Front de taille souterrain de la carrière de Noyant, dans l'Aisne |
Dossier réalisé par Stéphane BERTHIER Pour en débattre nous avons réuni l’architecte Gilles Perraudin, l’entrepreneur Anthony Zaphini (entreprise Tonino, Pont- du-Gard), le compagnon tailleur de pierre et responsable de l’Institut Supérieur de Recherche et de Formation aux Métiers de la Pierre Yann Le Bihan et enfin le directeur des Carrières de Provence Paul Mariotta. |
D’a : La construction en pierre connaît un regain d’intérêt auprès des architectes depuis une dizaine d’années, peut-être un peu plus, si on considère le chai de vauvert comme une sorte de jalon dans l’histoire contemporaine du matériau. Pourtant, on sait qu’après-guerre de gros efforts financiers avaient été entrepris pour moderniser et industrialiser la filière, la rendre compatible avec les impératifs de l’époque. Je pense notamment à la mécanisation des carrières, à la normalisation de blocs qui ont permis à Fernand Pouillon et à quelques autres de beaucoup construire en pierre massive. Alors qu’est-ce qui a fait que la construction en pierre massive a connu une si longue éclipse ?
Gilles Perraudin : En réalité, les efforts de développement de la filière pierre au sortir de la Seconde Guerre mondiale ont été très productifs. Les travaux de Paul Marcerou ou d’autres carriers encore pour moderniser leurs exploitations ont bien porté leurs fruits. À cette époque, la filière pierre fonctionnait de manière remarquable. Les œuvres de Fernand Pouillon en témoignent, mais il y a aussi beaucoup d’autres exemples, notamment dans le Sud de la France. Jusque dans les années 1960, on a beaucoup de bâtiments construits en pierre massive, à Montpellier, à Nîmes, à Arles avec des pierres de Fontvieille, des carrières du Pont-du-Gard, ou encore de la carrière de Beaulieu. Cette filière fonctionnait parfaitement.
Mais en effet, il y a eu une éclipse, à partir des années 1960, lorsque le gouvernement a décidé de favoriser la filière du béton, avec la politique des « modèles » qui a conduit aux dispositifs préfabriqués que l’on connaît comme le procédé Camus et d’autres. Ces procédés étaient associés à des projets d’architectes, c’est ce qu’on a appelé des « modèles », qui étaient reconnus, authentifiés et financés préférentiellement par le gouvernement. C’est avec cette politique qu’on a assisté au développement de grands ensembles, même s’ils existaient déjà avant. Par exemple à Montpellier, on a tout le secteur de la Paillade qui est un grand ensemble en pierre. Mais soudain, à partir de cette décision de politique de financement, tous les grands ensembles ont été attribués à des « modèles » de la filière béton.
D’a : Toutefois, la filière pierre aurait-elle pu répondre à la forte massification de la production de logement à cette période? N’est-ce pas l’industrie du béton qui a permis de répondre aussi vite à une demande aussi importante ?
GP : Il ne faut pas sous-estimer l’importance du lobbying de la filière béton, qui a fonctionné parfaitement. Il faut souligner qu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, il y a beaucoup d’industries de guerre qui se sont trouvées en panne, notamment les filières du charbon et de l’acier. Les grands capitaux qui étaient dans ces filières-là se sont alors tournés vers la reconstruction, prioritairement vers la préfabrication lourde en béton. Mais pour sécuriser ces investissements, il fallait derrière cela des garanties de marché. Le gouvernement a donc soutenu la filière béton dans laquelle s’investissaient des capitaux énormes. Est-ce que c’est du lobbying? Est-ce que ce sont de meilleures garanties d’efficacité ? C’est difficile de faire la part des choses, c’est une part de l’histoire. La pierre aurait-elle pu répondre de la même façon à cette très forte demande ? Je pense que oui, mais Paul Mariotta connaît sans doute mieux l’histoire, celle de l’autre Paul, Paul Marcerou qui dirigeait la carrière de Fontvieille à cette époque.
