À l’assaut des pavillonnaires ! La ville pavillonnaire comme nouveau territoire de projets

Rédigé par NICOLAS BISENSANG, JULIA TOURNAIRE, BENJAMIN AUBRY, ERWAN BONDUELLE
Publié le 25/08/2020

Opération BIMBY de Périgueux - Villes Vivantes

Dossier réalisé par NICOLAS BISENSANG, JULIA TOURNAIRE, BENJAMIN AUBRY, ERWAN BONDUELLE
Dossier publié dans le d'A n°283

Comment faire advenir cette ville pavillonnaire dont nous avons vu les prémices à travers ses transformations silencieuses ? Comment construire une urbanité spécifique à ces territoires ? Et quelles stratégies adopter pour les densifier mais surtout pour les intensifier, les diversifier et les concilier avec un développement territorial durable et inclusif ? Depuis la « Stimulation pavillonnaire1 Â» menée en 2010 par cinq étudiants du DSA de l’École d’architecture de la Ville & des Territoires, de plus en plus d’acteurs se structurent pour répondre à ces enjeux et réfléchir à l’avenir de ces quartiers, dont l’enquête commanditée par l’EpaMarne aura révélé tout le potentiel foncier et la capacité d’absorption. Car comme nous l’avons vu, la caractéristique principale de ces territoires, celle d’être constitués d’une multiplicité de petites parcelles privées, implique des outils et savoir-faire spécifiques dont le monopole était jusque-là contrôlé par les aménageurs de lotissements et les constructeurs de maisons individuelles. Devenus terrains d’opportunités, ils abritent désormais des stratégies variées visant avant tout à contrôler l’étalement urbain en libérant les réserves foncières dormantes.

Parmi ces stratégies, certaines consistent à ajuster les territoires pavillonnaires aux modèles existants de fabrication de la ville, annulant la matrice des fonciers individuels qui les composent en fusionnant plusieurs parcelles et détruisant souvent les maisons existantes pour y construire des logements plus denses. Il s’agit alors la plupart du temps de chercher à individualiser le collectif et à superposer au sein d’un même immeuble les qualités de la maison individuelle, comme Christophe Hutin en a fait l’expérimentation avec l’opération des Hauts Plateaux à Bègles. Au sein de ce logement collectif, chaque lot bénéficie ainsi de 50 % de surface habitable, 25 % de surface affectée au jardin et de 25 % de surface intermédiaire assurant une possibilité d’extension du bâti ou du jardin.

Une autre stratégie d’intervention consiste au contraire à conserver la matrice foncière, voire à l’accentuer en densifiant les parcelles existantes ou en les divisant. Il s’agit alors d’inventer de nouveaux modèles d’intervention en territoires constitués, et de collectiviser l’individuel en ajoutant ponctuellement de nouveaux programmes. La « maison individuelle Â», qui reste la matière principale de ces interventions, prend une autre dimension, devenant même parfois la « maison collective Â». Ces partisans de la densification « douce Â», dont font partie Iudo, Villes Vivantes, Métamorphouse ou Landconvertor, souhaitent ainsi diversifier l’offre de logements et adapter les maisons existantes à l’évolution des modes de vie, en incluant les habitants en amont des processus de transformation même si certains le font par le biais des collectivités quand d’autres cherchent à opérer directement avec les propriétaires des terrains et maisons.

 

Villes Vivantes2, start-up d’urbanisme fondée en 2013 par David Miet et Thomas Hanss, propose par exemple aux collectivités d’établir un diagnostic permettant d’identifier le foncier disponible sur les parcelles construites de leurs territoires et de mettre en place les dispositifs d’actions nécessaires à leur densification. Elles peuvent ainsi espérer voir leur population croître sans que leur agglomération ne s’étende, avec un retour sur investissement assuré par les taxes dégagées des nouvelles constructions. Dans les territoires engagés dans la procédure complète, comme ce fut le cas de Périgueux, où 100 nouveaux logements ont été projetés dans les jardins des habitants de la ville, Villes Vivantes accompagne ensuite les propriétaires des fonciers identifiés en les orientant vers les expertises nécessaires. Depuis BIMBY « Build in my Back Yard Â», rebaptisé « Beauty in my Back Yard Â», la start-up a développé avec le LIV, son département de R&D, d’autres produits comme BAMBA, BUNTI ou BRAMBLE pour adapter son ingénierie à différents contextes, dont les territoires en revitalisation.

