hauteur (BBGH) s’érigent un peu partout dans le monde et notamment en
France. Surfant sur la vague écologique, ces constructions démontrent les
capacités de la filière bois à concurrencer celles de l’acier et du béton sur
le marché de l’immeuble urbain de grande échelle, principalement grâce aux
récents développements des panneaux de bois contrecollés (ou CLT, pour cross-laminated timber).
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La construction moderne en bois telle que nous la connaissons s’est développée à partir des années 1970, d’abord grâce à l’appropriation de la technologie nord-américaine de l’ossature légère pour la réalisation d’habitations individuelles puis de petits collectifs de logements. Parallèlement, l’émergence des bois lamellés-collés a rendu possible la construction d’équipements publics grâce aux grandes portées qu’ils permettaient d’atteindre. Autour des années 2000 est apparue la technologie des panneaux de bois contrecollés (CLT) avec lesquels on construit des murs et des dalles en bois, aux logiques constructives relativement proches de celles des panneaux de béton armé préfabriqués. Tandis que le bois lamellé-collé est constitué de petites lamelles de bois à fil parallèles, les panneaux de CLT sont faits de couches croisées de planches qui leur confèrent une égale résistance dans les deux directions du plan. Ils doivent leur mise au point aux progrès des adhésifs de la fin du XXe siècle car il était avant cela assez difficile d’obtenir des collages très résistants entre deux bois aux fils perpendiculaires. Grâce à cette innovation technologique, seule ou intégrée à des modes constructifs mixtes, la construction bois a pu conquérir la grande hauteur.
Jusqu’en 2015, il était encore possible de compter les immeubles en bois de grande hauteur de par le monde. L’immeuble de logements de sept niveaux livré en 2008 à Berlin par Kaden & Klingbeil et la tour de Murray Grove (R+8) réalisée en 2009 à Londres par les architectes Waugh & Thistleton font notamment figure de pionniers. On citera aussi la tour de bureaux LCT One de huit niveaux conçue par Hermann Kaufmann à Dornbirn en 2012 dans le Vorarlberg autrichien, la Maison de l’Inde à Paris (R+7) réalisée en 2013 par Lipsky et Rollet, l’immeuble R+7 du Toit Vosgien à Saint-Dié-des-Vosges livrée par l’agence ASP en 2014 ou encore le bâtiment de bureaux T3 (R+6) du Canadien Michael Green à Minneapolis, terminé en 2016. Mais depuis cinq ans environ, il est devenu très difficile de dénombrer ces immeubles tant leur développement semble exponentiel et mondial.
Cette évolution est soutenue par des forums professionnels où s’échangent les expériences, tel Woodrise, qui se tenait à Bordeaux en 2017 et à Québec cette année, ou encore les Forums Bois Construction, en France et en Autriche. Cette course à la performance est particulièrement vive dans notre pays depuis le concours ADIVbois lancé en 2017. Cette association, qui regroupe de nombreux acteurs de la filière, est soutenue par l’investissement public dans le cadre des programmes d’investissement d’avenir du gouvernement. Elle vise à mutualiser entre ses partenaires le coût de la R&D sur le sujet, en finançant par exemple auprès du CSTB les essais nécessaires à l’évolution de la réglementation. Son acte fondateur est l’organisation d’un concours national en partenariat avec le PUCA. Il réunissait 48 équipes associant maître d’ouvrage, maître d’œuvre et entreprise sur 13 sites dont l’objectif était de concevoir des immeubles en bois de 10 à 15 étages valorisant les qualités constructives et architecturales du matériau. Les projets lauréats sont en cours d’études et leurs livraisons doivent s’échelonner de 2020 à 2022. Ces projets sont les supports d’une démarche de recherche et développement dont le but est de sécuriser et de rendre courante la construction bois de grande hauteur, qui est encore souvent tâtonnante, tant constructivement que réglementairement. Néanmoins, cette association professionnelle n’a pas le monopole du sujet comme en témoignent de nombreux autres projets en bois qui, sans lien avec ADIVbois, sortent de terre presque chaque mois, comme l’immeuble Pulse que vient juste de livrer l’agence BFV à Saint-Denis ou les logements de l’îlot bois des architectes KOZ à Strasbourg, dont le chantier se termine, preuve de la vitalité de la filière et de la crédibilité croissante de ce mode constructif.
