Les crises sociales, c’est normal, conduisent toujours à exacerber les manichéismes, comme pour mieux nier la complexité des questions en jeu. Moins on comprend, plus il faut des boucs émissaires : flics, politiciens, immigrés, architectes. En attendant de réaliser que la récente recrudescence de l’usage du cocktail Molotov relève d’un ordre de raisons qui nous échappe encore, chacun aboie, accuse et crie vertu pour mieux se disculper d’une responsabilité qui nous incombe pourtant à tous. Les « grands ensembles » sont le décor expiatoire de ce théâtre dont se délecte chaque soir la télévision. Il est vrai que pour la mémoire de quelques barres ou tours auxquelles on reconnaît aujourd’hui des qualités que n’atteignent pas la plupart des architectures actuelles, on ne peut omettre de rappeler que beaucoup d’architectes se sont hier faits complices d’un urbanisme indigent. Leur cynisme et leur bêtise ne doivent pas être oubliés. Mais croire que les émeutes n’auraient pas lieu avec la même violence dans un environnement pavillonnaire relève de l’ignorance. D’abord parce que, comme à Los Angeles, c’est justement dans ce type d’habitat que les premières violences urbaines de ce genre se sont déclenchées, et ensuite parce que les tares dont sont chargées, souvent avec raison il est vrai, les cités sont justement atténuées par la relative densité de leur organisation. Croit-on réellement que l’étalement urbain résout les problèmes de désenclavement, de transport ou d’équipement de proximité ? L’heureux propriétaire d’une maison de nain de jardin derrière son grillage au fond d’une raquette de lotissement crée-t-il du lien social ? Non, malgré leur déficience coupable de qualité urbaine, la ségrégation des cités ne leur est pas intrinsèque et c’est, au contraire, le développement inexorable de l’habitat pavillonnaire qui contribue, par l’exclusion de l’autre, à la relégation. Emmanuel Caille