Paul Mariotta : J’ai une double réponse. J’aurais tendance à dire non si on fait référence aux réserves autorisées actuelles. À l’époque, on aurait pu exploiter plus de carrières, faire de nouveaux gisements. Gilles Perraudin dit souvent que la Terre est faite de pierre ! Il n’y a donc pas a priori de limites de ressources. Peut-être serions-nous allés moins vite avec la pierre, je ne sais pas. Mais on aurait certainement fait des bâtiments de meilleure qualité. On détruit souvent des barres de béton, mais des immeubles en pierre, on n’en a jamais détruit. On en démontera peut-être pour en reconstruire d’autres. Pour moi, il n’y a pas photo entre la qualité de la production en béton et celle en pierre.
D’a : Les architectes qui construisent avec la pierre font souvent état des difficultés d’approvisionnement et de disponibilité de la ressource, qui les obligent parfois à aller chercher des pierres très loin, voire à construire avec plusieurs sources. Vit-on une période d’ajustement ou bien est-ce une difficulté plus profonde de la filière? Peut-elle répondre aux exigences économiques et de délais que la filière béton a imprimé à la construction en france ?
PM : Je ne sais pas qui sont ces architectes qui auraient des difficultés d’approvisionnement mais actuellement la filière répond à la demande, elle est organisée. En plus les chantiers en pierre aujourd’hui vont nettement plus vite que les autres. Pour le chantier que nous faisons avec Eliet&Lehmann à Versailles, nous sommes deux carrières associées pour répondre aux objectifs de délais. Une partie des pierres vient du Bassin parisien, l’autre de la carrière de Fontvieille. On sait se mettre à plusieurs s’il y a besoin de fournir de gros chantiers dans des temps réduits. C’est vrai que des constructions en pierre, il y en a de plus en plus. Et ça, c’est grâce à Perraudin. S’il n’avait pas construit son chai à Vauvert avec les pierres du Pont-du-Gard, on n’en serait pas là.
D’a : Quels sont les facteurs impactant le plus l’économie de la construction en pierre? Son transport ? La transformation ? Quels conseils donneriez-vous à des architectes qui aimeraient construire en pierre dans un cadre économique crédible ?
PM : Le transport n’est pas si impactant puisque depuis nos carrières de Provence, même quand on va jusqu’en région parisienne, on reste compétitif. Gilles Perraudin a fait venir à Genève des pierres du Poitou et un peu de celles de Provence. L’impact du transport n’est pas rédhibitoire, il n’a jamais pénalisé les opérations.
Anthony Zaphini : En termes de coûts de construction, on est dans une fourchette de prix pour les murs en pierre entre 250 et 300 euros/m2. Le prix va cependant aussi beaucoup dépendre du dessin du projet. Il faut essayer de ne pas dépasser des tailles d’ouvertures de 180 centimètres de largeur sur 210 centimètres de hauteur. Bien évidemment, on sait faire des baies de 4 ou 5 mètres de long, mais cela aura un coût supplémentaire important pour les coffrages. Il faut aussi bien travailler son projet avec un ingénieur compétent en construction pierre, sinon on se retrouve à devoir faire des carottages un peu partout pour y couler des chaînages en béton et, là, on aura des surcoûts aussi.
Il faut apprendre à travailler avec la pierre, et optimiser le projet en amont. Pour un mur plein à monter, nous savons aller plus vite qu’un voile béton. Il est possible de produire entre 50 et 60 m2 de mur par jour avec des cadences normales, en offrant une surface extérieure finie, tandis que dans la filière béton il faut ensuite faire un revêtement sur le voile. Si la forme architecturale devient plus complexe, bien entendu le coût de pose va augmenter puisqu’on établit nos devis au nombre de cailloux posés par jour. Mais c’est pareil pour le béton, si la forme est complexe, le coût des coffrages s’envole.
