Mouvement perpétuel
Depuis la dernière réaction historiciste des années quatre-vingt et les impasses ou compromissions dans lesquelles elle a fini par se perdre, l’architecture semble parfois évoluer dans un monde où tout est permis. Entre la plasticité débridée, la débauche d’effets scénographiques ou, au contraire, la raideur idéologique et techniciste que semble autoriser le développement durable, l’histoire paraît définitivement mise au placard.
Il est cependant encore des architectes qui, libérés de tout historicisme, puisent la matière de leur réflexion en se confrontant à l’héritage de leurs prédécesseurs. Dès lors qu’elle ne se réduit pas à un catalogue de belles images, la culture architecturale se révèle être indispensable à l’accouchement de propositions réellement fécondes. C’est en tout cas ce que montrent deux réalisations pourtant radicalement différentes présentées dans le d’a de ce mois-ci : la Platine de la Cité du design de l’agence LIN et l’école de Leutschenbach de Christian Kerez. Si l’une renvoie davantage à Buckminster Fuller ou Yona Friedman et l’autre à Louis Kahn ou Livio Vacchini, elles se réfèrent moins à l’œuvre elle-même de ces derniers qu’aux interrogations qu’elle soulevait. Seul ce ressourcement systématique de la pensée permet d’inscrire le projet dans la dynamique vertueuse qui, reliant art, technique et société dans un va-et-vient permanent avec l’histoire, fait de l’architecture une culture vivante et non pas « la pétrification d’un moment de culture » comme ce à quoi certains imaginent pouvoir la réduire.
Emmanuel Caille