Boutiques / Hôtels : « Trancher avec les idées reçues, les attendus et la tendance » , entretien avec CUT Architectures

Rédigé par Maryse QUINTON
Publié le 09/06/2020

Coutume Osaka - CUT

Dossier réalisé par Maryse QUINTON
Dossier publié dans le d'A n°281

Benjamin Clarens et Yann Martin ont créé CUT Architectures en 2008 à Paris, après être passé par l’OMA, chez Manuelle Gautrand, Louis Paillard et Philippe Gazeau pour le premier, et Aaro Virkkunen (Helsinki) et uapS pour le second. S’ils refusent de se spécialiser, préférant une position de touche-à-tout, ils se sont néanmoins forgé une solide expérience dans l’aménagement de boutiques, cafés et restaurants qu’ils considèrent comme « un territoire de jeu et de réflexion infini Â». Crise sanitaire oblige, nous les avons interrogés à distance sur leurs différentes expériences, la manière de dialoguer avec une marque mais aussi la possibilité de concilier architecture et exigences commerciales.

D’a : Comment est né CUT ? Par quelles envies étiez-vous animés ?

Nous nous sommes rencontrés en 2005 pendant nos études, nous avons rapidement pris part à de nombreux concours en parallèle de l’école et de nos premiers jobs. Nous avons créé l’agence en 2008. Dès le début, nous étions animés par l’idée d’imaginer la nouveauté dans des domaines très variés. Nous avons été amenés à réaliser un jardin dans le cadre du festival de Chaumont-sur-Loire, une installation dans le cadre du Festival des architectures vives à Montpellier, une scénographie d’exposition à l’université de Delft et avons saisi les opportunités de projets pour des particuliers qui se présentaient à nous. Nous avons eu la chance de rencontrer coup sur coup deux couples à Chaville et à Meudon qui nous ont fait confiance et nous ont permis de livrer nos deux premières constructions, dont celle de Chaville qui a été nominée au prix de la Première Œuvre. Nous souhaitions toucher à tout et cela persiste.

 

D’a : Quelles furent vos premières commandes dans les domaines de la restauration et du retail (vente au détail) ?

Les fondateurs de Coutume café nous ont approchés en 2010 sur les conseils de nos amis de March Studio (Melbourne) qu’ils avaient contactés en raison du développement florissant des cafés de spécialité en Australie. Nous travaillions alors dans une chambre de bonne sur des projets pour des particuliers (appartements et extensions de maisons) et bien que nous n’ayons alors aucune référence dans le domaine de la restauration ou en établissement recevant du public en notre nom, ils ont su nous faire confiance et nous donner carte blanche pour imaginer le flagship de la rue de Babylone dans le 7e arrondissement. L’année suivante, la notoriété naissante de Coutume café et les nombreuses publications dont a fait l’objet le projet ont motivé les jeunes fondateurs des restaurants Paris New York (PNY) à nous confier la création de leur première enseigne rue du Faubourg-Saint-Denis. Côté retail, en 2011 nous avons accompagné l’agence March Studio dans la réalisation de la boutique Damir Doma à Paris mais ce n’est qu’en 2015 que le groupe japonais Baycrews (avec qui nous avons développé l’enseigne Coutume café au Japon avec trois enseignes) nous a demandé d’imaginer un concept store de mode et accessoires pour homme dans le quartier d’Omotesando à Tokyo : l’Échoppe. Au même moment nous avons livré un projet hybride entre retail et lifestyle pour le plus célèbre des fabricants d’articles de sport américain, un projet secret dont nous ne pouvons parler ni montrer de photos et qui paradoxalement est notre première expérience retail !

 

D’a : Comment travaille-t-on au Japon ? Que vous ont enseigné ces expériences ?

