Projet de l’exposition « Transformations pavillonnaires » au Pavillon de l’Arsenal à Paris - Septembre architectes, |
Dossier réalisé par NICOLAS BISENSANG, JULIA TOURNAIRE, BENJAMIN AUBRY, ERWAN BONDUELLE Conversation du 6 juillet 2020 entre Julia Tournaire et les trois cofondateurs de Iudo, Benjamin Aubry, Erwan Bonduelle et Nicolas Bisensang. |
Julia Tournaire : Aux origines de Iudo, il y a une vision assez précise de ce que les territoires pavillonnaires sont mais surtout de ce qu’ils pourraient devenir. Quelle est cette vision et surtout comment a-t-elle abouti au développement d’une start-up d’aide à l’autopromotion immobilière ?
Iudo est né de la rencontre de nos trois parcours. Ayant tous les trois grandi en maison individuelle, nous en connaissons les qualités, notamment la présence de jardins et la liberté d’appropriation, mais nous en connaissons aussi les carences : une certaine monotonie, une dépendance à la voiture et un manque de diversité. Au cours de nos études d’architecture, nous avons été confrontés à des enseignements parfois très éloignés et en décalage avec nos expériences d’habitants. Les quartiers pavillonnaires ne faisaient non seulement pas l’objet d’études ou d’intérêt de la part de la profession, mais en plus aucun mode de production de la ville n’était dédié à leur transformation.
Il a donc été très vite question de travailler sur l’avenir de ces territoires avec pour objectif d’œuvrer pour une plus grande diversité programmatique et urbaine tout en s’appuyant sur leur qualité et leur identité propre. Pourquoi ne pas imaginer faire se côtoyer, comme au Japon, des maisons individuelles avec un petit immeuble de logements ou de bureaux, un café ou un atelier ? Pour penser cette diversité, nous nous référons souvent à l’image du faubourg, véritable palimpseste issu d’une multitude d’histoires individuelles et collectives. Le faubourg est une ville non générique, qui n’a pas été entièrement planifiée à l’avance et qui s’est construite au fur et à mesure des besoins de ses habitants. À l’inverse, les quartiers que l’on construit aujourd’hui, tels que les ZAC, laissent peu de marge à l’évolution du quartier et à son appropriation dans le temps par ses habitants et usagers. La ville pavillonnaire est un terrain fertile similaire au faubourg pour penser une ville évolutive, plastique, et donc durable.
Nous nous sommes également rendu compte que, pour contribuer au renouvellement des tissus pavillonnaires, il fallait trouver un modèle économique adapté. Le portage des opérations par les propriétaires des terrains nous est rapidement apparu comme la seule façon de les densifier sans en dégrader les caractéristiques propres. Dans les territoires pavillonnaires, il faut faire la ville avec l’habitant.
JT : La ville pavillonnaire impliquerait donc tout un changement de culture dans la fabrique de la ville, entre la planification urbaine par le haut d’un côté et les lois libres du marché de l’autre ?
Presque toutes les grandes planifications et les stratégies mises en place pour la maîtrise de la croissance urbaine ont eu des résultats mitigés car l’étalement urbain a continué à s’accentuer. De nombreux lotissements se sont construits comme de nouvelles pièces de ville, au gré des opportunités foncières et commerciales saisies par des lotisseurs privés. Ils sont aujourd’hui l’une des composantes majoritaires de la ville et on pourrait même dire que les petits propriétaires ont désormais la maîtrise foncière de la ville ! Notre positionnement est de regarder du côté de ces propriétaires, de leurs initiatives individuelles, et de les accompagner pour mieux les réguler. C’est en cela que c’est une nouvelle façon de faire de l’urbanisme, une sorte de planification de la ville à l’envers. Nous partons du « bottom », des intérêts individuels des habitants, et nous les orientons vers le « top », c’est-à -dire vers l’intérêt général et les enjeux urbains portés par les collectivités.
La fabrique de la ville est aujourd’hui tellement dominée par un modèle économique unique de production que nous avons oublié l’existence d’autres façons de faire. Avant le XXe siècle, la ville s’est principalement construite sans promoteur. Les maîtres d’ouvrage de la plupart des immeubles de rapport (parisiens, lyonnais, bordelais…) étaient des propriétaires fonciers qui faisaient directement appel à un architecte et à des artisans. L’essor de la promotion immobilière date seulement de l’entre-deux-guerres dans une période de reconstruction, d’industrialisation du logement et d’expansion urbaine qui permettait d’accéder à un foncier abondant et bon marché. Le contexte actuel de raréfaction du foncier mais aussi de morcellement de la propriété qui caractérise le pavillonnaire invite à repenser nos modes de fabrication de la ville. Plutôt que de chercher à « libérer le foncier », une politique urbaine pragmatique pourrait ainsi consister à inciter et à soutenir ces petits propriétaires – fruit de décennies de politiques publiques d’aides à l’accession – dans des démarches de projet orientées vers l’intérêt général. Cette stratégie ouvrirait une troisième voix pour ces zones pavillonnaires, entre la volonté politique de les sanctuariser pour les protéger et, à l’inverse, la tentation de les déréguler au profit des promoteurs immobiliers. La première situation risquerait de déclencher leur paupérisation car elles ne seraient plus mutables, contribuant à une stagnation de l’offre et à l’augmentation des prix. La seconde situation impliquerait la disparition des qualités pavillonnaires au profit d’opérations immobilières lourdes. Comme il est difficile de rentabiliser une opération sur un petit foncier, la logique voudra que de grandes assiettes foncières soient recomposées et que l’existant laisse place à de plus grosses constructions. L’alternative que nous imaginons autoriserait au contraire une densification raisonnée de ces territoires, prenant appui sur les initiatives habitantes et sur un potentiel foncier déjà important. Nous sommes en effet convaincus qu’il est possible de concilier développement urbain, construction de logements et respect des qualités intrinsèques, notamment écologiques, des territoires pavillonnaires (pleine terre, îlots de fraîcheur, biodiversité…).
