De l’hôpital-environnement à l’environnement hospitalier : l’architecture de la santé face aux questions écologiques

Rédigé par Antoine Kersse TOURNAIRE JULIA ET
Publié le 28/02/2021

Hôpital du Centre de chirurgie pédiatrique d'Entebbe, Ouganda par Renzo Piano Building Workshop

Dossier réalisé par Antoine Kersse TOURNAIRE JULIA ET
Dossier publié dans le d'A n°287

Et si ce qui primait dans la conception d’un hôpital n’était plus l’efficacité des pratiques de soins mais l’impact écologique de ces supermachines ? Si l’hôpital idéal était non seulement évolutif, mais aussi délicat envers son environnement autant qu’envers ses patients ? Le bilan carbone d’un hôpital est astronomique, non seulement du fait de la fonction hospitalière en elle-même mais aussi de son architecture et de sa construction. Sa mise en Å“uvre est en effet longue et complexe, et son inertie plus sociale que thermique. Comment donc l’ajuster aux problématiques contemporaines que sont le réchauffement climatique et la lutte pour la biodiversité ?

Au-delà de certains dispositifs verts anecdotiques et de la course générale à la certification environnementale, il semble que la réflexion se tourne surtout du côté de l’intégration du végétal au sein même de l’emprise hospitalière. Certains projets déforment le monobloc en plusieurs îlots imbriqués avec leur environnement naturel, comme le AZ Groeninge à Kortrijk, en Belgique, hôpital conçu par Baumschlager Eberle Architekten et livré en 2017. D’autres vont plus loin et font de cette proximité verte une ressource curative. Ce qui est bon pour l’environnement est bon pour l’homme, et inversement. Le modèle des sanatoriums ou encore du sanctuaire d’Asclépios, le temple hédoniste de la guérison divine, font alors référence. Les recherches plus récentes des psychologues environnementaux comme Roger Ulrich viennent également en appui d’une architecture qui se veut curative par elle-même. Auteur de nombreux articles, dont le plus célèbre « La vue à travers la fenêtre peut influencer le rétablissement suite à une opération chirurgicale1 Â», ce professeur d’architecture aurait établi la preuve scientifique de l’influence de l’environnement bâti et naturel sur le temps de guérison des patients. Les Maggie’s Centres, nommés d’après Maggie Keswick Jencks, auteure du premier centre de soins exploitant les bienfaits du design sur les malades atteints du cancer, sont les ambassadeurs de cette vision à travers le monde. Les bâtiments illustres de Norman Foster, OMA, Heatherwick Studio ou Benedetta Tagliabue & Patricia Urquiola en sont les symboles. Depuis la construction du premier centre en 1996, le healing est devenu le principe ordonnateur d’architectures hospitalières centrées sur le patient, baignées de lumière naturelle et accordant une grande importance au paysage.

 

Les arches hospitalières du healing

Pour accueillir des jardins de plus en plus vastes et doubler leur potentiel curatif pour l’ensemble du vivant, les patios s’élargissent et les toits se végétalisent. Dans le futur hôpital pour enfants de Bologne, commissionné par la Fondazione Hospice Seragnoli et conçu par Renzo Piano Building Workshop, les pavillons abritant les appartements des accompagnants, les chambres et les espaces de méditation se hissent au-dessus du sol pour habiter, telles des cabanes, un espace lumineux en contact direct avec le feuillage des arbres. Des passerelles les connectent par les airs, libérant encore plus le sol, pensé lui aussi dans la continuité des espaces verts environnants. Le reste des programmes, dont les parkings, est logé en sous-sol pour laisser la forêt s’inviter au plus près du complexe hospitalier. Parfois même, la nature est englobée par le bâti lui-même. L’Ospedale dell’Angelo à Mestre en Italie, conçu par Emilio Ambasz en 2008, accueille ses visiteurs dans un grand jardin d’hiver, débordant d’arbres, de fleurs et de plantes aromatiques. Présenté comme le premier hôpital entièrement « vert Â», il offre à chaque patient une vue sur les différentes plantations cultivées sous sa verrière ou parmi les lacs, bois, collines et prairies qui l’entourent.

Le New North Zealand Hospital conçu par Herzog & de Meuron et dont la livraison est prévue pour 2024 renvoie quant à lui l’image d’un hôpital-parc ou d’un « pavillon dans une forêt Â». Comme lui, l’ensemble des « superhôpitaux Â» commandés par le Danemark – suite à la réforme de son système de santé initiée en 2000 â€“ formalisent « l’idéal d’une santé inscrite dans son rapport à la nature2 Â» et actent la « disparition de l’architecture hospitalière dans son environnement3 Â». L’hôpital New North Zealand dissimule ses 118 000 m2 sous et autour d’un cÅ“ur végétal conçu pour ressembler aux « heathlands Â» du Danemark. Creusés de cours laissant pénétrer la lumière naturelle, les deux étages de soins et de consultation fabriquent le socle de ce paysage intérieur et répondent aux exigences d’un hôpital moderne, avec des distances et des connexions maîtrisées. Deux étages supplémentaires abritant les 570 chambres serpentent de manière plus libre autour du jardin. Tout dans cet hôpital horizontal est pensé à échelle humaine, en contrepoids des machines hospitalières des années précédentes que les architectes jugent trop monumentales et imposantes. Le patient doit se sentir en sécurité dans un univers domestique qui l’enveloppe par sa matérialité et son rapport au végétal. La présence du bois est manifeste et répond à un usage aussi symbolique qu’écologique. Le soin, même si elle est de plus en plus technologique, doit paraître aussi naturel que l’hôpital lui-même.

