Attaque humide |
Dossier réalisé par DOMINIQUE GAUZIN-MULLER ET MATTHIEU FUCHS De
nombreux exemples ruraux et urbains prouvent qu’une construction en
pisé peut durer des siècles si quelques règles de base sont
respectées. L’architecte-expert Pascal Scarato travaille depuis
trente ans à la préservation du riche patrimoine de la région
Auvergne-Rhône-Alpes. Du diagnostic global du bâti ancien à la
pathologie majeure des murs en pisé, il nous explique comment
surmonter les faiblesses du matériau terre, et nous décrit les
moyens de pérenniser cet héritage culturel.
|
Dominique Gauzin-Müller : La méconnaissance du patrimoine en pisé entraîne de nombreuses idées reçues. Comment les combattre ?
Pascal Scarato : Nous sommes au royaume du béton ! Pourtant, le matériau terre et le bâti en pisé ont façonné une part importante du patrimoine de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Cela concerne environ 2 000 communes, et les ouvrages sont très variés : salle de la Diana à Montbrison, datée du XIIIe siècle et classée monument historique ; fermes isolées en zone rurale ; nombreux murs de clôture ; bâtisse bourgeoise en bord de Saône ; immeuble de 26 m de hauteur dans le quartier de la Croix-Rousse, à Lyon, etc. On entend souvent : « Le défaut d’entretien explique l’effondrement d’un mur en bord de voirie », « les murs tombent par en haut », « la charpente tient les murs », « la charpente pousse les murs », « les enduits au ciment détruisent les maisons en pisé », « les dalles en béton sont à l’origine de surcharges entraînant l’effondrement des murs en pisé », etc. Face à ces idées reçues et à la simplification à l’extrême du célèbre dicton « un bon chapeau et de bonnes bottes », seule l’analyse de la réalité de ce patrimoine peut apporter le nécessaire éclairage. Certes, des bâtiments en pisé disparaissent quotidiennement, mais les causes de leur destruction sont complexes, et dépendent de la longue histoire de chacun.
Comment expliquer la longévité des bâtiments en pisé ?
Le patrimoine en pisé offre un champ d’expériences important pour retrouver les fondamentaux de cette technique. Malgré les aléas climatiques, il a traversé les siècles avec un entretien assez simple et de nombreuses modifications respectant les spécificités du matériau. La terre étant un matériau fragile par nature, sa pérennité demande des choix architecturaux et techniques spécifiques ainsi qu’une mise en œuvre assurant sa protection selon un système constructif global. Pendant des siècles, le savoir-faire et l’expérience ont produit des variantes locales permettant de surmonter les faiblesses du matériau et de le préserver de conditions climatiques défavorables. Mais à partir de 1950, ces compétences ont été perdues, et les modifications du bâti ancien ont été moins bien adaptées. Des « rénovations » avec l’emploi inapproprié du ciment, par exemple, ont accéléré la disparition de bâtiments et de murs de clôture, et rendu le patrimoine en pisé peu à peu obsolète. Une analyse pragmatique de cet héritage culturel montre pourtant toute sa pertinence contemporaine.
Peut-on adapter la réhabilitation du bâti en pisé aux exigences thermiques actuelles ?
Les qualités propres au bâti en terre crue, en particulier ses caractéristiques hygrothermiques, sont aujourd’hui scientifiquement étudiées. L’expérience montre aussi que les murs en pisé sont loin d’être les plus déperditifs, et des solutions simples d’isolation par l’intérieur, perspirantes en bas des murs, suffisent à traiter le confort thermique. Dans le cas de grands volumes, il peut être nécessaire de limiter l’usage de certains espaces en hiver. Mais attention à ne pas engager des travaux de « rénovation énergétique » sans avoir un vrai bilan technique et un diagnostic de l’ensemble du bâtiment !
Le laboratoire génie civil et bâtiment de l’école nationale des travaux publics de l’État (LGCB-ENTPE) a publié en 2015 un article sur l’isolation du pisé qui s’appuie sur le retour d’expérience des habitants. Selon leur étude, les usagers apprécient, outre l’esthétique, l’inertie thermique, le lissage de l’hygrométrie ambiante et la captation des odeurs, qui sont apportés par les parois lourdes en terre crue. Mais certains habitants soulignent l’inconfort des murs en pisé exposés au nord : c’est « une surface froide émettant très peu d’infrarouges, d’où une sensation de « rayonnement froid », poussant à surchauffer l’air pour compenser. Les travaux du LGCB confirment que, si leur capacité à échanger la vapeur d’eau et la chaleur est préservée, les murs en pisé se comportent entre le jour et la nuit et entre les saisons comme un amortisseur des variations de température et d’hygrométrie du logement, « parce qu’ils sont denses, à forte capacité calorifique, à forte microporosité ». Ils évoquent aussi la capacité de la terre à retenir l’eau, mais si la pluie peut effectivement être absorbée avant de s’évaporer rapidement, un mur sec ne contient qu’environ 1 % d’eau. Je suis d’accord avec leur conclusion : « La question de l’isolation du pisé doit être précédée par une analyse du fonctionnement thermique global de la construction. »
Quelles sont les principales pathologies ?
