Dominique Gauzin-Müller : Comment avez-vous fait pour faciliter l’appropriation de votre bibliothèque par les habitants ?
Lara Briz : Le bâtiment reprend la forme, les dimensions et les matériaux des maisons alentour. Sa toiture en tôle ondulée couvre un espace pour les réunions et les cours, une salle de lecture et une véranda. Les matériaux ont été trouvés à proximité : pierre pour le socle maçonné, terre du site pour les murs en pisé, bois pour la structure et les portes, lattes de bambou pour la paroi brise-soleil à croisillons et cyprès tressé pour les portes à claire-voie. La bibliothèque a été réalisée en quatre mois avec deux maçons, un charpentier et d’autres ouvriers locaux, ainsi que des bénévoles internationaux.
Le pisé est-il courant en Tanzanie ?
Les constructions sont plutôt en torchis, une technique qui consomme beaucoup de bois et crée un énorme problème de déforestation. Par ailleurs, les poteaux étant enterrés, leur partie basse est soumise à une humidité qui entraîne un pourrissement rapide, et l’ensemble de la structure doit être renouvelé environ tous les dix ans. À cause de la forte augmentation de son prix, le bois est de moins en moins accessible pour les populations défavorisées. De nouvelles techniques à base de terre crue (adobe, bauge, BTC) sont expérimentées dans ces régions, mais leur appropriation par les habitants est un processus lent et délicat.
Pourquoi avoir choisi le pisé ?
Nous avons testé la terre du terrain et préparé plusieurs échantillons que nous avons proposés à la communauté. Les villageois ne voulaient plus du torchis, dont les parois fines peuvent être détruites facilement par des voleurs, et préféraient des murs épais en pisé ou en bauge. Nous avons donc commencé le projet avec ces deux techniques, mais nous avons rapidement vu que les murs en pisé étaient à la fois plus beaux et plus rapides à construire. Ils demandent aussi moins d’eau, ce qui est décisif quand elle est rare et qu’il faut aller la chercher loin. Les murs en terre compactée, épais de 40 cm, sont porteurs. Ils ne sont pas isolés : Kibaoni est situé près de l’équateur, et la température ne varie pas beaucoup au cours de l’année.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées pendant le chantier ?
Cette bibliothèque était notre première expérience de construction, et nous avons été confrontées tous les jours à des difficultés de logistique, d’approvisionnement de matériaux, d’organisation du chantier, etc. Le manque d’eau était un problème important, surtout vers la fin, car nous étions en saison sèche.
Qu’est-ce que vous feriez différemment aujourd’hui ?
Toutes les décisions que nous avons prises étaient fondées sur une approche d’humilité, qui privilégiait les préférences des bénéficiaires. Mais si je devais recommencer avec les connaissances acquises depuis, entre autres dans le cadre du DSA « Architecture de terre » de CRAterre, je n’utiliserais plus le pisé, car ce n’est pas une technique locale. J’investirais plus de temps dans la recherche d’une solution qui plaise à la population, en déclinant des techniques et savoir-faire existant sur place. Nous aurions dû impliquer davantage la communauté dans le projet, mais nous avons manqué de temps en amont pour comprendre vraiment les dynamiques existantes, les envies et les besoins des villageois.
[ Maître d’ouvrage : Kibaoni Primary School – Maîtres d’œuvre : Social Practice Architecture / Lara Briz et Patricia Báscones – Construction : Social Practice Architecture avec des artisans locaux et des volontaires internationaux – Surface : 105 m2 utiles – Calendrier : livraison, 2016 ]