 

De la même façon, avec le projet MétamorpHouse3, les architectes Mariette Beyeler et Lucas Jaunin s’engagent auprès des collectivités suisses pour activer le potentiel de transformation des maisons individuelles. Conçue comme un partenariat public-privé, cette stratégie implique à la fois les pouvoirs publics et les habitants dans une démarche participative à grande échelle. L’organisation d’ateliers individuels avec les propriétaires permet de leur faire prendre conscience du potentiel concret de leur maison et de développer des scénarios d’habitation personnels. Des tables rondes et des réunions d’information tenues par des experts sont également organisées pour développer des pistes de réponses ajustées à chaque situation. Entièrement gratuite et sans engagement pour les propriétaires, cette méthodologie permet de produire, pour le compte des communes, un inventaire des réserves relevées et des scénarios esquissés, ainsi qu’un rapport sur les leviers à actionner pour engager avec les habitants une densification douce de leur territoire.

 

Iudo4, start-up fondée en 2018 par les architectes Benjamin Aubry, Erwan Bonduelle et Nicolas Bisensang, se concentre de son côté sur le développement d’un bouquet de services d’aide à l’autopromotion immobilière. Prônant « l’immobilier par l’habitant Â», elle accompagne les propriétaires dans toutes les démarches et procédures liées à la création d’une petite opération sur leur terrain. Elle propose ainsi la réalisation d’une étude complète de faisabilité immobilière et architecturale, le développement de plusieurs scénarios de densification et de programmation, une simulation du coût et du retour sur investissement, le montage et le plan de financement de l’opération, et la supervision de toute la phase de conception/construction. Contrairement aux stratégies présentées plus haut, fondées le plus souvent sur des subdivisions parcellaires, Iudo cherche à engager les habitants dans des opérations immobilières leur permettant de conserver l’entière propriété de leur bien ainsi valorisé par la nouvelle construction ou la restructuration engagée.

 

Landconvertor5 en Angleterre offre un service équivalent aux propriétaires de maison individuelle. Cependant, à la différence de Iudo qui se positionne en intermédiaire, cette société fait elle-même la promotion immobilière des terrains à bâtir. Via un service de plateforme en ligne, le propriétaire soumet à la vente un bout de son terrain, son garage ou sa toiture. En fonction de la situation proposée, Landconvertor organise une visite puis réalise une étude de transformation et de densification. Une offre d’achat est ensuite établie en fonction du marché et de la taille de la propriété. Si le permis de construire du projet conçu par Landconvertor est accepté, alors la vente est contractualisée et le propriétaire en reçoit immédiatement les fruits.

 

Ces stratégies diffèrent ainsi surtout dans la manière dont chaque acteur de la ville est engagé dans le processus de transformation. Soit le « reste à bâtir Â» est vendu à un particulier qui y fera construire sa maison à l’aide d’un architecte, soit il est vendu à un opérateur qui y fera construire des logements avant de les revendre à son tour, soit le foncier reste propriété de l’habitant qui devient alors lui-même une sorte de « micro-promoteur-bailleur Â». De même qu’il n’y a pas un pavillonnaire mais bien des pavillonnaires, c’est à une multitude de villes pavillonnaires auxquelles l’on peut donc s’attendre en fonction des stratégies mises en place, des situations existantes investies, et de la capacité des acteurs à engager les collectivités et les habitants dans des processus de projets inclusifs, durables et partagés.

Les acteurs du logement notamment ont su ajuster leur offre et métier spécifiquement pour ces territoires pavillonnaires, de l’architecte qui intègre, à l’image des Architecteurs, des missions de conseil aux particuliers, ou qui met en place les outils pour actionner et superviser des milliers de porteurs de projets potentiels, aux promoteurs qui revisitent leurs modèles économiques pour intervenir dans le diffus. Pour que la ville pavillonnaire ou les villes pavillonnaires adviennent tout à fait, c’est-à-dire pour que ces quartiers deviennent des bouts de ville à part entière, avec des services, des infrastructures, des aménités publiques et des lieux de sociabilité, il semble que tout un écosystème plus large d’acteurs doive encore se mettre en marche pour inventer les modèles, les formes et les espaces d’une ville diffuse mue par la mise en mouvement de ses propres habitants.

 

 

1. Laureline Guilpain, Simon Jean Loyer, Aurore Rapin, Tiemo Schaefer et Jérôme Stablon, S(t)imulation pavillonnaire, Paris, Éd. Archibooks, 2014.

2. www.vivantes.fr

3. Le rapport du premier projet pilote lancé dans le canton de Vaud en Suisse est consultable sur internet à l’adresse : www.vd.ch/themes/territoire-et-construction/amenagement-du-territoire/projet-pilote-metamorphouse/strategie-metamorphouse/

4. https://www.iudo.co

5. http://landconverter.co.uk

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