Divacurator
Idolâtré, haï – ou les deux à la fois –, Rem Koolhaas est depuis ces trois dernières décennies l'incontournable gourou des architectes, sans doute la figure d’architecte la plus importante depuis Le Corbusier. Même si son parcours ne révèle sa cohérence qu’après coup, il semble toujours frapper là où il n'est pas attendu. En virtuose du contre-pied, il a ainsi très vite su mettre en évidence la perversion du système des « starchitectes », auquel il appartient ; aujourd'hui, investi de son rôle de commissaire imperator de la quatorzième biennale d'architecture de Venise, il s'arroge le pouvoir d'en décréter la vanité. En occultant ostensiblement la « starchitecture » – absence ici érigée en manifeste, il ne prétend pas qu'elle va disparaître : il en signale l'obsolescence et l'incapacité à générer des principes fondamentaux, préférant imposer sur la lagune vénitienne le bilan d'un siècle de construction. Un constat que personne ne semblait vouloir accepter alors que, loin des récits héroïques, notre environnement construit aura rarement été déterminé par une démarche réellement architecturale. Paradoxalement, Koolhaas a dû mobiliser toute la puissance de son aura médiatique pour démontrer l'impotence de l'architecte envers la société.
Beaucoup ne lui pardonneront pas d'avoir brisé ce rêve : les architectes et journalistes venus faire leur marché de tubards ou d'images pour les concours à venir en seront terriblement dépités. Pourtant l'histoire nous aide à comprendre comment nous en sommes arrivés là et comment agir sur le réel. Elle ouvre à l'interprétation et à l'invention, elle est l'antidote au passéisme avec lequel les Bouvard et Pécuchet de l’architecture dite « contemporaine » la confondent trop souvent.
//Emmanuel Caille//