L’ endroit est plutôt calme, vous y trouverez beaucoup d’espace libre, propre, vous y rencontrerez peu de pauvreté, les bâtiments sont assez bien entretenus , vous êtes proche de la campagne, voire au milieu des pâturages. Ces lieux sont pourtant parmi les plus méprisés, on leur préfère la monstrueuse densité du Caire, l’infernale misère de Lagos, la vulgarité de Las Vegas. À l’ennui, on préfère le dégoût et la fascination. Indéniable marque de disgrâce, l’ architecture contemporaine peut s’y exprimer sans vergogne , sans que personne ne s’en offusque. Il est vrai que les «zones d’ activités» sont souvent une manne pour les communes. Elles leur apportent une taxe professionnelle inespérée qui leur permet enfin de remplacer tous les réverbères de l’ avenue principale par des modèles flambant neufs à l’ancienne, ou même de créer des carrefours giratoires décorés de charrettes fleuries et, cerise sur le gâteau, de créer des emplois. On peut bien tout leur pardonner. Force est cependant de constater que l’ architecture n’y est pas plus médiocre qu’ailleurs. Le sentiment d’ennui et de tristesse que leur traversée produit invariablement sur notre humeur provient beaucoup plus de la pauvreté des rapports que les bâtiments entretiennent entre eux et avec l’espace public que de leurs qualités intrinsèques. Si une grande partie de ces constructions, entrepôts , bâtiments d’activités, ateliers, échappent au savoir-faire des architectes, certaines qui leur sont confiées sont pour eux l’ opportunité d’un exercice de style redoutable: concevoir selon des contraintes de fonctionnement très fortes pour des budgets minima et dans des délais très serrés. L’ exercice, austère, peut être également très stimulant, comme en témoignent les bâtiments qui illustrent notre dossier consacré ce mois-ci à l’architecture des zones d’ activités .
Emmanuel Caille