Les grisons : modèle ou exception ?
Avec des commandes au Qatar ou à Hollywood, la renommée de Peter Zumthor a pu éclipser le contexte culturel dans lequel il a d’abord déployé ses talents. Avant de redessiner le Los Angeles County Museum of Art, c’est dans le milieu rural des Grisons qu’il a conçu ses premiers projets et qu’il continue d’ailleurs de travailler. Loin d’accaparer la commande ou d’éclipser la scène architecturale locale, il a permis à deux générations de confrères d’émerger à ses côtés. Si nous sommes allés à leur rencontre, ce n’est pas seulement pour le plaisir d’admirer une production dont l’indéniable ambition architecturale a souvent été soulignée, mais davantage pour comprendre comment elle a pu se développer dans un environnement – les territoires ruraux – aujourd’hui abandonné non par les architectes mais par l’architecture. Considérer que cette exception culturelle – un peu comme celle du Vorarlberg voisin – serait d’abord le fruit d’une commande miraculeusement éclairée ou de moyens budgétaires supérieurs aux nôtres nous ferait passer à côté de la véritable nature de cette exception.
Les architectes de ce canton des confins orientaux de la Suisse se sont bien sûr interrogés sur l’identité locale, sur ce qu’elle pouvait générer dans les imaginaires collectifs et sur les manières de les réinterpréter, mais ils se sont surtout impliqués fortement dans la vie économique et sociale de leurs vallées. Les jeunes praticiens ont appris à faire advenir la commande plutôt qu’à l’attendre, en s’impliquant par exemple dans la mise en place de ses financements. Artisans, producteurs et maîtres d’ouvrage sont aussi davantage impliqués et valorisés par les projets, permettant ainsi de constituer une culture commune et donc un espace de dialogue.
Vu de France, ce modèle de développement est sans doute idéalisé, mais les voies qu’il trace sont précieuses à l’heure où les campagnes françaises, loin de l’attention médiatique des banlieues, subissent une inexorable destruction. Des agences inventent pourtant de nouvelles manières d’intervenir sur ce territoire et tentent de le reconquérir. Ce sera, en décembre, le sujet de notre prochaine édition.
//Emmanuel Caille //