Une ressource super vertueuse
C’est principalement l’attrait écologique du bois, qu’il soit symbolique ou réel, qui motive les commanditaires. La perspective de la future réglementation E+C- (énergie positive et construction bas carbone) les pousse à monter en compétences pour maîtriser un art de bâtir peu émetteur de gaz à effet de serre. Le bois, en tant que matériau biosourcé, est une matière fabriquée par le processus naturel de photosynthèse, alimenté par l’énergie solaire. Ses molécules organiques se constituent notamment par transformation du dioxyde de carbone de l’atmosphère. Il est donc un bon moyen de transformer en matière ce gaz nocif pour le climat. Nous verrons plus loin que cet argument vaut principalement pour le bois massif exploité en circuit court et qu’il perd peu à peu de sa pertinence à mesure que le matériau subit des transformations industrielles.
Le second argument repose sur les conditions de production d’un édifice en bois, qui transfère une partie du temps de chantier vers l’usine de préfabrication, améliorant ainsi les délais de construction ainsi que la qualité des ouvrages. De même, la part importante de valeur ajoutée en usine diminue nettement la production de déchets. Cette préfabrication exige en revanche plus de précision et d’anticipation en phase études car le matériau est difficilement modifiable sur le chantier. Les différents éléments doivent s’y ajuster sans défauts ni expédients de dernière minute. Ce temps de chantier économisé représente autant de loyers supplémentaires pour le maître d’ouvrage qui peut alors équilibrer son investissement dans un mode constructif un peu plus cher que la filière du béton. Notons aussi que le surcoût de la construction bois, que les acteurs estiment autour de 10 %, ne porte que sur le gros œuvre et que sa légèreté permet de diminuer le coût des fondations.
Le troisième argument, avancé notamment par ADIVbois dans ses publications, est celui de la qualité sensorielle de l’« expérience vivre bois ». Selon des études de marché commandées par l’association, le public plébisciterait la présence du bois dans le cadre de vie, du moins dans les catégories de la population qui disposent des capacités à devenir propriétaires. Ces attraits n’ont pas échappé aux majors de la construction qui investissent depuis une dizaine d’années dans le secteur, à l’instar de Vinci et sa filiale Arbonis, constituée par rachats de PME, qui couvre maintenant un large spectre de produits et de savoir-faire de la construction bois. Mais les indépendants tels que Mathis ou encore Simonin tirent leur épingle du jeu et profitent de l’engouement actuel pour le matériau pour croître et s’industrialiser. La promotion immobilière y voit quant à elle une opportunité de faire son aggiornamento environnemental en proposant des « produits » adaptés à une demande de plus en plus sensible à l’écologie, parfois jusqu’à la caricature comme en témoignent de récentes images type « Réinventer Paris » qui représentent des quartiers plantés de gratte-ciels en bois recouverts de laitues, involontairement presque aussi drôles que les dessins de Martin Étienne.
Typologies multiples
Plus concrètement, il existe aujourd’hui trois grandes typologies constructives en bois : les systèmes à ossatures poteaux-poutres, les assemblages de panneaux de murs et de planchers et les exosquelettes (plutôt très rares). Chacun de ces trois types peut trouver illustration dans la production actuelle. Les Anglais de Waugh Thistleton proposent, depuis l’opération de Murray Grove jusqu’à leur récent immeuble de Dalston Lane, des constructions entièrement réalisées en CLT, y compris les circulations verticales. La Maison de l’Inde de Lipsky et Rollet illustre un système mixte d’une ossature poteaux-poutres et de dalles en bois, contreventé par un noyau de circulation verticale en béton. La tour de 14 étages de l’agence Geir Brekke of Lund & Partners à Bergen en Norvège, livrée en 2014, est constituée d’un empilement de modules tridimensionnels préfabriqués, solidarisés par un exosquelette.
Cependant, et d’un point de vue statistique, le modèle qui semble dominer est celui d’une construction mixte associant le bois et le béton. Ce dernier est utilisé pour le niveau du rez-de-chaussée, afin d’isoler le bois des remontées d’humidité mais aussi pour faciliter le transfert des efforts vers les fondations. Le béton armé est aussi employé pour la réalisation des noyaux de circulations verticales, avec la technologie économique du coffrage tunnel, parce qu’il est plus simple ainsi d’assurer le contreventement de l’édifice. En outre, le béton répond plus facilement aux exigences incendie qui s’appliquent aux dégagements.
Autour de ce noyau rigide, la construction en bois prend la forme d’une ossature poteaux-poutres sur laquelle reposent les dalles bois des planchers. Les façades peuvent être des murs-manteaux réalisés à partir d’ossatures bois légères et de baies menuisées, ou des murs-rideaux conventionnels ou encore des habillages en brique ou en pierre. Le bois ne paraît qu’exceptionnellement comme revêtement extérieur car il est difficile à entretenir sur des immeubles hauts. En outre, l’incendie de la tour Grenfell à Londres, en 2017, pourtant construite en béton mais dont le feu s’est propagé par l’enveloppe isolante extérieure, rend les pompiers particulièrement méfiants à l’égard du risque incendie lié à la nature de la façade.
