Construction terre : touchée ou coulée ?

Rédigé par Benoit JOLY
Publié le 08/06/2017

Dalle en terre coulée pour un projet d’habitation, par le Collectif d’architecture participative et écologique (CArPe).

Article paru dans d'A n°255

Adapter la technique du béton coulé à la terre crue, tel est le voeu formulé depuis quelques années par un réseau de professionnels engagés afin de trouver des vrais débouchés économiques et viables pour la filière. Nous avons fait le point sur les évolutions possibles de mise en oeuvre et de transformation du matériau terre avec Martin Pointet, du bureau d’études BE Terre. La construction en terre n’a pas dit son dernier mot.  

 

D’a: Est-ce que vous pouvez nous rappeler en quoi consistent la technique de la terre coulée et ses avantages supposés ? 

 

Martin Pointet : Nous sommes partis de la volonté d’utiliser la technique du béton coulé afin de baisser les coûts de production. Par exemple, pour faire des murs porteurs massifs en terre crue, on est plutôt autour des 450 à 650 euros du mètre carré, contre 100 à 150 euros pour des voiles béton. Un surcoût essentiellement dû au temps de main-d’oeuvre, même si cette différence est à nuancer, car le ciment est une industrie relativement subventionnée. Il y a aussi une volonté de faciliter le travail, la terre étant une technique de construction exigeant beaucoup de main-d’oeuvre avec une certaine pénibilité. Par exemple, le pisé exige un compactage assez physique. En reprenant les techniques du béton – des coffrages étanches, des mélanges livrés en camion toupie –, on opère un transfert et on s’appuie sur des compétences existantes. 

 

On compte seulement cinq réalisations en terre coulée en France. D’où viennent les blocages ? 

 

Il n’y a pas de réelle filière et les techniques ne sont pas normalisées. Quand on construit en béton, il suffit d’appeler la centrale, de se faire livrer 10 m3 et le tour est joué. Avant de se faire livrer l’équivalent en terre coulée, il faut compter toute une phase en amont d’analyse de la terre, de préparation du matériau, de tests. La reformulation d’une terre peut exiger deux à quatre mois d’études, un délai qui peut être dû aux blocages formulés par les bureaux de contrôle.  

 

Que sont devenues toutes les initiatives lancées par CRAterre il y a quelques années autour de ces questions* ? 

 

La recherche a débouché sur un produit un peu bâtard : un béton d’argile coulé stabilisé avec 3 à 10 % de ciment. Et ça ne satisfait personne : pour les défenseurs de la terre, le matériau perd ses qualités d’inertie et de réversibilité. Pour les professionnels du béton, ça produit un béton « sale », sans performance mécanique spécifique. Mais ça reste un matériau pertinent, qui fait encore l’objet de recherches. L’idée est de s’affranchir du ciment en travaillant sur des phénomènes de gélification, des argiles, des adjuvants naturels, des biopolymères. Parallèlement, nous envisageons d’autres pistes de mise en oeuvre, avec des coffrages perspirants – en canisse ou en bois – qui vont laisser s’évaporer l’eau, l’évaporation étant l’une des principales problématiques du matériau. On observe par conséquent un développement de la filière sèche : au lieu de mettre en oeuvre un matériau à l’état humide sur le chantier, comme le pisé, le torchis ou la bauge, on préfabrique en amont les matériaux pour venir les installer sur le chantier sec. De nombreux produits existent déjà sur le marché européen. Mais en France, les blocages normatifs et culturels sont forts et le réseau de professionnels connaissant bien le matériau est plutôt mal organisé. Par conséquent, la terre est souvent prescrite de travers. On la choisit pour son côté esthétique, et on va lui en demander beaucoup : il faut que ce soit beau, porteur, isolant… Les exigences vis-à-vis de ce matériau sont souvent élevées et ses caractéristiques, comme la régulation hygrothermique, mal utilisées.

