(4/9) « Nos projets immobiliers requièrent des approches, des compétences, des sensibilités nouvelles », entretien avec Philippe Arfi

Rédigé par Cyrille VÉRAN
Publié le 01/09/2022

Dossier réalisé par Cyrille VÉRAN
Dossier publié dans le d'A n°301

Investisseur, développeur et gestionnaire, le groupe australien Goodman détient un patrimoine de 20 millions de mètres carrés dans le monde, principalement localisé dans les grandes métropoles. En 2018, anticipant le rapport de France Stratégie sur la sobriété foncière, Goodman prenait la décision de stopper le développement de ses entrepôts logistiques sur les terres agricoles. Le directeur général de Goodman France, Philippe Arfi, explique la stratégie du groupe, aujourd’hui orientée vers la verticalisation du métier et vers l’implantation sur des terrains en friche ou dans des bâtiments en reconversion. Ce nouveau modèle économique ne pourra cependant pas être conforté sans l’évolution des règles d’urbanisme.

D’A : « Pour aller vers un futur raisonnable, la verticalisation de notre métier est une nécessité », écriviez-vous dans une tribune au journal les échos, parue en juillet 2020... 

Dans la lutte contre l’artificialisation des sols, les acteurs de l’immobilier logistique ont une partition à jouer s’ils ciblent les friches pour leurs implantations (bases mi­litaires aériennes, friches industrielles ou commerciales...) et s’ils peuvent construire des entrepôts à étages. Cela fait bien long­temps que nos homologues asiatiques poussent loin la verticalisation du métier, à l’exemple de Hong­Kong qui accueille un immeuble logistique de vingt étages ! Les problématiques liées à la pression fon­cière du Grand Paris ne sont pourtant pas tellement différentes de celles des grandes métropoles asiatiques mais on continue de construire des bâtiments d’un seul niveau. Il faut avoir en tête le gain que permet cette typologie verticale. Nous avons construit 28 sites multiniveaux dans le monde, totalisant 2,8 millions de mètres carrés sur une emprise foncière de 120 hectares seulement. Une densité sept fois supérieure à la norme en France. Une telle surface de plain-­pied aurait nécessité de trouver plus de 800 hectares de terres. 


D’A : Pourquoi ce retard ? 

Pour que le secteur logistique aille vers la sobriété foncière, il est nécessaire de dépla­fonner les règles de hauteur dans les outils de planification, mais cela exige une condi­tion : un urbanisme volontariste. Cette ques­tion de la hauteur ne s’est jamais posée parce qu’on a repoussé la logistique aux confins des métropoles, sur les terres agricoles, pour laisser la place au logement et au tertiaire, qui sont des produits immobiliers à plus forte valeur ajoutée. Les grands parcs d’ac­tivité dont on hérite sont le résultat d’une politique de zonage monofonctionnelle et l’on réalise aujourd’hui que c’est un pro­blème en termes de congestion du trafic, de pollution, de qualité de vie pour les citadins mais aussi pour les employés de la logistique qui font parfois des dizaines de kilomètres au quotidien. Après avoir repoussé ces sites toujours plus loin, il est urgent de sanctuari­ser ces emplacements dans les villes et à leurs abords pour diminuer l’impact environne­mental de la logistique et retrouver une mixité économique et sociale. La période est à l’expérimentation et l’architecture en est une composante, mais pas la seule. 

 

D’A : La crise sanitaire n’a-t-elle pas justement fait prendre conscience de l’importance de la logistique dans notre vie quotidienne ?

Plus que la crise sanitaire, c’est la crise cli­matique qui a mis un coup de projecteur sur les métiers de la logistique même si le débat reste très polarisé sur ces grandes boîtes à chaussures symptomatiques de notre manière de consommer et de l’essor du e­-commerce. Si l’on veut décarboner le transport de marchandises, il faut tra­vailler sur les déplacements et la première des solutions réside dans la massification des flux, c’est-­à-­dire faire en sorte que les marchandises arrivent en amont de façon massifiée dans les grands entrepôts et que ceux­ci se situent au barycentre de la distribution pour minimiser la distance aux clients. Avec des points d’étape inter­médiaires, car il faut penser le réseau de manière capillaire. Distribuer par camion un client dans Paris intramuros depuis un entrepôt situé à l’aéroport Charles­ de­ Gaulle est une hérésie environnementale. 

 

D’A : Cette capillarité est-elle compatible avec l’injonction à être livré toujours plus vite ?