Dans le travail, la culture japonaise est synonyme de longs échanges et atermoiements. Nombre d’étrangers rencontrent des difficultés à travailler dans l’archipel. Le premier café Coutume Aoyama que nous avons réalisé a exigé de nombreux échanges, explications, justifications et petits compromis. Notre écoute et réactivité et le fait qu’à l’agence, nous dessinons tous les éléments dans les moindres détails, nous ont permis de gagner la confiance de nos interlocuteurs. Nous avons ensuite pu travailler en bonne intelligence et très efficacement sur les projets suivants pour lesquels nous avons systématiquement eu carte blanche. La qualité de réalisation des entrepreneurs japonais nous assure que tout ce que l’on dessine sera exécuté à la perfection bien que nous n’assurions pas de suivi de chantier sur place. Toutefois, pour chaque projet, nous nous rendons sur place avant le démarrage de chantier pour adapter, directement avec les entreprises, certains détails d’exécution et valider les échantillons. Au Japon, le respect est particulièrement appréciable dans la relation professionnelle. Il est très éloigné de la vision de simple prestataire de services. Il s’agit davantage d’un partenariat qui facilite l’écoute de l’autre.

 

D’a : Votre spécialisation ne relève donc pas vraiment d’un choix.

Le hasard des rencontres et l’attention pour l’agence engendrée par nos premiers projets dans le domaine ont multiplié les opportunités. Ce n’était pas un choix mais ces possibilités renouvelées de travailler avec une grande liberté de création nous ont confortés dans le souhait d’essayer, autant que possible, de travailler à toutes les échelles et pour tout type de commande. Pour autant, CUT ne souhaite pas se spécialiser dans un domaine unique. Nous travaillons actuellement aussi bien pour des particuliers que des surfaces de bureaux, de l’hôtellerie, de la restauration, du design d’objet (en l’occurrence de la robinetterie) et continuons également à intégrer la commande publique, nous sommes notamment associés l’atelier Novembre pour la reconfiguration du quadrilatère des Archives dans le Marais à Paris en nouveau pôle administratif pour le ministère de la Culture. Nous sommes convaincus que le potentiel d’un projet ne dépend ni de l’échelle, ni du programme mais plutôt de notre ambition commune avec nos maîtres d’ouvrage de faire toujours plus et surtout autrement.

 

D’a : Qu’entendez-vous par « autrement Â» ?

En n’apportant pas la réponse attendue et en réinterrogeant le produit, le programme ou la marque pour traduire cet autrement. Nous essayons toujours d’échapper aux tendances et de surprendre en évitant les poncifs mais surtout en justifiant nos choix de manière pragmatique par rapport au discours de notre maître d’ouvrage. Pour la scénographie de l’exposition consacrée à Patrick Neu au Palais de Tokyo, nous avons réinterrogé le sempiternel socle de présentation d’œuvre d’art en superposant des couches de BA13, nous permettant de le rendre discret, de mettre en avant l’œuvre mais aussi en dialoguant avec l’œuvre de l’artiste dont le travail a une dimension presque artisanale.

 

D’a : Comment concilie-t-on les exigences d’une marque avec l’architecture ? Quelles sont les principales difficultés ?

Il y a dix ans, les agences d’architecture étaient assez peu intéressées par ce type de commande, nous en avons fait un territoire de jeu et de réflexion infini. Nous apprécions particulièrement le discours des marques car elles sont communicatrices d’idées, d’un ADN qui leur est propre. Il y a donc peu d’affect côté maîtrise d’ouvrage, ce qui nous permet de justifier nos choix sans entrer dans des considérations d’appréciation subjective. Si notre objectif est de refléter l’univers de la marque ou de l’enseigne par l’architecture que nous proposons, nous sommes continuellement challengés par les objectifs des marques qui souhaitent une grande modularité et une importante capacité d’exposition de produits. Nous faisons en sorte de trouver l’équilibre pour mettre en avant le produit tout en maintenant une architecture suffisamment forte pour se distinguer et travaillons chaque jour pour convaincre nos partenaires que nous pouvons, en tant qu’architectes, signifier sans pour autant traduire de manière littérale le discours de marque. Même si l’expression « wow effect Â» nous parle peu, elle est clé dans le domaine et offre le bénéfice de mettre des moyens à disposition d’un effet que nous prenons soin d’imaginer. Il est devenu aujourd’hui aussi important pour un restaurant ou une boutique de soigner son espace de vente autant que son produit pour la cohérence d’un écosystème de marque.

