Back to basics

Rédigé par Stéphane BERTHIER
Publié le 15/11/2019

Portique en pierre de la façade sud

Dossier réalisé par Stéphane BERTHIER
Dossier publié dans le d'A n°276 La légende raconte qu’un journaliste demandant à Frank Lloyd Wright s’il n’était pas frustré de faire surtout des maisons se serait vu répondre par le maître nord-américain : « Il n’y a pas de petites architectures, il n’y a que des petits architectes. Â» Assurément, Gilles Perraudin est un grand architecte. La maison qu’il vient de terminer à Montélimar, dans une zone pavillonnaire ingrate, avec un budget modeste, est une Å“uvre de maturité qui revisite un certain nombre de questions fondamentales, en leur apportant à chaque fois une réponse limpide. Elle est aussi un manifeste critique à l’égard de la production standardisée contemporaine.

La parcelle de forme rectangulaire est orientée nord-sud, bordée à l’est par un vieux mur en béton formant clôture sur rue. Des pavillons indigents occupent les terrains voisins au sud et à l’ouest. Au nord, le mur mitoyen nous sépare du terrain de sport d’un établissement d’enseignement. L’architecte opte pour une forme compacte, à distance des limites, calée dans la partie nord du terrain et qui s’ouvre au sud sur le jardin dont un bassin dessine le fond de perspective.

Le site inondable imposait que la partie habitable de la maison soit surélevée de 1,70 mètre par rapport au niveau du sol. Le rez-de-jardin actuel n’est donc occupé que par les murs de façade et par un noyau central qui contient l’escalier. L’espace ombragé que la construction définit ainsi dans le prolongement du jardin n’est utilisable qu’à la belle saison, tandis que le logement proprement dit, d’un peu moins de 100 m2, clos, couvert et chauffé, occupe l’étage. Il s’ouvre sur une terrasse d’une vingtaine de mètres carrés qui occupe toute la largeur de la façade sud.

La construction de cette maison est réalisée en pierre calcaire de Fontvieille, extraite d’une carrière située au nord-est d’Arles. Sa texture fine et sa blondeur avaient déjà séduit Fernand Pouillon, qui l’avait utilisée pour de nombreux projets, à Marseille et en Algérie. Les éléments utilisés sont des monolithes de 1,60 mètre de longueur par 70 cm de hauteur et 40 cm d’épaisseur. Ils confèrent à la construction une puissance massive et archaïque qui semble faite pour affronter le temps. Les planchers et la toiture sont constitués de simples madriers de Douglas qui dialoguent facilement avec la pierre. Il n’y a pas d’autres matériaux sinon une chape de ciment au sol de l’étage, dans laquelle circule un réseau de plancher chauffant.

Gilles Perraudin fait ici le pari de ne pas isoler les murs, pour ne pas perdre les effets de l’inertie thermique de la pierre, ni la beauté de sa texture. De ce fait, il privilégie le confort thermique d’été aux dépens du confort d’hiver, ce qui peut se concevoir vu la situation géographique. Il est utile de rappeler ici les difficultés que pose le modèle RT2012 dans le sud de la France, quand les maisons sont si bien conçues pour conserver la chaleur qu’elles ne parviennent plus à l’évacuer en été, rendant insupportable la vie des occupants et les obligeant bien souvent à s’équiper a posteriori d’un dispositif de climatisation qui annule tous les gains énergétiques hivernaux, voire plus. Selon le propriétaire, sa consommation annuelle de chauffage après une première année d’utilisation s’élève à 40 kWh/m2/an, ce qui peut paraître beaucoup pour la région au regard des performances réglementaires d’aujourd’hui, mais notons qu’il s’agit d’une consommation réelle mesurée sur factures et non d’un calcul théorique qui ignore les comportements humains. En revanche, son expérience de la période estivale, vécue de manière passive grâce à l’inertie de la pierre, aux protections solaires et à la ventilation naturelle, semble excellente. 

 

La villa quatre saisons

L’architecte présente ce projet comme une critique du confort architectural contemporain standardisé et homogène toute l’année. Ici, il propose de renouer avec l’idée de vivre sa maison sur un rythme saisonnier. Le rez-de-jardin ainsi que la terrasse doublent les surfaces habitables l’été, sous le climat presque méditerranéen de la Drôme provençale. L’étage d’habitation est protégé du rayonnement solaire par les cannisses posées sur la pergola de la terrasse que l’on enlèvera à la saison froide. Les fenêtres des deux chambres, à l’est et à l’ouest, sont abritées par de délicieux claustras en pierre dont l’ombre du motif se projette dans les pièces. Les ouvertures en façades permettent de ventiler largement l’espace pour profiter de la fraîcheur de la nuit et refroidir les pierres qui ont accumulé, par inertie, la chaleur de la journée. L’hiver, la famille se replie dans la partie chauffée de l’étage qui bénéficie des apports solaires de la grande baie vitrée sud et de la chaleur du poêle à bois, positionné dans le petit salon près de la fenêtre de la façade nord pour annuler l’effet de paroi froide de cette surface septentrionale. Ce nomadisme saisonnier dans la manière d’habiter avait été étudié par Lisa Heschong, dont l’ouvrage Thermal Delight in Architecture1 constituait déjà, en 1979, une sévère critique du confort contemporain qui désensibilise les hommes de leur environnement climatique.

Ce projet est aussi un modèle d’économie de moyens, de frugalité diront certains. Disons simplement que le ratio entre l’effort et l’effet est ici très efficace. La compacité de la composition et l’absence d’éléments de second Å“uvre payent la pierre. De même, la trame courte de 3 mètres par 3 mètres autorise l’utilisation de simples madriers de bois brut pour les planchers. Cette sobriété de moyens architecturaux ne contrarie pas les usages ni n’altère l’expérience spatiale des lieux. Le plan « palladien Â» de 9 mètres de côté, subdivisé en neuf cases égales, dégage des espaces d’une grande clarté. Les pièces de jour – cuisine, salon, séjour â€“ occupent une figure en T formée de deux vaisseaux de 9 mètres de longueur par 3 mètres de largeur, dont le premier se déploie en façade sud et s’ouvre sur la terrasse tandis que le second traverse la maison, du nord au sud. À la jonction de ces deux vaisseaux, l’escalier de pierre émerge avec une garde suffisamment basse pour ne pas entraver le regard. Son palier distribue logiquement les différentes pièces sans perte de surface de dégagement. Les deux chambres, ainsi que les toilettes, bains et buanderie se placent alors presque « naturellement Â» aux angles nord-est et nord-ouest.

Pourtant relativement petite et économique, cette maison lumineuse donne une impression de grandeur. La simplicité de sa géométrie, le sens de la mesure de l’architecte et l’exactitude de la construction génèrent un sentiment d’équilibre et de sérénité, à l’opposé d’architectures « waouh Â» si séduisantes en images, si décevantes à l’épreuve. Elle renouvelle notre expérience des éléments, des matières et du climat. Alors oui, nous pouvons vivre autrement, loin de l’artificialisation carbonée de la modernité, et sans doute beaucoup mieux. 

 

[ Maître d’ouvrage : privé – Programme : habitation individuelle – Surface de plancher : 96 m2 – Coût : 165 700 euros HT – Livraison : 2019 ] 

 

1. Lisa Heschong, Thermal Delight in Architecture, MIT Press, 1979. Traduction française : Architecture et volupté thermique, Éditions Parenthèses, 1981.

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