GP : Il faut respecter la vérité de la pierre. La pierre se découpe, se présente sous forme d’éléments, singuliers ou au contraire standardisés. Si on est dans le cadre d’une recherche économique et qu’on respecte les règles de poses, les règles dimensionnelles, alors la pierre est imbattable sur le plan économique. Il n’y a pas de coffrage, il n’y a pas d’acier – si évidemment on a de bons ingénieurs qui connaissent la pierre et qui ne la surchargent pas comme si c’était du béton armé. On a alors des possibilités d’économies extrêmement fortes. On pourrait simplement rappeler ce qu’avait fait Fernand Pouillon, autant en termes d’économie que de rapidité de la construction. Pouillon a construit des milliers de logements en pierre massive, en puisant dans les carrières de Fontvieille, et quand on regarde le trou que ces constructions ont laissé, il est assez modeste. On a une quantité de pierre absolument considérable à notre disposition. Du point de vue de l’économie du matériau, le travail de Pouillon est exemplaire. Personne à l’époque n’a pu le battre sur le plan du délai comme sur celui de l’économie. Et si on ajoute à cela les questions environnementales contemporaines, alors je ne vois pas quel produit peut concurrencer la pierre.
D’a : Que pensent les compagnons du devoir des architectures contemporaines qui favorisent une certaine simplicité ou un dépouillement dans le travail du matériau ? Est-ce que la production contemporaine peut mettre en valeur vos savoir-faire ?
Yann Le Bihan : Le renouveau de la construction en pierre porteuse est une excellente chose pour le métier et pour la filière. Pendant l’éclipse dont nous parlions au début de l’entretien, le travail des tailleurs de pierre a basculé dans la restauration. Cela a constitué un terrain favorable pour la transmission des savoirs et des savoir-faire, qui ne se sont donc jamais perdus. Il n’en demeure pas moins que le tailleur de pierre reste un bâtisseur et que les constructions d’aujourd’hui sont le patrimoine de demain. Aujourd’hui, on le voit auprès du jeune public, de nos apprentis, tout le monde se réjouit de ce regain d’intérêt pour les métiers de la pierre. Les savoir-faire des Compagnons tailleurs de pierre peuvent se décomposer en trois volets : la conception – c’est-à-dire le tracé, la stéréotomie –, puis la transformation, c’est-à-dire la taille de la pierre, qu’elle soit mécanique ou manuelle. On emploie d’ailleurs de plus en plus de machines à commande numérique pour transformer la pierre. Nous sommes devenus très polyvalents avec les différents outils qui s’offrent à nous. Vient ensuite la mise en œuvre ou la pose, qui demande un réel savoir-faire dans les techniques de pose, pour répondre à la qualité, aux délais et aux attendus de finition. Si on pense au chantier des halles de Saint-Dizier réalisé par l’entreprise SNBR avec les architectes de Studiolada, nos savoirs en stéréotomie pour la conception et la taille des voussoirs des arcs ont été pleinement sollicités. Les Compagnons du devoir ont l’avantage d’offrir un savoir-faire global à toutes les étapes. La construction contemporaine en pierre porteuse fait cependant émerger de nouveaux besoins en compétences, que ce soit en matière de connaissance accrue des réglementations mais aussi dans la mixité des matériaux, qui est souvent présente dans les chantiers d’aujourd’hui.
D’a : est-ce que c’est facile pour vous de recru- ter des apprentis? Le BTP souffre en général de difficultés de recrutement, est-ce le cas des compagnons du devoir ?
YLB : Les métiers de la pierre recrutent. Effectivement, comme pour les autres métiers du bâtiment, on manque de candidatures aux vues des postes à pourvoir dans la filière. Les métiers manuels en général sont peut-être encore peu considérés mais la tendance est en train de changer. Nous constatons actuellement de nombreuses demandes de reconversion. Le tailleur de pierre souffre d’une image encore trop archaïque alors que la pénibilité est bien moins présente qu’auparavant dans notre métier, grâce aux moyens de levage qui ont bien évolué. C’est aussi un métier qui se féminise de plus en plus.