Les désordres viennent à la fois d’un défaut d’analyse et de l’usage de matériaux inadaptés. Une étude élargie sur l’ensemble du patrimoine en pisé de la région Auvergne-Rhône-Alpes fait ressortir la cause majeure de sa destruction : la pathologie hydrique en bas de mur. Sur 450 sinistres analysés, elle constituait environ 70 % des désordres. L’effondrement rapide d’un bâti séculaire est dû à la conjonction de plusieurs causes, la pluie n’étant que le facteur déclenchant d’une pathologie interne humide plus ancienne et bien plus grave, localisée au pied des murs, qui est encore insuffisamment étudiée.
La terre battue ne supporte pas l’humidité qui remonte par capillarité. Soumis à des alternances de gel et de dégel, un mur en pisé humide s’effondre au bout de cinq à dix ans. Le conserver au sec demande une garde au sol sous la forme d’un soubassement permettant aux remontées capillaires de s’évaporer avant d’atteindre le pisé. Pour un bâtiment, ce socle maçonné, en pierre ou en brique, doit avoir une hauteur minimum de 50 cm. C’est souvent un remblai, la rehausse d’une route ou un terrassement contre le soubassement qui amène inéluctablement la désagrégation du pisé à l’interface entre la terre et le socle, à cause de l’humidité et du gel. Les enduits au ciment, censés protéger les ouvrages, sont inappropriés : ils empêchent l’évaporation de l’eau liquide qui condense alors en bas de mur… et gèle en hiver, entraînant gonflements et désordres !
Comment comprendre ces phénomènes complexes ?
Seule l’analyse globale d’un bâtiment en pisé et de son environnement immédiat permet de comprendre les interactions entre les nombreux paramètres. En effet, le diagnostic en laboratoire du matériau terre ne suffit pas pour appréhender la pathologie interne ni surtout la longévité du matériau sec et sain au sein du patrimoine. Pour l’homme, la médecine va de l’étude de la cellule à celle de l’ensemble du corps, en passant par tous les organes interconnectés. La médecine du bâti ancien et son diagnostic demandent aussi une approche holistique englobant son histoire, les modifications intervenues dans son environnement proche, les caractéristiques et les pathologies du matériau et sa pérennité globale grâce à des protections, des traitements et un entretien adapté. Préserver le patrimoine en pisé passe donc par une connaissance exhaustive des dégradations humides du matériau terre, qui sont encore insuffisamment étudiées.
La plupart des professionnels ne connaissent pas assez les qualités et faiblesses de l’architecture en pisé traditionnelle. Le besoin en formation est important, et la création d’un référentiel spécifique à ce patrimoine passe aussi par des études scientifiques à confronter à la réalité du terrain, afin de préserver la source d’information majeure que représente cet héritage. À la démolition d’un îlot urbain en pisé, aux fermes qui disparaissent faute d’utilisation et aux effondrements liés à des restaurations sans analyse préalable s’ajoute la dévalorisation sociale et culturelle du patrimoine. On n’admire que ce que l’on connaît, et les recherches en ce domaine sont encore balbutiantes.
La reconnaissance de la valeur culturelle et technique du patrimoine en pisé est donc indispensable pour assurer sa préservation et sa réhabilitation ?
C’est en effet le préalable au développement des solutions techniques adaptées à la logique de la construction traditionnelle, en évitant erreurs, coûts inutiles et travaux de renforcement pharaoniques, ainsi que le recours au béton (sauf nécessité exceptionnelle). Le patrimoine, qui a souvent résisté pendant des siècles, ne demande en général qu’un bon diagnostic menant à des remèdes souvent simples au niveau de l’environnement proche et à un entretien minime : éviter les fuites de la toiture, la stagnation d’eau en bas de mur, les remontées capillaires, etc. Par contre, quand l’humidité est déjà installée dans la partie inférieure d’un mur, des travaux de reprises plus importants doivent être entrepris dans l’épaisseur du pisé. Le décroutage de l’enduit au ciment en partie basse est une mesure préventive souvent nécessaire, qui doit suivre un processus spécifique excluant le piquage mécanique.
La reconnaissance du patrimoine en pisé passe aussi par la formalisation des connaissances, afin de retrouver des règles de l’art applicables à la mise en valeur du bâti ancien et à la construction neuve. La réhabilitation est un des enjeux des années à venir, en termes de préservation mais surtout en termes de développement économique local. En Auvergne comme en Rhône-Alpes, le marché est potentiellement très important, et ouvre la porte au renouveau de cette technique. Loin d’être obsolète, le bâti en pisé a des qualités tout à fait pertinentes pour le monde actuel, tant par ses qualités écologiques que par ses facilités d’adaptation.
Pour en savoir plus :
Cahier d’expert bâti en pisé –- Connaissance, analyse, traitement des pathologies du bâti en pisé en Rhône-Alpes et Auvergne, Pascal Scarato, 2015.
Réhabiliter le pisé – Vers des pratiques adaptées, CRAterre, 2018.
« L’isolation du pisé – Pertinence et principes », LGCB-ENTPE, TransLettre, août 2015 (à consulter sur http://construction-pise.fr/IMG/pdf/pise_hygrothermique_.pdf)
Réagissez à l’article en remplissant le champ ci-dessous :
Vous n'êtes pas identifié. | |||
SE CONNECTER | S'INSCRIRE |
> Questions pro |
Quel avenir pour les concours d’architecture ? 4/6
L’apparente exhaustivité des rendus et leur inadaptation à la spécificité de chaque opération des programmes de concours nuit bien souvent à l… |
Quel avenir pour les concours d’architecture ? 3/6
L’exigence de rendus copieux et d’équipes pléthoriques pousse-t-elle au crime ? Les architectes répondent. |