 

* De 2010 à 2013, le projet Béton d’Argile Environnemental a rassemblé des chercheurs de trois laboratoires (CRAterre- ENSAG, MATEIS-INSA de Lyon, DGCB-ENTPE), différents acteurs de la filière terre comme des producteurs de matériaux (groupe CB, AKTERRE), des constructeurs (CARACOL), un centre technique (CTMNC), ainsi que les Grands Ateliers de Villefontaine. 

> Photos

> Autres produits dans la même catégorie

Vers une normalisation des…

Dans la lignée du béton de chanvre, le groupe d…

Expérimentations décarbo…

En 1966, dans la forêt amazonienne, Wim Sombroek …

Une couverture tout en sou…

Comment concilier, finesse, légèreté, luminosit…

Fenêtre sur contes : un s…

En 2016, l’agence Kengo Kuma And Associates (KKA…

Par-delà le boulevard pé…

Aux confins de la ligne 13 du métro parisien, la …

La terre crue donne un nou…

On croyait les techniques de fabrication additive …

Construction en terre crue…

Difficile d’y échapper : la terre crue s’inst…

Le réemploi de terre cuit…

Plus évident pour le design de mobilier ou les e…

Alliage high-tech pour fa…

Habituellement utilisé pour l’industrie médi…

VOIR ÉGALEMENT

>> Actus brèves
>> Parcours
>> Photographes
>> Livres
>> Point de vue / Expo / Hommage
>> Concours
>> Le dossier du mois
>> Le Grand Entretien
>> Produits utiles
>> Questions pro
>> Razzle Dazzle by Mehdi Zannad
>> D’A Lab - Design
>> Techniques

Les articles récents dans Innovations

Vers une normalisation des bétons biosourcés Publié le 29/04/2024

Dans la lignée du béton de chanvre, le groupe de travail La Guilde Sable Vert a révélé en… [...]

Expérimentations décarbonées avec le biochar : une solution miracle ? Publié le 05/05/2023

En 1966, dans la forêt amazonienne, Wim Sombroek cartographiait de larges étendues d’un certain … [...]

Une couverture tout en souplesse. Halle des sports et pavillon d’accueil dans le parc du lycée Michelet de Vanves, par Explorations Architecture et le BET EVP Publié le 07/04/2023

Comment concilier, finesse, légèreté, luminosité et élégance pour couvrir des terrains de spor… [...]

Fenêtre sur contes : un skypool entre ciel et eau - Musée Andersen à Odense, Danemark, par Kengo Kuma and Associates Publié le 09/03/2023

En 2016, l’agence Kengo Kuma And Associates (KKAA) remporte le concours pour l’extension du mus… [...]

Par-delà le boulevard périphérique : Un prototype de serre urbaine de Lacaton & Vassal et Gaëtan Redelsperger Publié le 07/02/2023

Aux confins de la ligne 13 du métro parisien, la première couronne compte l’une des dernières f… [...]

La terre crue donne un nouveau souffle à l’impression additive Publié le 01/12/2022

On croyait les techniques de fabrication additive par impression 3D reléguées au passé – un on… [...]

.

Réagissez à l’article en remplissant le champ ci-dessous :

Vous n'êtes pas identifié.
SE CONNECTER S'INSCRIRE
.

> L'Agenda

Novembre 2024
 LunMarMerJeuVenSamDim
44    01 02 03
4504 05 06 07 08 09 10
4611 12 13 14 15 16 17
4718 19 20 21 22 23 24
4825 26 27 28 29 30  

> Questions pro

Quel avenir pour les concours d’architecture ? 4/6

L’apparente exhaustivité des rendus et leur inadaptation à la spécificité de chaque opération des programmes de concours nuit bien souvent à l…

Quel avenir pour les concours d’architecture ? 3/6

L’exigence de rendus copieux et d’équipes pléthoriques pousse-t-elle au crime ? Les architectes répondent.

Quel avenir pour les concours d’architecture publique 2/5. Rendu, indemnité, délais… qu’en d…