D’a : Le cadre normatif contemporain est souvent critiqué par les architectes qui tentent de construire en pierre massive aujourd’hui. Pourquoi ? Quels sont les principaux verrous réglementaires qui freinent le développement de la pierre ?
YLB : Aujourd’hui la construction en pierre massive est soumise au DTU 20.1 sur les ouvrages en maçonnerie de petits éléments, l’Eurocode 6 et la NF B10-601 qui règle l’emploi des pierres naturelles. Le fait est que l’on a normalisé le bâtiment après l’arrivée du béton sans tenir forcément compte du bâti déjà existant. Mais les comportements de ces deux matériaux ne sont pas les mêmes et les règles de conception ne peuvent donc pas être les mêmes. Les techniques de façonnage et de pose sont très différentes, on ne stabilise pas un parpaing creux dans l’édifice de la même manière qu’un bloc de pierre. Il serait bon d’adapter le cadre réglementaire et ses outils à la construction en pierre et non la mise en œuvre de la pierre à ce cadre.
PM : En réalité, des freins réglementaires, il n’y en pas, puisque jusqu’à présent on a toujours réussi à réaliser nos projets en pierre, quitte à faire des carottages pour couler des chaînages verticaux en béton. Le problème, c’est qu’on nous fait faire des choses qui ne servent à rien ! Les carottages ont même tendance à fragiliser les pierres. Certes, nous sommes équipés pour le faire, et cela apporte un peu plus de valeur ajoutée à nos produits. Mais ça représente un surcoût pour les clients, imposé par des bureaux d’études et des bureaux de contrôle dont le niveau de compétences en la matière est perfectible. Donc on applique des normes plutôt réservées aux ouvrages en béton en disant que l’on va faire la même chose pour la pierre. Tout cela ne nous empêche pas de construire, mais augmente inutilement le coût du bâtiment. Nous avons le cas actuellement d’un bureau de contrôle qui demande des raidisseurs verticaux sur un mur de 3 mètres de hauteur et de 40 centimètres d’épaisseur pour répondre aux calculs de résistance au vent, alors qu’un ouragan ne déplacera pas ce mur !
D’a : Est-ce que la filière travaille à l’élaboration de nouvelles réglementations ?
PM : Pas du tout actuellement, parce que la réglementation en vigueur ne nous gêne pas. Ça coûte un peu plus cher, voilà tout. J’avais envisagé de faire des essais sur table vibrante pour montrer que les chaînages ne sont pas utiles mais cela représente des investissements considérables en temps et en argent. La réponse à votre question initiale – qu’est-ce qui vous empêche de construire en pierre? – est « rien ».
GP : Personnellement, j’irai plus loin que Paul, je pense que ces chaînages ne sont pas seulement inutiles, ils sont dangereux ! Le comportement d’une structure en pierre n’est pas celui d’une structure en béton. Les lois de leur stabilité sont absolument opposées. C’est-à-dire que la stabilité du béton et sa résistance sont liées à sa raideur, tandis que la stabilité de la maçonnerie de pierre tient à sa sou- plesse : comme chaque élément du mur est indépendant, il joue avec les éléments proches de manière plus libre et peut donc absorber, notamment dans les joints, des déformations. Mais mettre dans ce mur en pierre des chaînages verticaux rigides en béton armé conduit à annuler cette souplesse et c’est une catastrophe. Et je suis d’accord avec Paul, la pierre a tellement de capacités que rien n’est impossible en pierre. L’histoire de l’architecture ne le prouve-t-elle pas ?
D’a : La pierre a-t-elle aussi des particularités, positives ou négatives, vis-à-vis de la réglementation thermique ?
