Qu’il le veuille ou non, c’est bien une révolution culturelle que le monde du bâtiment va devoir entre p re n d re. Les enjeux d’un développement écoresponsable se sont longtemps joués sur une petite scène hétéroclite composée de praticiens militants, de courageux pionniers ou d’hurluberlus plus ou moins réactionnaires. Ils s’imposent, désormais, au premier plan des préoccupations politiques. Appréhension de la menace à laquelle nous expose une consommation frénétique? Opportunisme médiatique? Ou, plus prosaïquement, prise de conscience des potentialités d’un secteur industriel prometteur, à l’heure où la croissance semble justement se dérober? Qu’ i m p o rte, le gouvernement et son ministre de l’Écologie, du Développement et de l’Aménagement durables paraissent décidés à frapper un grand coup. Ils ont réussi, dans un premier temps, à fédérer tous les partenaires au-delà des clivages politiques. L’architecture, contrairement à ce que certains ont pu croire, n’a pas été oubliée. Même si elle n’apparaissait pas clairement dans les six groupes de travail présentés en juillet. Jean-Louis Borloo a confié une mission d’expertise à l’architecte Françoise-Hélène Jourda sur la prise en compte du développement durable dans la construction. Le 21 septembre, elle lui a remis un rapport de 33 pages établissant un diagnostic de la situation et proposant des mesures et des modalités qui devraient permettre de mener à terme cette révolution. Son succès dépendra de l’équilibre trouvé entre la grande ambition des mesures proposées et les possibilités de leur application telle qu’elle sera évaluée par les professionnels –architectes, ingénieurs, entrepreneurs et maîtres d’ouvrage. Des objectifs trop importants risquent de provoquer un mouvement de rejet. Il faudra probablement agir sur les points les plus sensibles, c’est-à -dire là où les menaces écologiques paraissent les plus imminentes, et également dans les domaines où les résultats seront les plus tangibles. En clair, il faudra passer du militantisme intransigeant à une évaluation des stratégies les plus efficaces. Des associations aux institutions publiques, nombre d’actions ont été conduites depuis dix ans sans que la France ait pu rattraper son re t a rd sur ses voisins européens. La multiplicité et la complexité des labels et organismes ont transformé les meilleures intentions en obstacles. C’est la première leçon que devront retenir les concepteurs des mesures issues de ce Grenelle de l’environnement. Mais la difficulté majeure de ce défi réside dans son ambition holistique. Holistique, cette ambition l’est dans la mesure où elle se propose d’envisager la diversité des données comme un ensemble solidaire dont chaque élément ne peut se comprendre que par le tout. Ainsi, chaque démarche environnementale n’a de sens qu’au rega rd de l’ensemble des données géographiques, historiques, économiques, sociales et culturelles auxquelles elle se réfère. Lorsque chaque décision et chaque choix de conception ne peuvent être évalués qu’en fonction de leur contexte, lorsque qu’une démarche n’a pas de valeur en elle-même, comment alors parvenir à légiférer? La nouvelle politique ne pourra pas se passer d’un nouvel arsenal réglementaire, mais elle aboutira à un échec si elle conduit à multiplier les contraintes déjà très lourdes qui pèsent sur la conception des bâtiments. Il faut instituer un système qui, plutôt qu’interdire, oblige à inventer. Par exemple, l’isolation par l’extérieur : si ce procédé paraît aujourd’hui le moyen le plus efficace et le plus économique d’isoler thermiquement les habitations, le rendre obligatoire serait se priver de l’imagination de concepteurs qui sauront développer d’ a u t res techniques ou des stratégies alternatives. Une architecture réussie, dont la définition échappe à toute réglementation, reste cependant le meilleur critère de durabilité d’un bâtiment. Trop d’architectes se sont servis de l’alibi du développement durable pour produire une architecture médiocre, et trop d’architectes se sont abrités derrière ces échecs pour faire l’économie d’une attitude écoresponsable. Oui, cette révolution représente une importante remise en question des pratiques architecturales. Le danger qu’elle conduise à un appauvrissement des formes d’habiter est réel et serait catastrophique. Aux architectes d’en renouveler fondamentalement les valeurs en se saisissant de ces potentialités.
Emmanuel Caille