C’est une question à poser aux opérateurs de la logistique. Aujourd’hui le poids carbone que représente la livraison n’est pas mis en avant auprès des consomma­ teurs. Mais si demain on leur explique que la célérité a un coût environnemental et qu’ils peuvent choisir entre plusieurs options, dont une plus lente mais plus vertueuse, on peut espérer aller vers plus de modération. Ces offres de slow purchase vont bientôt émerger, il faut avoir foi dans l’inventivité des opérateurs. 

 

D’A : Dans ce maillage des implantations, est-ce encore possible de s’installer en première couronne de la métropole parisienne ?

C’est encore possible sur des petites em­prises de 1 à 1,5 hectare avec une typolo­gie de parc d’activité à étages qui s’adresse à des PME et des PMI. Même si le COS n’est plus d’actualité, il faut savoir que, pour un parc logistique traditionnel, il tourne autour de 0,4. Le concept que nous développons en région parisienne élève ce COS à 1,5. Ces programmes immobi­liers s’adressent à de la petite activité de production, de transformation et de dis­tribution. Les cellules tournent autour de 1000 m2 et les petits porteurs assurent le mode de distribution. 

 

D’A: Recourez-vous au fonds «friches», un accompagnement financier du gouvernement, pour vous aider notamment à supporter les coûts de dépollution ? 

Le fonds « friches » ne nous concerne pas directement car les projets que nous développons sont de nature industrielle et donc les seuils de dépollution sont moindres que pour la transformation des friches en logements, par exemple. En revanche, nous apportons une attention croissante à la déconstruction circulaire des friches que nous réaménageons afin de limiter la génération de déchets traités par enfouissement. Sur l’ancienne friche industrielle à Tremblay, par exemple, ce taux de valorisation des déchets a atteint 99,1 % à travers les filières de réemploi, recyclage ou de valorisation énergétique. On a surtout besoin de l’énergie adminis­trative pour nous faciliter la tâche, pas de subventions.

 

D’A : Vous insistez aussi sur la flexibilité d’usage de vos bâtiments...

L’enjeu, demain, c’est de travailler à péri­mètre constant pour épargner la ressource. On peut envisager plusieurs vies pour ces bâtiments en imaginant dès l’origine de leur conception leur déconstruction ou, en milieu urbain dense, en tramant cor­ rectement leurs structures pour accueillir d’autres usages.

 

D’A : Allez-vous capitaliser sur la matière grise injectée dans le projet green dock ?

C’est déjà le cas. Nous avons des projets qui s’apparentent de près ou de loin à Green Dock par leurs objectifs fonctionnels, envi­ronnementaux et architecturaux. L’une des clés, c’est bien entendu l’accompagnement des professionnels de la logistique. Pour Green Dock, en impliquant des utilisateurs dans notre équipe, nous sommes allés au­ delà de notre rôle de développeur pour comprendre de près leurs problématiques et les accompagner au mieux dans la tran­sition écologique. Ce sont ces nouvelles solutions de multi­modalité que nous cher­chons à explorer avec eux.

 

D’A : S’il y avait un message à adresser aux architectes, quel serait-il ?

Notre modèle économique a changé, on a cessé cette course au volume. Nos pro­jets sont plus risqués, plus longs, plus exi­geants, plus coûteux aussi et ils requièrent des approches, des compétences, des sen­sibilités nouvelles. Nous devons donc inciter les architectes à nous accompagner dans l’évolution de notre métier, dans un contexte de réindustrialisation générale. Certes, c’est un sujet très technique qui s’attache de manière prosaïque au déchar­gement des marchandises, aux rayons de giration des véhicules et à la dimen­sion des palettes. Le volume des docu­ments techniques à produire est là pour en témoigner. Mais il faut sortir de cette vision d’une logistique qui se résumerait à une vulgaire coque. En adjoignant des qualités esthétiques et programmatiques, ces projets transcendent leur vocation logistique pour s’adresser au territoire.

Abonnez-vous à D'architectures
.

Réagissez à l’article en remplissant le champ ci-dessous :

Vous n'êtes pas identifié.
SE CONNECTER S'INSCRIRE
.

> L'Agenda

Décembre 2024
 LunMarMerJeuVenSamDim
48      01
4902 03 04 05 06 07 08
5009 10 11 12 13 14 15
5116 17 18 19 20 21 22
5223 24 25 26 27 28 29
0130 31      

> Questions pro

Quel avenir pour les concours d’architecture ? 4/6

L’apparente exhaustivité des rendus et leur inadaptation à la spécificité de chaque opération des programmes de concours nuit bien souvent à l…

Quel avenir pour les concours d’architecture ? 3/6

L’exigence de rendus copieux et d’équipes pléthoriques pousse-t-elle au crime ? Les architectes répondent.

Quel avenir pour les concours d’architecture publique 2/5. Rendu, indemnité, délais… qu’en d…