À partir de ce portrait-robot brossé rapidement, toutes les variantes sont possibles, comme les planchers mixtes à nervures bois et dalles béton de la tour LCT One à Dornbirn ou encore l’immeuble Opalia d’Art & Build près de la porte d’Italie, qui associe une structure primaire en acier à une structure secondaire en bois.
D’incendie et d’acoustique
Les deux principales limites au développement de ces tours en bois sont la sécurité incendie d’une part et les performances acoustiques d’autre part. L’apparition de ces immeubles remet en question une réglementation contre le risque d’incendie qui était, presque dans tous les pays, fondée implicitement sur le fait que l’ossature d’un immeuble moderne ne participait pas de sa masse combustible. Le risque d’alimentation de l’incendie était censé être limité aux aménagements intérieurs et mobiliers, mais ne supposait pas que la structure elle-même y participe. Par mesure de précaution, et notamment pour les immeubles de logements, les pompiers exigent régulièrement que l’ensemble des parois intérieures soient revêtues de matériaux ininflammables comme des plaques de plâtre. De même, ils portent une attention toute particulière au bon isolement des plénums et autres gaines qui traversent les locaux à l’horizontale comme à la verticale et peuvent conduire dans tout l’immeuble des gaz brûlants susceptibles d’enflammer l’ossature à partir de 250 °C. Les réflexions en cours essayent de maintenir la possibilité d’une conservation partielle des panneaux de bois visibles, de l’ordre d’une face par volume intérieur, sans certitude actuellement.
D’une certaine manière, ces bâtiments construits en bois et habillés de matériaux incombustibles en façade et intérieur renouent avec une vieille tradition constructive qui, des immeubles de la place des Vosges à ceux de la place Vendôme, était faite d’ossature bois, pans de bois et solivages, puis revêtue de plâtre à l’intérieur et de pierre ou de brique à l’extérieur. Simplement, les nouveaux produits issus de la transformation industrielle du bois permettent désormais de rivaliser avec les échelles de la modernité.
Le bois présente aussi quelques difficultés pour assurer le bon isolement acoustique entre niveaux. Il y parvient pour les programmes tertiaires, mais plus difficilement pour les logements dont les planchers bois sont en général complétés d’une chape ciment qui peut ou non contenir un réseau de chauffage par le sol. Les panneaux verticaux entre logements sont soit dédoublés, soit épaissis et isolés pour les mêmes raisons de performances acoustiques. Ces deux sujets, d’incendie et d’acoustique, font actuellement l’objet d’études commandées par ADIVbois auprès du CSTB afin de mettre au point des solutions sécurisées et performantes.
Les limites du « vivre bois »
Néanmoins il se dégage de ces expériences que le bois peut difficilement être visible, tant en façade qu’en revêtement intérieur, du moins dans les immeubles de logements sauf à les équiper d’onéreux systèmes d’extinction automatique (sprinklers), qui n’appartiennent pas à la culture européenne. L’argument du « vivre bois » avancé par les promoteurs dans leurs opérations de marketing s’avère donc pour l’instant assez peu crédible. Un immeuble construit en bois ne peut pas encore s’exprimer sous la forme d’une architecture de bois, et « l’expérience bois » se limite aux éléments d’agencement et de mobilier, lesquels peuvent tout aussi bien s’intégrer dans un bâtiment en béton. En conclusion, ces édifices contemporains sont des « variantes bois » des constructions en béton que l’on connaît, quasiment à toute chose égale par ailleurs, à ceci près que la trame y est sans doute plus présente, plus exigeante, tandis que le béton nous avait jusqu’à présent habitués aux acrobaties des consoles, porte-à -faux et autres reprises en baïonnette. D’une certaine manière, l’immeuble en bois rétablit un ordre constructif clair, ce qui n’est pas forcément une mauvaise nouvelle.
En revanche, la filière va devoir aborder rapidement le délicat sujet du bilan carbone réel de constructions faites de bois importés (principalement de Scandinavie), qui sont séchés artificiellement, traités chimiquement contre les insectes xylophages et les champignons lignivores, et reconstitués par collage. Le nombre d’acteurs capables de transformer la matière première non plus en matériaux mais en « produits » est assez faible et suppose donc des transports importants depuis les sites de transformation jusqu’aux chantiers. Selon les quelques fiches FDES déjà disponibles, l’avantage « carbone » de ces produits transformés vis-à -vis du béton n’est plus aussi évident qu’on avait pu le penser.
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