YLB : Le CTMNC (Centre technique des matériaux naturels de construction) fait des études scientifiques sur le matériau pierre et s’est penché sur les performances du matériau au regard de la future réglementation RE2020. Ses travaux sont plutôt encourageants de ce point de vue. Ils visent à caractériser la capacité thermique des pierres pour pouvoir prescrire les bonnes pierres aux bons endroits en fonction de leurs caractéristiques thermiques.
PM : Ces travaux du CTMNC montrent aussi qu’on a toujours du mal à modéliser l’inertie thermique, donc on ne valorise pas encore très bien une qualité spécifique à la pierre qui est d’apporter une forte inertie thermique aux bâtiments. Dans certains cas, on nous oblige à isoler les murs en pierre alors qu’il y a peut-être d’autres solutions. En plus, dans la famille des isolants aujourd’hui, il y a des débats entre les isolants de synthèse et les isolants naturels biosourcés, comme le chanvre qui permet de ne pas faire barrage à l’inertie de la pierre. L’inertie de la pierre apporte un déphasage des températures d’environ 12 heures si on considère une épaisseur de 40 centimètres. Alors, le matériau pierre est bon, sauf si on lui ajoute des matériaux qui vont le rendre mauvais. Il y a d’autres matériaux biosourcés intéressants comme la balle de riz (son écorce) dont on dispose en grande quantité en Camargue. La balle de riz est un déchet non valorisé du riz. Cette écorce est en silice, donc elle ne brûle pas et n’est pas compostable. Ce déchet est donc enfoui dans des décharges, mais on ne sait plus où le mettre. On peut le recycler en isolant, notamment en isolation de combles car il est ininflammable. C’est un produit qui ne coûte rien, qui peut être un isolant thermique et en plus qui ne brûle pas. Il y a comme cela plein de matériaux naturels qui feraient de bons isolants, mais qui ne sont pas utilisés car les isolants de synthèse disposent de gros lobbies pour faire écrire les normes à leur avantage.
GP : La question de la thermique des constructions en pierre et vaste et large. Il faut d’abord la situer dans le contexte du confort : qu’est-ce que c’est que le confort ? Avons-nous tous les mêmes attentes en termes de confort ? Est-ce que le confort ne se définit que par la faiblesse des déperditions thermiques ? Qu’est-ce que l’inertie thermique apporte au confort ? L’inertie protège des chaleurs de la journée et restitue la fraîcheur accumulée pendant la nuit. Elle est une caractéristique qui rend l’usage d’un bâtiment sur le long terme extrêmement économe en énergie.
D’a : Vous préconisez de ne pas isoler les murs des constructions en pierre ?
GP : Il faut aussi relativiser les choses, nous parlons de l’effet de l’isolant sur les murs en pierre, mais ces murs ne représentent qu’une petite proportion de la surface de déperdition de l’enveloppe – il me semble qu’on parle de 10 % de l’échange thermique entre l’intérieur et l’extérieur. Le véritable lieu de l’échange thermique, c’est la toiture. C’est vrai que les lobbies de l’isolation nous poussent à en mettre partout, en grande épaisseur, mais il faut faire la part des choses. Il va faire de plus en plus chaud sous nos latitudes, aussi le confort thermique d’été va devenir prépondérant. Ça renverse complètement le problème, nous n’aurons plus à nous isoler pour conserver la chaleur mais au contraire à rechercher une grande inertie thermique pour générer une fraîcheur naturelle dans les bâtiments. Quand on a froid, on peut toujours mettre des couches de vêtements, on arrivera à avoir chaud puisque notre corps est une machine à fabriquer de la chaleur. En revanche, nous n’avons rien d’autre que la transpiration et la ventilation pour rafraîchir notre corps. Si on veut se rafraîchir de manière artificielle, nous n’avons pas d’autres choix que d’utiliser des climatiseurs qui consomment trois fois plus d’énergie pour refroidir l’air qu’un radiateur n’en consomme pour le chauffer.
