Eau et bois à tous les étages : Michael Green, « le bois amène l’architecte à retrouver le sens de l’innovation »

Rédigé par Olivier NAMIAS
Publié le 13/03/2016

Wood Innovation and Design Center, Prince Geore, Colombie-Britannique (Canada), Micheal Green architecte

Dossier réalisé par Olivier NAMIAS
Dossier publié dans le d'A n°242

Basé à Vancouver (Canada) et à Portland (États-Unis), Michael Green est un avocat actif de la construction en bois. Associé au promoteur REI lors de la consultation Réinventer Paris, il a proposé la construction d’une tour en bois sur le site de la porte Maillot. Il explique pourquoi ce qu’on appelle le « plyscraper Â», ou gratte-ciel de bois, est un cheval de bataille important pour le développement des technologies bois, autant que pour replacer l’architecte dans un rôle qu’il a progressivement perdu.

DA : Les projets de construction bois multiniveaux se multiplient en Europe et aux États-Unis. Néanmoins, peu d’immeubles parviennent à sortir de terre. Comment expliquez-vous cette lenteur et, face à ces blocages, pensez-vous qu’il soit réaliste de viser la construction de gratte-ciel bois ?

Michael Green : Nous pouvons avoir l’impression d’une certaine inertie, et il faut bien comprendre que les systèmes techniques concurrents du bois ont plus de cent ans de mise en Å“uvre derrière eux. Le monde du bâtiment prend du temps avant de valider l’innovation – la réglementation, par exemple, demande au minimum entre cinq et huit ans pour être modifiée. Malgré sa traditionnelle prudence, le secteur évolue rapidement. Les Australiens ont réécrit leur législation pour permettre la construction d’immeuble de douze étages. Du côté des entreprises et des maîtres d’ouvrage, on voit un réel intérêt, même chez les promoteurs. Les blocages qui subsistent sont surtout d’ordre émotionnel : il faut démontrer au public que le bois n’est pas moins solide ou plus vulnérable au feu que les solutions traditionnelles — béton et acier. Les technologies bois contemporaines n’ont plus rien en commun avec les solutions techniques employées au siècle dernier.

DA : Quelle serait la typologie idéale du « plyscraper Â»â€‰? Quand pourra-t-on voir la première tour en bois ?

MG : Si l’on s’en tient strictement aux données scientifiques, il n’y a pas d’obstacle à la construction d’un immeuble bois de 50 niveaux. Je pense pour ma part que la taille optimale d’une tour en bois se situe autour de 20 niveaux et, sans en faire une solution universelle, on pourrait la voir se développer plus dans les contextes urbains où elle correspondrait à un besoin. Il va encore falloir du temps pour construire la première tour réaliste d’un point de vue économique. Mais là encore, ce n’est pas si long dès lors que l’on mesure la révolution que cela représente dans le domaine de l’IGH depuis un siècle ! C’est une aventure très exaltante, non seulement du point de vue environnemental, mais aussi du point de vue sensible — habiter un espace fait de matériaux naturels, au lieu de matériaux fait par l’homme. Je pense que, d’ici dix ans, nous pourrons voir un IGH bois de trente niveaux.

DA : La réglementation, nous l’avons vu, freine encore le développement de la construction bois. Comment pourrait-on la faire évoluer ?

MG : Avoir une agence au Canada et aux États-Unis me permet des comparaisons. Le Canada est plus avancé, les États-Unis essayent de rattraper leur retard, et l’on voit des immeubles de neuf niveaux en bois en projet à Portland. Il y a toujours moyen de contourner les limites imposées par la réglementation, qui reste restrictive dans la plupart des pays. Elle fixe des limites sans véritable justification, se référant aux façons dont on construisait avant, et dont on combattait le feu par le passé ; elle prescrit des solutions techniques qui n’ont plus de sens aujourd’hui, etc. C’est comme cela qu’en France, ou ailleurs, la réglementation finit par restreindre l’innovation. Ce n’est pas le cas au Royaume-Uni, ou l’on peut construire ce que l’on veut, du moment que l’on démontre que les solutions techniques que l’on propose sont viables.

DA : Selon vous, l’innovation devrait être la préoccupation centrale de l’architecte. Pourquoi ?

MG : Je pense qu’aujourd’hui une partie des architectes se perçoit encore comme des créateurs de formes alors que, selon moi, ils devraient se focaliser sur l’innovation, la façon dont nous pouvons contribuer à améliorer l’environnement, la vie. Face aux architectures spectaculaires comme celles de Zaha Hadid ou Frank Gehry, il faut réhabiliter l’architecture ordinaire qui constitue le tissu urbain, comme à Paris par exemple, et mettre le bâtiment au service de la ville plutôt que de vouloir à chaque fois être le Donald Trump de la ville. À chaque fois que l’architecte se place sur le terrain de l’esthétique, il devient ésotérique et obscur. De grandes architectures peuvent être discrètes.

DA : Le bois pourrait-il être un des vecteurs fondamentaux de l’innovation?

MG : Incontestablement, car il permet d’évoluer dans nos façons de construire, et ces changements redonnent à l’architecture une place plus pertinente dans la société. Aujourd’hui, l’architecte ne doit pas s'intéresser qu’à l’aspect du matériau, mais aussi à sa composition, à son énergie grise, à l’impact de sa fabrication sur l’environnement, à sa durabilité, à sa capacité à être recyclée... Il quitte son statut de consommateur de produits industriels pour devenir une sorte de chasseur de matériaux. Par exemple, notre utilisation du bois nous a amenés à travailler avec différentes compagnies, à examiner les types de colles, les essences de bois, leurs modes de traitement, etc., ce qui n’arrivait plus depuis longtemps dans la profession.

DA : D’autres secteurs de l’économie revendiquent leur caractère innovant et reçoivent pour cela un soutien des pouvoirs publics. Comment se place la construction bois ? L’urgence climatique est-elle favorable à son développement ?

MG : De la même façon qu’elle peut être freinée par les lobbies de l’acier et du béton, la construction bois souffre du climatoscepticisme. Beaucoup de personnes réfutant le changement climatique, au moins aux États-Unis, l’investissement dans des technologies qui le limitent n’est pas une priorité. Seule l’industrie du bois milite pour l’emploi du matériau, avec un succès limité. Alors que le secteur de la construction est responsable de 46 % des émissions de GES, le gouvernement fédéral n’a investi dans la construction que 0,0001 % de son fonds alloué à l’innovation ! La part ridicule de ce pourcentage tient à ce que les architectes, qui sont dans leur majorité de très petites entreprises, restent inaudibles et ne sont pas entendus par les pouvoirs publics. Leur réception de l’innovation n’est pas toujours facile. Nous nous en sommes aperçus lors de la consultation Réinventer Paris, qui devait faire émerger une architecture innovante. Notre proposition d’une tour en bois contiguë à la tour de l’hôtel Concorde a été rejetée, les immeubles de grandes hauteurs n’étant pas bienvenus dans le secteur ; mais si l’on souhaite vraiment innover, pourquoi s’imposer ce type de barrière ?

DA : Pour conclure, que faudrait-il faire pour développer la construction bois rapidement dans les années à venir ?

MG : Pour l’instant, il est très important de ne pas faire d’erreurs qui pourraient durablement discréditer la construction bois, quitte à aller un peu plus lentement. Nous avons besoin d’une bonne pédagogie autour des projets bois, nous avons aussi besoin d’entreprises, nous devons aussi partager les informations entre architectes, passer d’une logique de concurrence à une logique de coopération. Le bois nous incite autant à changer nos façons de concevoir que nos relations entre confrères !

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