Portrait de François de Mazières |
À quelques jours d’une échéance présidentielle incertaine, François de Mazières, député-maire Les Républicains de Versailles (soutien d’Alain Juppé dans la primaire et désormais soutien de François Fillon) et ancien président de la Cité de l’architecture et du patrimoine, publie aux Éditions Albin Michel Le Grand Gâchis culturel, un bilan critique assorti de propositions pragmatiques pour rappeler aux candidats les enjeux de la culture. |
Dès sa jeunesse, les cours d’art dramatique du conservatoire de Versailles ont attiré François de Mazières vers les questions culturelles. Élu en 2008 maire de sa ville où il avait déjà créé le Festival de théâtre « Le Mois Molière », cet énarque fut aussi conseiller culturel de Jean-Pierre Raffarin à Matignon de 2002 à 2004, accompagnant la création de la Cité de l’architecture et du patrimoine qu’il présida de 2004 à 2012. Convaincu que « dirigée par d’ardents défenseurs de la culture, la France est plus forte », l’élu de droite a écrit ce livre d’entretiens avec un homme de gauche, son ami Olivier Le Naire, ex-rédacteur en chef adjoint de L’Express. Soulignant la nécessité de retrouver une vision au sommet de l’État, il fait dix propositions pour défendre l’exception culturelle, redonner de l’air aux collectivités locales, démocratiser et éduquer, préserver la liberté de création et l’intermittence, sauver notre patrimoine, défendre la beauté des villes et le développement durable, relancer le partenariat public privé, encourager le mécénat et redéfinir le rôle de l’audiovisuel public.
D’a : Pourquoi qualifier ce quinquennat de « fiasco culturel » ?
En quatre ans, les budgets n’ont cessé de diminuer. La cinquième année est celle où, avant une élection majeure, on remet un peu d’argent dans les caisses et l’on fait des chèques sur le budget qu’exécuteront les successeurs. La culture en France est en pilote automatique. Avec trois ministres d’affilée, comment travailler sérieusement ? Le résultat : budgets sabrés, collectivités locales étranglées, éducation artistique malmenée, patrimoine bradée… Avec de Gaulle et Malraux ou Mitterrand et Jack Lang, l’État avait à sa tête des défenseurs de la culture, laquelle fut un atout de leur politique intérieure et extérieure. Elle était au-dessus de tout, avec une hauteur, une vision et une incarnation de cette ambition nationale, dont le rayonnement des grands travaux a témoigné. Dans une économie plus tendue, il faut retrouver une hauteur de vue et une vision globale de la culture pour en finir avec les actions gadgets. Le dialogue et la confiance entre le Président et son ministre de la Culture sont la clé pour éviter le court-circuitage des priorités par Bercy, par les lobbies ou par la machine administrative. Et s’il y a eu des présidents plus ou moins habiles, des ministres plus ou moins bons, cette perte de vision et de véritable ambition remonte à près d’un quart de siècle.
LA Faute à LA gauche et à LA droite, donc ?
Les défenseurs de la culture ont souvent les mêmes positions. De droite ou de gauche, seule compte la détermination des responsables. S’étant jugée légitime en matière culturelle, la gauche s’est endormie sur cette conviction. La droite vit dans le complexe de ne pas se sentir légitime, sauf pour le patrimoine, et elle a longtemps tendu à singer ses adversaires. Ce clivage n’a plus de sens. Martin Malvy, maire socialiste de Figeac, a créé le musée Champollion en misant sur le riche bâti de sa ville pour faire renaître sa petite sous-préfecture du Lot, et Dominique Perben, comme moi à Versailles, a parié sur les artistes et la création pour lancer à Chalon-sur-Saône un festival de la rue à succès. La gauche défend souvent une culture institutionnelle et parisienne – le in. La droite, sur le terrain, est plutôt du côté du off.
Pour vous, notre culture est en danger…
Même au plus haut niveau de l’État, défendre la culture reste un combat quotidien qui ne peut se gagner sans un engagement fort du président de la République. La sacrifier est une grave erreur. Sans cette ambition, tenter de réformer notre société et de lutter contre la violence et le terrorisme court à l’échec. Quand la question de l’intégration et d’une éthique collective se pose, la culture et l’éducation aident à se comprendre. Cessons de faire croire que la culture est un luxe, qu’elle coûte de l’argent au lieu d’en rapporter. Face à l’omniprésence d’une culture mondialisée et des géants du numérique menaçant notre économie, nos emplois et nos particularités, la France reste reconnue dans le monde entier pour sa vitalité artistique et son héritage culturel et patrimonial. Fructifions ces richesses au lieu de les brader.
Le ministère de la Culture serait-il devenu celui de l’imposible réforme ?
Non. Certaines fonctionnent. On a immédiatement mesuré les aspects positifs de la loi Aillagon de 2003. Conseiller culturel du Premier ministre, j’ai vécu en direct l’aventure de cette loi qui est un modèle, courte et bien préparée avec l’objectif clair d’accorder une remise fiscale de 60 % sur les dons en matière culturelle. Elle a été vite mise au point par une petite équipe et votée. Quelques personnes aux points névralgiques, travaillant main dans la main avec la volonté de foncer sans s’enliser en route, ce qui nécessite une par- faite concertation entre l’Élysée, Matignon et la rue de Valois. C’est la clé pour triompher des obstacles juridiques, bureaucratiques, administratifs ou financiers.
