Construire en pisé en zone sismique : obstacles et solutions

Rédigé par Dominique GAÜZIN-MULLER
Publié le 05/11/2020

Essais IUT au FCBA

Dossier réalisé par Dominique GAÜZIN-MULLER
Dossier publié dans le d'A n°285

Au sein du bureau d’études TPFI, l’ingénieur Olivier Gonzales est en charge des structures de projets de grande envergure, auxquels il insuffle sa conscience écoresponsable. Après avoir découvert la technique du pisé avec l’extension de l’IUT de Tarbes, il travaille sur des projets en terre coulée ou en brique de terre compressée, sans négliger les filières sèches et la construction en bois. C’est sous son égide que Pierre Caubère a réalisé son stage de fin d’études sur la caractérisation du pisé en zone sismique. Le jeune diplômé de l’INSA de Toulouse développe désormais les sujets d’écoconception au sein de TPFI.

Dominique Gauzin-Müller : Votre culture est celle de la construction en béton armé et des charpentes en bois ou en acier. Comment avez-vous réagi la première fois que l’on vous a parlé de terre crue ?

Olivier Gonzales : Nous sommes curieux de nature et sensibilisés à la nécessité de construire de manière plus vertueuse. Nous avons conscience de l’impact de la production du ciment sur le changement climatique, et de la responsabilité morale liée à nos pratiques. Mais malgré la bonne volonté des équipes, le changement est difficile à porter dans les opérations de grande ampleur que nous avons l’habitude de traiter au sein du bureau d’études TPFI. La construction du nouveau bâtiment dédié à l’enseignement des écomatériaux sur le site de l’IUT de Tarbes, dessiné par l’agence Mil Lieux et GP architectes, a été pour nous l’occasion de nous lancer, et d’expérimenter une pratique respectueuse avec de la terre crue mise en Å“uvre selon la technique du pisé. Nous connaissions déjà les vertus inhérentes au matériau : forte inertie, amélioration hygrométrique, important déphasage. Mais nous avions du mal à sortir de l’image de l’autoconstructeur qui bâtit ses murs en terre.
La première excitation passée, nous avons eu l’impression de nous trouver face une immense quantité d’obstacles que nous avons dû contourner ou franchir l’un après l’autre, pas à pas, avec en filigrane la force de persuasion qu’il a fallu étendre à l’ensemble des partenaires, et notamment au bureau de contrôle. Les challenges étaient nombreux : zone sismique 4 (la plus forte en France métropolitaine), absence de gisement à proximité, manque d’artisans dans cette région au pied des Pyrénées, etc. Le défi était grand, et nous tenons à souligner le courage et la persévérance de la Région Occitanie et de son assistant à la maîtrise d’ouvrage, l’Agence régionale aménagement et construction, qui nous ont accordé leur confiance et leur soutien dans cette entreprise.

L’IUT de Tarbes est en zone sismique 4. Comment avez-vous abordé cette contrainte très forte pour la construction en pisé ?

Nous étions conscients que le pisé présente, par nature, des plans de cisaillement préférentiels entre couches peu compatibles avec les efforts horizontaux engendrés par un séisme, surtout en zone 4. Nous avons été confrontés à une première difficulté : l’absence de littérature spécifique traitant de la construction en terre en zone sismique. Pierre Caubère a réalisé dans le cadre de son diplôme une importante étude bibliographique sur le sujet, en interrogeant différents acteurs et laboratoires de recherche à travers le monde. Nous sommes rapidement arrivés à une solution qui consiste à armer le pisé en son cÅ“ur avec des tiges filetées. Nous avons ainsi pu « liaisonner Â» les couches entre elles, comme dans une maçonnerie chaînée : le pisé travaille très bien en compression et les armatures en traction au soulèvement. Comme pour toute technique expérimentale, il existait des zones d’ombre, comme par exemple les efforts conséquents qu’une telle masse en mouvement pouvait engendrer. Nous avons puisé dans l’architecture vernaculaire afin de trouver la solution. Nous avons ainsi décliné la technique du colombage, en proposant un système de cadres en bois contreventant l’ensemble. Et pour faciliter la préfabrication, le bâtiment a été découpé en plusieurs modules de 3 m de hauteur par 1,50 m de largeur chacun.

