Couloir entièrement vitré de le Landesklinikum Thermenregion Mödling en Autriche, |
Dossier réalisé par Antoine Kersse TOURNAIRE JULIA ET Longtemps
le lieu de l’hospitalisation, l’hôpital devient
peu à peu le lieu de l’ambulation. Autrefois
alité jusqu’à sa guérison, le patient peut désormais arpenter presque librement
les différents espaces d’un parcours de santé bien chronométré. Comment
l’architecte a-t-il pensé et représenté cette évolution pour l’intégrer Ã
l’architecture des lieux de soins ? |
Allongé, la tête légèrement surélevée, cible directe des rayons du soleil pénétrant une vaste ouverture : telle est la représentation qu’Alvar Aalto fait du patient du sanatorium de Paimio en Finlande. Dans cet établissement livré en 1933 et destiné au repos ensoleillé des malades atteints de tuberculose, la chambre occupe la place centrale du processus de convalescence. Dessinée spécifiquement et dans le moindre détail pour le confort de « l’homme horizontal », elle est le lieu au sein duquel il va passer la plupart de son temps, le regard plongé dans le vert profond du plafond. Les hôpitaux, et les sanatoriums surtout, sont alors des lieux de résidence à part entière, investis parfois pendant plusieurs années par toute une communauté de patients, à l’image des curistes de La Montagne magique1. Venus s’exposer au soleil, inhaler de l’air pur et profiter d’un environnement végétal, ils sont les habitants temporaires d’une architecture curative exaltant par sa forme ces éléments naturels potentiellement thérapeutiques. Le patient du nouvel hôpital de Venise conçu en 1964 par Le Corbusier est lui aussi représenté allongé dans sa cellule, bien que baigné de lumière zénithale cette fois et sans vue vers l’extérieur. Ce Modulor couché fait directement et dramatiquement référence au Sainte-Ursule flottant au-dessus d’une foule de pèlerins peint par Vittore Carpaccio en 1493 et reproduit par Le Corbusier dans ses croquis préliminaires. Tout comme pour le sanatorium de Paimio, la chambre de ce patient, érigé en homme universel par cette allusion au martyre des pèlerins, est l’unité élémentaire de l’édifice. C’est sa duplication horizontale et son regroupement autour de placettes elles-mêmes reliées par des ruelles qui devaient former l’hôpital, comme une analogie à la ville de Venise.
Les
patients de ces deux machines à guérir ont une pratique majoritairement
statique de l’hôpital. Dans cette conception de l’édifice hospitalier et dans
cette appréhension culturelle des soins, c’est en effet au monde extérieur de
venir jusqu’à « celui qui endure », le patiens2,
isolé et immobilisé dans sa chambre. Non pas que la circulation de ces mêmes
patients, de leurs visiteurs et des soignants ne soit pas prise en compte dans
la conception des architectures hospitalières « humanisées » des
années 1930-1970, mais elle reste une simple voie de desserte et d’irrigation
des chambres qui, elles, centralisent les soins. Le plan « rayonnant en
croix » de l’hôpital universitaire de Nantes (1951-1964) était par
exemple, pour son architecte Michel Roux-Spitz, un moyen efficace de limiter
les circulations afin d’éviter que chaque service ne devienne « un lieu d’allées
et venues provoquant le bruit et le désordre et favorisant l’indiscipline3 ». Le patient accède à son aile
spécialisée par le hall central concentrant tous les moyens d’accès et trouve
ensuite au sein d’un même étage l’essentiel des organisations nécessaires à son
traitement. Il n’a ainsi jamais à se déplacer verticalement ou à parcourir l’hôpital
pour rejoindre une autre aile.