Comment parler de « fiasco culturel » quand la loi relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine, portée par le gouvernement actuel , marque une victoire , un progrès tel qu’on n’en avait pas connu depuis des décennies ?
C’est dans le domaine de l’architecture qu’elle a été la plus innovante, avec notamment l’abaissement à 150 m2 du seuil de recours obligatoire à un architecte.
Vous réclamez plus de liberté pour les collectivités locales…
Dans les années 1980, suite aux lois de décentralisation, villes, régions et départements ont fait de la culture une vitrine. Vingt ans plus tard, la dynamique s’est essoufflée face aux problèmes budgétaires, mais la culture est restée cette vitrine à laquelle les collectivités ne veulent pas renoncer. Le désengagement progressif de l’État rend plus difficile pour un élu de ne pas rogner sur son budget culture, et un jacobinisme larvé où l’État accorde aux initiatives le droit d’exister ou non menace la diversité culturelle et la création. À Versailles, les dotations du conseil général pour le Conservatoire, le Centre de musique baroque, le théâtre Montansier et le Mois Molière ont été réduites ou supprimées, ce qui est je l’espère transitoire. L’État imposant aux collectivités locales des efforts bien plus importants qu’à lui-même, il faut remettre de l’argent dans la machine et redéfinir des critères clairs et impartiaux d’attribution. Le législateur devrait protéger les filières d’excellence et obliger l’État à garantir une part du financement de ce qui n’est pas facile à défendre, ne fait pas immédiatement plaisir mais s’avère indispensable, en imposant une répartition pérenne et obligatoire entre l’État, les régions, les départements et les communes. Nul n’a envie de dépenser des millions pour restaurer un château ou une église, mais il faut le faire. En revanche, sur l’animation, laissons à chacun ses initiatives. Les budgets n’étant plus ce que nous avons connu, les élus doivent être créatifs et réunir par des synergies les acteurs locaux pour qu’un événement profite à tous, autorise des économies d’échelle, touche un large public et attire mécènes et emplois.
Pour sauvegarder le patrimoine, que préconisez-vous ?
Nous pouvons être fiers que les Journées du patrimoine soient nées en France ! En période de vache maigre, la tentation est de laisser en déshérence lieux de mémoire, châteaux et églises ou de les vendre au plus offrant. L’Hôtel de la Marine a été sauvé in extremis ! Dans le budget prévisionnel de 2017 pour le ministère de la Culture et de la Communication, les crédits du patrimoine avoisinent 900 millions d’euros, dont 335 au patrimoine monumental, 360 aux musées et 130 à l’archéologie. De 2010 à 2015, les crédits d’ensemble du programme « patrimoines » sont passés de 1,2 milliard à 750 millions. En période de crise, la gauche n’est pas seule à avoir sacrifié le patrimoine pour sauver les crédits de création, mais toute toiture non réparée à temps coûte plus cher ensuite et ces fluctuations de la commande publique mettent en péril des entreprises d’excellence. Sur 43 000 monuments historiques, 54 % appartiennent aux collectivités publiques et 46 % à des privés qui peinent souvent à faire face aux frais d’entretien. Prélever l’impôt sur le revenu à la source mettrait en danger l’arsenal fiscal en faveur du patrimoine. Mieux vaut y renoncer et explorer d’autres pistes via les ressources de la Loterie nationale. Quand je dirigeais la Fondation du patrimoine, un « G8 » des associations du secteur avait émis l’idée – retoquée par Bercy – qu’une part des bénéfices des jeux de hasard soit affecté à la défense du patrimoine, comme en Angleterre, en Allemagne, en Italie et en Espagne. Christine Albanel, ministre de la Culture du gouvernement Fillon, a finalement obtenu qu’un pourcentage des recettes des jeux en ligne revienne au Centre des monuments nationaux. Quand il a ensuite perdu ce faible financement de 5 millions d’euros, j’ai redéposé un amendement lors de l’examen du budget 2015. Soutenu par Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles, il a été adopté, puis abandonné suite au rapport rédigé sous la dictée de la Française des jeux, qui avait pourtant tout en main pour mettre à profit l’amour que les Français portent au patrimoine.
À travers votre politique urbaine, comment défendez-vous l’architecture contemporaine et ses auteurs ?
Les élus doivent faire de la résistance. Il faut aussi protéger la profession d’architecte, en difficulté malgré l’intérêt croissant que la société porte à l’architecture. Je préconise notamment la généralisation des architectes-conseils auprès des villes. À Versailles, nous avons ainsi un architecte-conseil assisté d’une équipe, mais j’ai également créé un poste de paysagiste-conseil. Sur les concours de projet de petite et moyenne taille, nous sollicitons les talents révélés par les Albums des jeunes architectes et paysagistes. Très investies pour faire leurs preuves, ces jeunes agences récompensent l’élu de cette prise de risque. À la Cité de l’architecture, avec les deux expositions : « Habiter écologique » et « La Ville fertile », j’avais déjà tenu à faire évoluer le dialogue entre architectes et paysagistes.
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N° 252 - Avril 2017
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