Hôpital du Centre de chirurgie pédiatrique d'Entebbe, Ouganda par Renzo Piano Building Workshop |
Dossier réalisé par Antoine Kersse TOURNAIRE JULIA ET Et si ce qui primait dans la conception d’un hôpital n’était
plus l’efficacité des pratiques de soins mais l’impact écologique de ces
supermachines ? Si l’hôpital idéal était non seulement évolutif, mais
aussi délicat envers son environnement autant qu’envers ses patients ? Le
bilan carbone d’un hôpital est astronomique, non seulement du fait de la
fonction hospitalière en elle-même mais aussi de son architecture et de sa
construction. Sa mise en Å“uvre est en effet longue et complexe, et son inertie
plus sociale que thermique. Comment donc l’ajuster aux problématiques
contemporaines que sont le réchauffement climatique et la lutte pour la
biodiversité ? |
Au-delà de certains dispositifs verts anecdotiques et de la course générale à la certification environnementale, il semble que la réflexion se tourne surtout du côté de l’intégration du végétal au sein même de l’emprise hospitalière. Certains projets déforment le monobloc en plusieurs îlots imbriqués avec leur environnement naturel, comme le AZ Groeninge à Kortrijk, en Belgique, hôpital conçu par Baumschlager Eberle Architekten et livré en 2017. D’autres vont plus loin et font de cette proximité verte une ressource curative. Ce qui est bon pour l’environnement est bon pour l’homme, et inversement. Le modèle des sanatoriums ou encore du sanctuaire d’Asclépios, le temple hédoniste de la guérison divine, font alors référence. Les recherches plus récentes des psychologues environnementaux comme Roger Ulrich viennent également en appui d’une architecture qui se veut curative par elle-même. Auteur de nombreux articles, dont le plus célèbre « La vue à travers la fenêtre peut influencer le rétablissement suite à une opération chirurgicale1 », ce professeur d’architecture aurait établi la preuve scientifique de l’influence de l’environnement bâti et naturel sur le temps de guérison des patients. Les Maggie’s Centres, nommés d’après Maggie Keswick Jencks, auteure du premier centre de soins exploitant les bienfaits du design sur les malades atteints du cancer, sont les ambassadeurs de cette vision à travers le monde. Les bâtiments illustres de Norman Foster, OMA, Heatherwick Studio ou Benedetta Tagliabue & Patricia Urquiola en sont les symboles. Depuis la construction du premier centre en 1996, le healing est devenu le principe ordonnateur d’architectures hospitalières centrées sur le patient, baignées de lumière naturelle et accordant une grande importance au paysage.
Les arches hospitalières du healing
Pour accueillir des jardins de plus en plus vastes et doubler
leur potentiel curatif pour l’ensemble du vivant, les patios s’élargissent et
les toits se végétalisent. Dans le futur hôpital pour enfants de Bologne,
commissionné par la Fondazione Hospice Seragnoli et
conçu par Renzo Piano Building Workshop, les pavillons abritant les
appartements des accompagnants, les chambres et les espaces de méditation se
hissent au-dessus du sol pour habiter, telles des cabanes, un espace lumineux
en contact direct avec le feuillage des arbres. Des passerelles les connectent
par les airs, libérant encore plus le sol, pensé lui aussi dans la continuité
des espaces verts environnants. Le reste des programmes, dont les parkings, est
logé en sous-sol pour laisser la forêt s’inviter au plus près du complexe
hospitalier. Parfois même, la nature est englobée par le bâti lui-même. L’Ospedale
dell’Angelo à Mestre en Italie, conçu par Emilio Ambasz en 2008, accueille ses
visiteurs dans un grand jardin d’hiver, débordant d’arbres, de fleurs et de
plantes aromatiques. Présenté comme le premier hôpital entièrement
« vert », il offre à chaque patient une vue sur les différentes
plantations cultivées sous sa verrière ou parmi les lacs, bois, collines et
prairies qui l’entourent.
Le New North Zealand Hospital conçu par Herzog & de Meuron
et dont la livraison est prévue pour 2024 renvoie quant à lui l’image d’un
hôpital-parc ou d’un « pavillon dans une forêt ». Comme lui, l’ensemble
des « superhôpitaux » commandés par le Danemark – suite à la
réforme de son système de santé initiée en 2000 – formalisent « l’idéal
d’une santé inscrite dans son rapport à la nature2 » et
actent la « disparition de l’architecture hospitalière dans son
environnement3 ». L’hôpital New North Zealand dissimule ses 118 000 m2 sous et autour d’un cœur végétal conçu pour
ressembler aux « heathlands » du Danemark. Creusés de cours laissant
pénétrer la lumière naturelle, les deux étages de soins et de consultation
fabriquent le socle de ce paysage intérieur et répondent aux exigences d’un
hôpital moderne, avec des distances et des connexions maîtrisées. Deux étages
supplémentaires abritant les 570 chambres serpentent de manière plus libre
autour du jardin. Tout dans cet hôpital horizontal est pensé à échelle humaine,
en contrepoids des machines hospitalières des années précédentes que les
architectes jugent trop monumentales et imposantes. Le patient doit se sentir
en sécurité dans un univers domestique qui l’enveloppe par sa matérialité et
son rapport au végétal. La présence du bois est manifeste et répond à un usage
aussi symbolique qu’écologique. Le soin, même si elle est de plus en plus
technologique, doit paraître aussi naturel que l’hôpital lui-même.