L’hôpital sans lits
En
2013, Jean-Marie Le Guen, alors président du conseil de surveillance de l’AP-HP
(Assistance publique-Hôpitaux de Paris) acte la réforme et la reconfiguration
de l’Hôtel-Dieu, le plus ancien hôpital de Paris. C’est un « hôpital
debout4 » qu’il souhaite mettre en œuvre,
c’est-à -dire un hôpital sans lits, généralisant voire banalisant la pratique
ambulatoire. L’espace de déambulation verticale qu’est l’hôpital debout doit
désormais supplanter l’espace de résidence horizontale de l’hospice historique.
Cette transformation doit faire date et montrer l’exemple d’une politique de
soins qui cherche, depuis la loi hospitalière du 31 juillet 19915, à faire de la chirurgie ambulatoire
une réelle alternative à l’hospitalisation, comme c’est déjà le cas aux États-Unis
ou dans certains pays scandinaves. La pratique ambulatoire, censée révolutionner
l’hôpital, présenterait plusieurs avantages : patients moins exposés aux
infections contractées à l’hôpital, convalescence accélérée par le confort de l’espace
domestique, gain d’espace et d’efficacité dans l’organisation des services de
soins, réduction des coûts pour les établissements de santé. En 2019, en
France, 59 % des chirurgies se font en ambulatoire, chiffre qui affirme
cette tendance à la dérésidentialisation de l’hôpital, même s’il reste bien en
dessous des objectifs fixés par Agnès Buzyn en 20176.
Cette
évolution de la dimension hospitalière est visible jusque dans la
représentation du malade, qui s’est elle aussi transformée. Les architectes ne
représentent plus le patient couché et inerte, comme nous l’avons vu avec les dessins
d’Alvar Aalto et de Le Corbusier, mais debout et valide. C’est à « l’homme sain que l’image de l’hôpital s’adresse7 » désormais. Pour Renzo Piano, le
patient est aujourd’hui un homme en mouvement, comme l’illustre le dessin
réalisé spécifiquement pour ce dossier. Plongé dans un environnement à la fois
contrôlé et projeté vers l’extérieur, il séjourne dans sa chambre comme dans
son propre espace domestique. Grâce aux nouvelles technologies et au
développement de la réalité virtuelle, les hôpitaux sont même de plus en plus
représentés depuis le point de vue du patient, mais aussi de celui du personnel
hospitalier ou du visiteur. Le film en réalité virtuelle conçu par Richard
Copans pour l’agence Brunet Saunier Architecture8 propose par exemple à celui qui le
visionne de déambuler presque librement au sein de l’hôpital Nord Franche-Comté
et d’expérimenter ses espaces depuis l’intérieur. À la manière d’un usager réel
de l’hôpital, il se promène au sein de l’édifice, découvrant tour à tour le
hall, les salles de consultation et d’opération, les chambres, mais aussi les
zones de stockage et autres coulisses techniques dans lesquelles la machine
prévaut sur l’humain. Il prend ainsi connaissance du nouveau visage de l’hôpital
debout : un hôpital au sein duquel la chambre et le lit ne sont plus
forcément les unités centrales de l’institution hospitalière, un hôpital dont
la prolifération d’espaces intermédiaires, entre le tout logistique d’un côté
et le tout relationnel de l’autre, implique une appréhension dynamique du soin.
Le patient ne doit alors plus sa patience à la couleur du plafond mais aux
nombreux écrans et vues qui lui sont donnés à regarder tout au long de son
parcours.
L’hôpital
numérique et immatériel
L’hôpital
debout est donc également l’hôpital digital, un univers numérique à part
entière depuis sa conception jusqu’à son utilisation. Si, dans le cadre de l’exposition
« Phylum H », Richard Copans a fait l’exercice
de mettre en récit cette expérience virtuelle de l’hôpital a posteriori
pour la partager avec le plus grand nombre, elle est désormais utilisée de
manière courante en amont de la construction. La création d’un avatar numérique
de l’hôpital dès le début du projet rend non seulement possible la gestion de
la grande complexité organisationnelle et technique de l’architecture
hospitalière, mais aussi l’implication des futurs usagers dans son élaboration.