JT : Comment faire ville à partir d’une collection d’initiatives individuelles ? Comment gérer l’impact urbain de ces projets isolés, surtout s’ils se multiplient ? Quelle vision urbaine est-il possible de dégager à partir de cette stratégie d’autopromotion individuelle ?
Il y a bien sûr une réflexion urbaine à mener sur ces territoires. Les échelons territoriaux et communaux sont essentiels pour accompagner ces initiatives. Quelques agences d’urbanisme travaillent actuellement à cette échelle urbaine, comme Villes Vivantes, par exemple. Elles familiarisent les collectivités aux alternatives possibles et les accompagnent dans la mise à jour de leurs outils réglementaires.
Il y a cependant, au-delà des enjeux de planification urbaine, d’autres questions d’ordre purement opérationnel à régler. Il est nécessaire de fluidifier les procédures, de simplifier les démarches juridiques, financières et administratives pour que ces initiatives individuelles se développent plus facilement. Ces questions ne sont pas du ressort de la collectivité. D’ailleurs nous contractualisons directement avec le particulier. Nous sommes à son service et nous travaillons à ce que ses ambitions soient atteintes.
Nous pensons que de l’accumulation de ces initiatives peut émerger progressivement une densité suffisante pour le développement de services, d’équipements et d’infrastructures. C’est pour cela que nous nous concentrons pour le moment sur la construction de logements. En ajoutant simplement quelques logements sur cette immense nappe de pavillons, les besoins en habitat pourraient être rapidement comblés. Nous avons calculé que l’objectif des 70 000 logements supplémentaires par an dans le Grand Paris pourrait être atteint en ajoutant seulement un logement sur 5 % des terrains individuels !
JT : La concentration dans le temps et dans l’espace de ces initiatives individuelles semble tout de même une condition essentielle pour l’émergence de la ville pavillonnaire. Comment atteindre et accélérer cette massification ? Quels sont les freins à lever et les questions d’ordre purement opérationnel à régler dont vous parlez ?
Lorsque nous avons étudié avec notre premier particulier la construction d’un collectif de logements sur sa parcelle, nous nous sommes très vite sentis désarmés face aux nombreuses questions qu’il pouvait se poser. Sans expertises juridiques et économiques, il nous était impossible d’aller plus loin. D’un autre côté, nous sentions que nous pouvions être le pivot d’accès à ces informations car, en tant qu’architectes, nous avons la maîtrise du projet architectural. Nous avons donc décidé de réfléchir à ces services d’accompagnement des propriétaires dans le façonnement de leur projet. Il nous fallait également déconstruire les préjugés associés à ces territoires. Lors de l’exposition organisée en 2019 au Pavillon de l’Arsenal dans le cadre de FAIRE, l’incubateur de projets innovants, nous avons prouvé que certains habitants étaient prêts à se lancer dans la construction d’un logement sur leur parcelle avec l’aide des outils mis en place par Iudo.
Il nous reste cependant de nombreux freins d’ordres juridique et réglementaire à lever. Dès lors que nous restons dans le champ de la maison individuelle, nous basculons très vite dans la procédure de lotissements qui implique tout un ensemble de réglementations mises en place à l’origine pour protéger le consommateur face aux cas des mal-lotis. Ces réglementations sont adaptées pour l’aménagement urbain en site vierge, mais elles le sont beaucoup moins lorsqu’il s’agit d’intervenir dans des situations déjà construites et équipées, et peuvent même entraver l’évolution de la ville sur elle-même. D’autres exigences dictées par les PLU impliquent par exemple de dégager une à deux places de parking minimum par nouveau logement, ce qui est souvent impossible dans les situations contraintes sur lesquelles nous travaillons.
Pour nous, il s’agit avant tout de sortir de l’idée : un pavillon, un logement. Cette posture nous différencie d’ailleurs du BIMBY qui se concentre principalement sur la division parcellaire en vue de créer du terrain à bâtir, souvent pour une autre maison individuelle. Nous militons plutôt pour un passage graduel de l’individuel vers un peu plus de collectif.
JT : Vous parliez de fluidifier la transformation de ces territoires par des incitations à bâtir. Pourriez-vous développer ?