Le « semis hospitalier » du greening
La prise en compte de la nature et de sa valeur thérapeutique
recompose des univers hospitaliers plus verts et plus soucieux de leur
environnement, d’autant plus qu’ils développent, la plupart du temps, une ingénierie
écologique astucieuse. On peut néanmoins se demander si ces éléments, bien qu’ils
témoignent d’un engagement certain envers la question environnementale,
suffisent à en faire des bâtiments à la hauteur des objectifs qui doivent être
les nôtres. Ces hôpitaux-environnement restent des édifices avides d’espace, de
matière et d’énergie. La domestication et l’absorption du végétal les rendent
paradoxalement encore plus étendus qu’ils ne l’étaient auparavant, et c’est
alors aux arbres et pelouses que revient la tâche de les
« humaniser ». Aussi, leur échelle les éloigne des zones urbaines
déjà équipées. L’artificialisation d’espaces naturels et la mise en œuvre de
nouvelles infrastructures de raccordement (voiries, canalisations, transports
en commun, etc.) sont alors incontournables. En 1970, Gérard Guez militait déjÃ
pour « un réseau hospitalier léger plutôt que lourd, diffus et divers
plutôt que tour d’ivoire4 ». À l’orée de villes compactes et durables, ne
faudrait-il pas précisément limiter « la présence d’organismes dévoreurs d’espace »,
même sous la forme de cités hospitalières boisées, et opter pour un modèle
éclaté en « un semis hospitalier coordonné à l’échelle de tout le
territoire5 » ?
Il semble en effet plus aisé de concilier fonctionnalité
hospitalière et enjeux environnementaux au sein d’édifices de petite échelle,
libérés d’un certain nombre de contraintes. Le greening
des hôpitaux pourrait en outre être synonyme de modération, au niveau notamment
des ressources employées à la construction. Le contexte très spécifique de l’Ouganda
a encouragé RPBW Architectes à utiliser le terrain excavé pour construire les murs porteurs
du centre chirurgical pour enfants d’Entebbe avec la technique ancestrale du
pisé. La quasi-totalité des matériaux était ainsi disponible localement, tout
comme la main-d’œuvre. Le toit est, lui, formé d’une structure de verrière
suspendue supportant 3 600 m2 de panneaux photovoltaïques,
garantissant à l’hôpital une alimentation électrique autonome. Il flotte
au-dessus du bâtiment, le protégeant naturellement du soleil.
Plus proche de chez nous, le pôle
médical de Taverny, conçu par MAAJ architectes et livré en janvier 2020,
présente une utilisation massive du bois, en structure et en façade. Les
porteurs, l’ossature des murs, les planchers et les charpentes : presque
toutes les surfaces sont en bois lamellé. La climatologie du volume est
également contrôlée par des façades extérieures protectrices et des espaces
intérieurs ventilés naturellement. Des toitures à quatre pans couronnent l’ensemble
et diffusent une lumière zénithale sur l’ensemble des circulations internes. Au
sein de ce cloître en bois, écrin intime d’un patio en forme de croix, on
retrouve la volonté d’envelopper le patient dans un milieu curatif et
bienveillant. Par sa matérialité, ce pôle médical s’inscrit de manière délicate
au sein d’un environnement urbain ordinaire. Positionné au détour d’une rue,
non loin de la piscine et de la poste de Taverny, aligné au tissu pavillonnaire
de cette commune de seconde couronne parisienne, il incarne avec modestie le visage
d’une institution médicale de proximité. Alimentant et alimenté par la ville,
il laisse entrevoir toutes les qualités qu’un « semis hospitalier »
pourrait faire germer.
Un maillage plus serré de bâtiments d’échelle
mesurée réduirait l’inertie de la conception et de la construction, et
permettrait d’expérimenter plus librement la mise au vert de l’architecture
hospitalière. Ponctué d’un réseau de petits édifices vertueux, l’ensemble du
territoire pourrait ainsi se métamorphoser en un vaste environnement
hospitalier. Si cette vision prospective laisse volontairement de côté les
données complexes qui orientent aujourd’hui la conception d’un hôpital pour
prioriser son rapport à l’environnement, elle met toutefois en évidence l’importance
de dépasser le « centre » hospitalier pour penser à l’échelle d’un « territoire »
hospitalier.
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