Via des dispositifs de Cave (Cave Automatic Virtual Environment) immersive,
développés en outre dans le cadre du HUS d’Helsinki conçu par Team Integrated9 ou du projet New North Zealand
conçu par Herzog & de Meuron, le personnel hospitalier est convié
à des séances de conception collective au cours desquelles il simule les gestes
inhérents à sa pratique médicale. Par cette projection physique – bien que
virtuelle – des espaces, il est ainsi en mesure d’éprouver son futur lieu
de travail et de faire évoluer presque simultanément le modèle échafaudé par l’équipe
de maîtrise d’œuvre, sans avoir à être nécessairement initié à la lecture de
vues géométrales, plans ou coupes.
La
transformation fonctionnelle de l’hôpital bouleverse sa conception et son
appréhension, comme nous avons pu le voir à travers l’évolution de la
représentation du patient. Le patient n’est plus celui qui endure mais celui
qui se contrôle, se soigne et se fait soigner. La chambre, quand elle fait
encore partie du programme, est un lieu de vie au confort domestique et aux
services hôteliers. Autrefois lieu de résidence et d’hospitalisation, l’hôpital
est désormais un espace fluide non sectorisé, entièrement organisé en fonction
des « circuits patients ». Autrefois forteresse, aux entrées et
sorties contrôlées, il est à présent un lieu ouvert sur la ville, un équipement
public de plus en plus relié à son environnement. D’un autre côté, il est aussi
de plus en plus technologique et immatériel, connecté à la fois aux centres de
soin du monde entier et à nos intérieurs par le biais de la télémédecine et des
applications dédiées. « L’incroyable essor de la santé en ligne10 » nous amène même à nous
demander si l’hôpital ne sera pas à l’avenir un lieu dans lequel nous n’irons
plus du tout, comme le propose l’agence OMA avec sa fable sur « l’hôpital
du futur11 ».
« L’hôpital
du futur » sera-t-il simplement une plateforme logistique de réception et
de traitement de commandes, un centre technique de concentration de nos données ?
Sera-t-il automatisé comme une usine automobile, autosuffisant comme une serre,
évolutif comme une scène de théâtre ? Une chose est certaine : l’évolution
rapide de la médecine et des pratiques de soins et la prise de conscience liée
aux événements pandémiques récents appellent au nécessaire renouvellement du
concept d’hospitalité. C’est une question de société mais aussi, de fait, une
question d’architecture. Quelle est donc l’architecture de ce renouvellement
hospitalier ?
1.
Thomas Mann, La Montagne magique, Paris, Fayard,
1931.
2. Le mot
« patient » est dérivé du latin patiens,
signifiant « celui qui endure » ou « celui qui souffre »,
et du verbe patios « souffrir, supporter,
endurer ».
3. Michel Roux-Spitz, Réalisations vol. III, 1943-1957, Paris Éditions
Vincent, Fréal & Cie, 1959, p. 56.
4. Éric Favereau,
« Sans lits, l’Hôtel-Dieu accueillera les patients debout », Libération,
3 avril 2013.
5.
Loi portant réforme hospitalière, à consulter sur
www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000720668/
6. Lors des Entretiens de
Bichat du jeudi 5 octobre 2017, Agnès Buzyn, alors ministre de la Santé,
fixe à 70 % l’objectif de chirurgie réalisée en ambulatoire d’ici 2022.
7.
Gérard Guez, « Image ouverte de l’hôpital », L’Architecture d’Aujourd’hui, n° 150, 1970.
8.
« Phylum H », exposition présentée en
2018 à la Galerie d’Architecture, Paris.
9. Team Integrated désigne
le regroupement, dans le cadre du projet pour le HUS d’Helsinki, des bureaux d’architecture
AW2 Architects / Architecture Workshop Finland Ltd, Bruner Saunier
Architecture, B & M Architecture Ltd et Harris-Kjisik Ltd.
10.
Frédéric Lemaître, « En Chine, l’incroyable essor de la santé en
ligne », Le Monde, 13 janvier 2021.
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