 

D’a : Pourquoi les agences d’architecture ont-elles longtemps délaissé ce domaine ?

Pendant longtemps, les projets dits « d’intérieur Â» ont été considérés comme moins intéressants, moins valorisants, en raison de leur dimension commerciale. Le travail précurseur de l’OMA avec Prada annonçait toutefois que l’on pouvait y trouver un véritable terrain d’expérimentation.

 

D’a : L’architecture est même devenue un outil marketing à part entière pour les marques, parfois aussi mise en avant que leurs produits…

Oui, c’est impressionnant de constater une telle évolution, et si rapidement. Nous participons à notre échelle à cette évolution, il serait délicat de nous en plaindre. Toutefois, il nous semble primordial que le phénomène dépasse le simple effet visuel et qu’il réponde également à un besoin, un usage, et offre ainsi une expérience complète. C’est cette ambiguïté qui est intéressante et qui différencie l’approche décorative et architecturale dans ce type de projet.

 

D’a : Quelles furent vos collaborations les plus fructueuses ?

Sans nul doute les collaborations sur le long terme, avec des marques qui ont su nous faire confiance pour imaginer plusieurs lieux à leur image. Ainsi avec Coutume café nous avons ouvert sept enseignes au Japon et en France, la dernière en date se situant sous la coupole des Galeries Lafayette, et nous développons actuellement un café Coutume au Qatar. Notre collaboration avec les fondateurs de la marque PNY est également à l’image de notre développement parallèle. Nous les avons accompagnés dans la création de leurs quatre premiers restaurants et travaillons actuellement sur une nouvelle enseigne au sein du Citadium Haussmann. L’aventure japonaise de Coutume café nous a permis de développer une relation de confiance avec le groupe Baycrews (détenteur de la licence Coutume pour le Japon) et pour qui nous avons imaginé de nombreux projets. Il nous semble de plus en plus évident que la confiance respective renforce nos projets communs. Notre première extension à Chaville a d’ailleurs été suivie de deux autres projets sur le même site et nous nous apprêtons à livrer la dernière tranche de travaux dans quelques semaines.

 

D’a : Vous travaillez également sur le Pullman Montparnasse. Était-ce votre première commande dans l’hôtellerie ? Quelle est la marge de manÅ“uvre dans ce type de commande ?

En 2016, lorsqu’Accor lance un concours restreint pour la restructuration de l’hôtel Pullman Montparnasse, nous n’avions jamais travaillé sur ce type de commande. Accor nous a invités pour avoir une vision alternative face aux autres agences invitées, beaucoup plus connues (MVRDV et RDAI) ou plus initiées (Design Studio). L’échelle très importante du Pullman Montparnasse et l’évolution de l’hôtellerie ces dernières années ont poussé Accor à ne pas imposer la charte de la marque Pullman pour cet hôtel, nous laissant donc suffisamment de place pour bâtir un projet comme nous avons l’habitude de le faire et pour proposer notre lecture du discours de marque. Conscients de l’ampleur colossale de ce projet, nous avons mis une grande partie de l’agence à contribution et, contre toute attente, nous avons remporté le concours sur la zone chambres et celui sur les services généraux, que nous avions travaillé comme un tout cohérent.