Nous aimerions en effet nous éloigner des mesures coercitives et tendre vers un urbanisme désiré, avec des incitations à bâtir qui décupleraient les intérêts encore timides des habitants. Nous avons proposé trois mesures aux services de l’État pour l’encouragement de ces initiatives. La première porte sur la création d’un statut juridique d’habitant-promoteur, qui permettrait de concevoir un cadre légal à la création de logements par les particuliers. La deuxième porte sur l’établissement d’un fonds de soutien pour la transition écologique et sociale des quartiers pavillonnaires et la troisième sur l’assouplissement d’un certain nombre de règles urbaines. Un accompagnement financier avec des avantages fiscaux ou des aides à la construction, comme il en existe pour la rénovation énergétique ou l’intermédiation sociale, pourrait être un autre type d’incitations.
Les propriétaires doivent ensuite être informés des avantages qu’ils auraient à faire un choix plutôt qu’un autre. Si le fait de construire un logement sur son propre terrain est valorisé par la société, et si de plus en plus de personnes le font, alors ça va créer un effet boule de neige positif.
JT : En attendant le positionnement de l’État et des collectivités sur ces questions, comment suscitez-vous à votre niveau l’intérêt des habitants ?
L’exposition au Pavillon de l’Arsenal aura permis d’illustrer pour la première fois notre vision de la densification pavillonnaire. Il n’y avait jusqu’alors pas d’images et d’exemples des qualités que de tels projets pouvaient apporter, tant sur le plan individuel que sur le plan de l’intérêt général. Auprès des habitants, nous insistons surtout sur l’intérêt économique et patrimonial d’une telle procédure. Un propriétaire a tout intérêt à développer son patrimoine plutôt que de jouir d’un cash immédiat lié à la vente de sa maison ou d’un bout de terrain. L’investissement de départ est important mais la location du bien construit permet de rentabiliser rapidement l’opération. On ne parle d’ailleurs pas au propriétaire en budget d’investissement global mais en effort d’épargne.
JT : Iudo serait donc un modèle accessible à tous ?
Nous tendons à nous adresser à tous les propriétaires, mais bien évidemment cela dépend d’autres facteurs telles que la localisation de leur bien et leur capacité d’investissement. En zone tendue, comme en région parisienne, le coût de l’immobilier permet de rendre les opérations très rentables, puisque les coûts de la construction sont 30 à 70 % moins chers que celui de l’immobilier – on peut donc aussi envisager une stabilisation, voire une baisse des prix. Notre modèle permet également d’assurer un certain niveau de qualité architecturale et d’inciter les propriétaires à investir dans un logement durable. L’économie substantielle réalisée par l’abattement de la charge foncière peut en effet être réinjectée dans des constructions plus qualitatives comme des constructions en bois avec matériaux biosourcés, souvent un peu plus chères que des solutions maçonnées classiques. Nous intervenons également dans des patrimoines parfois déjà considérables. Certains propriétaires terriens possèdent des halles industrielles ou des biens de 200 ou 300 m2. Il est donc possible d’optimiser, de rénover et de reconfigurer l’existant.
Dans les zones plus détendues, où le coût de l’immobilier est parfois inférieur au coût d’une construction de qualité, la situation est un peu différente. Il peut être moins intéressant d’investir sur son propre terrain que d’acheter un nouveau bien à côté. Pour être rentable, il faut donc favoriser la rénovation plutôt que la construction neuve – ce qui, au regard de la relative faible demande, apparaît plutôt logique et sain. Cependant, avec les politiques contre l’étalement urbain, et la raréfaction du « stock » de foncier, les terrains déjà urbanisés devraient prendre plus de valeur, favorisant la densification et incitant à un meilleur partage des ressources.
JT : Quel rôle donnez-vous à l’architecture dans cette stratégie de densification et de valorisation patrimoniale ? De quelle manière encadrez-vous les réalisations ?
Pour évoluer, les territoires pavillonnaires ont besoin de délicatesse et d’ingéniosité. Ils ont besoin d’architecture et d’architectes. Pour pouvoir bâtir et s’insérer dans ces situations contraintes, pour gérer les vis-à -vis et conserver un maximum de pleine terre, il faut de l’inventivité et de l’intelligence spatiale. Nous sommes à l’antithèse de la maison individuelle industrialisée et répétée à l’infini, bien que l’on puisse envisager des procédés industriels intelligents, qui permettraient d’optimiser les coûts.
Afin que l’architecte puisse se concentrer sur sa valeur sur son cœur de métier, c’est-à -dire la conception et la réalisation, nous faisons tout un travail de préparation en amont avec le particulier. Nous précisons avec lui sa commande, qui peut être parfois très complexe, nous nous mettons d’accord sur les grands principes et nous transmettons ensuite à l’architecte un cahier des charges complet. Le client est ainsi préparé à une vision d’ensemble du projet et a surtout un bon ancrage de prix. Il peut prendre la décision de continuer ou d’arrêter, sans s’être engagé dans des études de conception trop poussées. C’est un gain de temps pour tout le monde !
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