Les choses sont en train de changer radicalement. Dans nos villes, ce changement conduit à l’aggravation des îlots de chaleur urbains. Dans le futur, les bâtiments devront avoir une très forte inertie, sinon ce sera une catastrophe. On voit souvent des gens qui habitent dans des bâtiments BBC obligés d’installer des climatiseurs car la température estivale devient tellement élevée que ce n’est plus vivable, parce que c’est trop isolé ! On court donc à la catastrophe énergétique.
D’a : Le bon bilan carbone de la pierre sortie de carrière n’est-il pas compromis si le matériau doit parcourir de longues distances jusqu’au chantier ?
PM : Non, le CTMNC travaille actuellement à des évaluations de la distance. Il semble que l’impact du transport soit moindre que ce que l’on imagine.
GP : J’ajouterai que, derrière la question du bilan carbone du transport, il y a celle du mode de transport. Effectivement, si on transporte la pierre par camions, alors on a des bilans carbone qui sont catastrophiques. Le fret ferroviaire ou maritime réduit considérablement les émissions de CO2. En conséquence, le problème n’est pas celui de la distance mais celui du mode de transport. Les pierres des bâtiments de Fernand Pouillon en région parisienne ont été acheminées avec le chemin de fer. En Algérie, les pierres de Fontvieille arrivaient par bateau. Mais ici aussi, il faut remettre la question dans son contexte. Si on s’offusque de faire parcourir 200 kilomètres à une pierre, alors que devons-nous penser de l’acier, avec ses mines en Australie, ses hauts-fourneaux en Chine, ses tréfileries au Brésil ? Les kilomètres parcourus par l’acier que l’on utilise en France donnent le vertige. Je veux bien discuter du trajet de la pierre entre la Provence et Toulouse, mais il faut comparer les matériaux entre eux.
D’a : Le nombre de sites d’exploitation actuelle est très faible par rapport aux siècles précédents. Est-ce difficile d’ouvrir ou de rouvrir des carrières ? La ressource est-elle suffisante pour trouver une part de marché significative ?
PM : Oui, c’est difficile car jusqu’à présent il n’y avait pas réellement de besoins. Si la demande augmente, l’offre va devoir s’adapter. Aujourd’hui, ce qui pénalise l’ouverture de carrières, c’est l’urbanisation et les règlements d’urbanisme. Les possibilités d’ouverture de nouveaux gisements sont donc restreintes. Les gisements des carrières de pierres de construction sont petits par rapport aux carrières qui fabriquent les granulats pour les routes et le béton. On pourrait aussi tirer des produits de construction de ces carrières de granulats. Si au lieu de les concasser en petits morceaux on en sortait de gros blocs, nous pourrions construire des bâtiments. Regardez dans les Alpes, les maisons y sont construites avec des morceaux de pierres. Ce ne sont pas des pierres sciées sur leurs six faces, mais des moellons irréguliers maçonnés. Il faut aussi que l’architecture s’adapte à la pierre locale, il ne faut pas toujours penser en bloc de calcaire taillé sur six faces.
D’a : Le développement de la filière ne risque-t-il pas de créer des phénomènes d’opposition, pour la défense de l’environnement, des paysages ?
PM : Une carrière est un état passager, elles sont remises en état au fur et à mesure et comblées à la fin de leur exploitation. La profession est devenue exemplaire sur ce sujet. Je pense que la question du risque environnemental ne se pose pas.
AZ : Ici aussi, on regarde la carrière de pierre en France, mais l’extraction du calcaire pour le ciment, ou pire, pour des métaux, crée des exploitations beaucoup plus grandes et polluantes. Ces mines sont à des milliers de kilomètres, on ne les voit pas et on se donne bonne conscience sur notre territoire. C’est un peu hypocrite parce qu’on détruit des paysages ailleurs, bien plus brutalement qu’avec une carrière de pierre en France.
PM : Et le sujet le plus sensible aujourd’hui est sans doute la pollution, or l’exploitation d’une carrière de pierre de taille n’est pas une activité polluante.
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