Habitués des projets de niche ou des marques naissantes, nous craignions que la marge de manÅ“uvre soit réduite face à de tels groupes (URW et Accor) et particulièrement pour un projet titanesque comme celui-ci (parmi les plus gros porteurs d’Europe avec 954 chambres). En réalité, le projet conçu en phase concours a été très peu modifié jusqu’ici, nous avons cependant dû revoir la matérialité des chambres auxquelles nous avions donné une dimension plus colorée et moins business, sans doute trop éloignée de certains codes. Enfin la dimension exceptionnelle de l’hôtel nous a permis de dessiner du mobilier sur mesure dans les chambres également (économie d’échelle) et de ce fait de limiter l’achat de mobilier du commerce, réduisant l’effet catalogue qu’évoquent souvent les chambres d’hôtel. Nous espérons que la livraison du projet confortera notre impression à date. Notre récente livraison de l’hôtel French Theory – conçu entre-temps â€“ nous conforte dans notre capacité à réinterroger les codes et principes de l’hôtellerie.

 

D’a : Vous venez de collaborer avec Petit Bateau. Pouvez-vous nous raconter cette collaboration ?

Parallèlement au projet Pullman, nous avons été approchés par Petit Bateau qui s’apprêtait à lancer un concours restreint pour repenser son concept de boutique qui avait été conçu dix ans plus tôt par l’agence globale Saguez. À la manière d’Accor, Petit Bateau a souhaité intégrer au concours des profils différents, pas nécessairement spécialisés en retail, si bien que des agences aux profils variés ont été invitées à concourir. Petit Bateau avait bâti un cahier des charges particulièrement axé sur la nécessité de rendre plus lisible son ADN de marque, à savoir : leur fierté d’être fabricants français, porteurs d’un héritage et d’un patrimoine riche dans le domaine de la confection ainsi que la dimension espiègle et l’énergie qui se dégage de l’enfance. De manière très clairvoyante, Petit Bateau faisait le constat de l’écart entre leur communication et leurs boutiques assez neutres. Le concours s’est fait en deux phases avec des présentations orales, une première phase sur une boutique fictive et une seconde sur la boutique de la rue de Sèvres, une manière de s’assurer de la modularité de notre proposition et de notre capacité d’écoute. Le parti pris qui consistait à imaginer un mobilier à la manière d’une grande cabane a séduit, nous avons cependant travaillé le projet pendant des mois dans le détail d’agencement afin de le rendre suffisamment flexible pour le service merchandising habitué à l’hyper modularité des systèmes de crémaillères en place depuis des années. L’optimisation du détail et la recherche de modularité ont été poussées sous forme de prototypes et mis à l’essai dans des boutiques en ville (rue des Francs-Bourgeois et rue de Sèvres à Paris ainsi qu’à Rome), en centre commercial (Lyon Part-Dieu) mais aussi sous forme de corner (Galeries Lafayette Haussmann). Nous avons travaillé dans un dialogue constant avec le pôle architecture de la marque Petit Bateau.

 

D’a : Face au service merchandising d’une marque, l’exigence de fonctionnalité et de flexibilité ne bloquent-elles pas toute initiative fantaisiste ?

C’est un interlocuteur essentiel. Il a la parfaite connaissance de la collection et des problématiques d’exposition du produit et d’extrême flexibilité nécessaire pour répondre à leurs besoins. Très souvent nous avons également le soutien d’autres intervenants comme les directeurs artistiques, par exemple, qui ont une vision plus large et qui sont plus ouverts au changement et à la possibilité de tester des alternatives. C’est un échange constant entre plusieurs acteurs qui est impératif. Le prototypage permet souvent de convaincre tout le monde et nous permet d’affiner les choses car tout doit pouvoir évoluer et de manière relativement facile avec un staff souvent réduit en boutique.

 

D’a : Cette étape du prototype est plutôt rare dans d’autres domaines…

Il est vrai que la dimension du déploiement pour les marques à l’échelle de plusieurs projets oblige au prototypage, tout comme une chambre dans un hôtel. Le manque de temps et les coûts supplémentaires pour un maître d’ouvrage nous empêchent d’en faire autant sur les autres projets. C’est effectivement un luxe extraordinaire qui permet de placer les architectes au cœur du processus de fabrication et de pousser très loin le niveau de détail pour répondre aux exigences du maître d’ouvrage.

 

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