 

Le « semis hospitalier Â» du greening

La prise en compte de la nature et de sa valeur thérapeutique recompose des univers hospitaliers plus verts et plus soucieux de leur environnement, d’autant plus qu’ils développent, la plupart du temps, une ingénierie écologique astucieuse. On peut néanmoins se demander si ces éléments, bien qu’ils témoignent d’un engagement certain envers la question environnementale, suffisent à en faire des bâtiments à la hauteur des objectifs qui doivent être les nôtres. Ces hôpitaux-environnement restent des édifices avides d’espace, de matière et d’énergie. La domestication et l’absorption du végétal les rendent paradoxalement encore plus étendus qu’ils ne l’étaient auparavant, et c’est alors aux arbres et pelouses que revient la tâche de les « humaniser Â». Aussi, leur échelle les éloigne des zones urbaines déjà équipées. L’artificialisation d’espaces naturels et la mise en Å“uvre de nouvelles infrastructures de raccordement (voiries, canalisations, transports en commun, etc.) sont alors incontournables. En 1970, Gérard Guez militait déjà pour « un réseau hospitalier léger plutôt que lourd, diffus et divers plutôt que tour d’ivoire4 Â». À l’orée de villes compactes et durables, ne faudrait-il pas précisément limiter « la présence d’organismes dévoreurs d’espace Â», même sous la forme de cités hospitalières boisées, et opter pour un modèle éclaté en « un semis hospitalier coordonné à l’échelle de tout le territoire5 Â» ?

Il semble en effet plus aisé de concilier fonctionnalité hospitalière et enjeux environnementaux au sein d’édifices de petite échelle, libérés d’un certain nombre de contraintes. Le greening des hôpitaux pourrait en outre être synonyme de modération, au niveau notamment des ressources employées à la construction. Le contexte très spécifique de l’Ouganda a encouragé RPBW Architectes à utiliser le terrain excavé pour construire les murs porteurs du centre chirurgical pour enfants d’Entebbe avec la technique ancestrale du pisé. La quasi-totalité des matériaux était ainsi disponible localement, tout comme la main-d’œuvre. Le toit est, lui, formé d’une structure de verrière suspendue supportant 3 600 m2 de panneaux photovoltaïques, garantissant à l’hôpital une alimentation électrique autonome. Il flotte au-dessus du bâtiment, le protégeant naturellement du soleil.

Plus proche de chez nous, le pôle médical de Taverny, conçu par MAAJ architectes et livré en janvier 2020, présente une utilisation massive du bois, en structure et en façade. Les porteurs, l’ossature des murs, les planchers et les charpentes : presque toutes les surfaces sont en bois lamellé. La climatologie du volume est également contrôlée par des façades extérieures protectrices et des espaces intérieurs ventilés naturellement. Des toitures à quatre pans couronnent l’ensemble et diffusent une lumière zénithale sur l’ensemble des circulations internes. Au sein de ce cloître en bois, écrin intime d’un patio en forme de croix, on retrouve la volonté d’envelopper le patient dans un milieu curatif et bienveillant. Par sa matérialité, ce pôle médical s’inscrit de manière délicate au sein d’un environnement urbain ordinaire. Positionné au détour d’une rue, non loin de la piscine et de la poste de Taverny, aligné au tissu pavillonnaire de cette commune de seconde couronne parisienne, il incarne avec modestie le visage d’une institution médicale de proximité. Alimentant et alimenté par la ville, il laisse entrevoir toutes les qualités qu’un « semis hospitalier Â» pourrait faire germer.

Un maillage plus serré de bâtiments d’échelle mesurée réduirait l’inertie de la conception et de la construction, et permettrait d’expérimenter plus librement la mise au vert de l’architecture hospitalière. Ponctué d’un réseau de petits édifices vertueux, l’ensemble du territoire pourrait ainsi se métamorphoser en un vaste environnement hospitalier. Si cette vision prospective laisse volontairement de côté les données complexes qui orientent aujourd’hui la conception d’un hôpital pour prioriser son rapport à l’environnement, elle met toutefois en évidence l’importance de dépasser le « centre Â» hospitalier pour penser à l’échelle d’un « territoire Â» hospitalier.

 

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