Comment avez-vous validé cette solution ?
Pour tester nos hypothèses et calculs empiriques, et les faire valider par le contrôleur technique (Veritas), nous avons réalisé en décembre 2018 des tests grandeur nature sur table sismique au FCBA de Bordeaux. Les résultats de ces essais ont dépassé toutes nos espérances : les modules ont atteint leur limite non pas à 100 %, mais à plus de 350 %, de la limite nominale demandée par la réglementation sismique. Cela correspond à la puissance du séisme qui a détruit une partie de la ville de Kobe en 1995. Nos recherches, expérimentations et mises au point nous ont valu d’être lauréats du Grand Prix de l’ingénierie de la Région Occitanie en 2019.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées pendant les études et le chantier, et comment les avez-vous levées ?
Pendant la phase de conception, le frein majeur a été l’absence de référentiel réglementaire et de littérature légitime sur le sujet dans l’Hexagone. Il n’existait aucune règle professionnelle de la construction en terre, et nous nous sommes appuyés essentiellement sur des extraits de normes néo-zélandaises. Nous avons donc adopté une stratégie de contournement pour démontrer, grâce aux nombreuses sources extérieures, l’intuition que nous avions du potentiel de la matière terre. Nous voulions ainsi, entre autres, nous prémunir des contraintes très importantes liées aux demandes d’ATEx.
Matthieu Fuchs de l’agence Mil Lieux et Jean-Marie Le Tiec de CRAterre nous avaient prévenus que la principale difficulté du chantier serait de régler le problème des intempéries. Là encore, le choix du module et de la préfabrication s’est avéré positif. La matière terre étant fragile aux chocs, un grand soin a également été apporté lors des phases de levage et de pose. Les ingénieurs de « béton de ciment Â» que nous sommes ont aussi dû accepter de prendre du temps, notamment pendant les périodes de pisage et de séchage. Mais savoir quelquefois lever le pied est une bonne vertu !

Avec du recul, que pensez-vous du pisé et de la terre crue en général ?
Nous avons l’intuition que la terre crue est un matériau inégalable pour le confort et le ressenti dans les ambiances intérieures. Nous l’avons constaté dès la phase chantier : lorsqu’on pénètre dans des espaces entourés de pisé, on se sent bien. Il y fait bon et, surtout, ça ne sent pas le béton ! Mais en tant qu’ingénieur, nous aimons vérifier nos hypothèses, et c’est pourquoi nous sommes très curieux de pouvoir mesurer les vertus thermiques du pisé. Nous allons placer des capteurs dans le nouveau bâtiment de l’IUT de Tarbes afin de recueillir des données en termes de régulation hygrométrique et d’inertie thermique.

Êtes-vous prêts à recommencer l’aventure ?
Nous sommes tout à fait prêts à retenter l’expérience, à tester de nouvelles techniques avec des équipes de maîtrise d’œuvre et à aller encore plus loin dans la démarche. Le grand enjeu de la construction terre, en particulier pour le pisé, est de valoriser les déblais du terrassement. Nous sommes cependant conscients de la ténacité nécessaire pour mener à bien un projet en terre, surtout dans l’environnement français très réglementé. La pédagogie est la base de ce travail, car pour franchir collectivement les nombreux obstacles, il faut sans cesse convaincre tous les acteurs que cette démarche vertueuse en vaut la peine. C’est évidemment une aventure passionnante, mais il faut savoir s’entourer de partenaires aussi engagés que nous pour concrétiser ces opérations d’exception.

Exergue :
« Nous l’avons constaté dès la phase chantier : lorsqu’on pénètre dans des espaces entourés de pisé, on se sent bien Â» Olivier Gonzales



Extension de l’IUT de Tarbes

Les premiers bâtiments de l’Institut universitaire de technologie (IUT) de Tarbes ont été conçus en 1989 par Edmond Lay, disparu en novembre 2019. On y reconnaît immédiatement la filiation de ce grand admirateur de Frank Lloyd Wright : grandes lignes de toitures et utilisation de matières brutes. En 2015, la Région Occitanie a décidé de construire un nouveau bâtiment dédié à l’enseignement des écomatériaux. Ses frais de fonctionnement doivent être maîtrisés grâce à une démarche à énergie positive, qui commence par l’application des principes bioclimatiques. Le site retenu, sur la berge de l’Échez, est marqué par les arbres existants. Les architectes ont su composer avec cette végétation, qui apporte des contraintes mais aussi des avantages, notamment pour le contrôle de l’ambiance intérieure : ombres naturelles, effet d’îlot de fraîcheur, infiltration par bassin, etc.

Premier bâtiment en pisé français en zone sismique 4
L’équipement se compose de deux volumes : l’administration et un immeuble de deux niveaux regroupant les salles d’enseignement, les laboratoires de recherche et la grande halle d’expérimentation. L‘ensemble s’articule autour d’une rue centrale baignée par une lumière haute, qui met en valeur les éléments de charpentes tout en assurant un rafraîchissement naturel traversant. Le lieu se veut pédagogique et démonstrateur pour les étudiants. Il met en avant un maximum de matières brutes à côté d’échantillons mis en scène, d’écorchés sur la composition des parois et d’éléments de structure apparents. Mais la principale spécificité du projet, c’est la présence de la terre crue, utilisée en zone sismique 4 pour la première fois en France sous la forme de pisé, en murs structurels à la fois en extérieur et intérieur. Et pour que la démarche écoresponsable soit totalement sincère, la terre mise en Å“uvre valorise les déblais d’un chantier situé à quelques kilomètres de l’IUT.

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