Maison suburbaine de BAST Ã Toulouse |
Dossier réalisé par Jean-Louis COHEN Dans Masculin-Féminin,
film tourné en 1965, Jean-Luc Godard a cru voir dans la jeunesse parisienne qu’il
observait « les enfants de Karl Marx et du Coca Cola », établissant
une sorte de symétrie entre les affects politiques de ses personnages et leurs
pratiques de consommation. Si l’on tente à plus de cinquante ans de distance de
caractériser les jeunes équipes françaises selon ce principe, il est assez
difficile d’identifier précisément leur breuvage favori. S’agit-il du spritz,
du chai latte ou |
du thé vert ? Il est moins hasardeux de se lancer dans la recherche de leurs inspirations politiques et culturelles. Les étudiants radicaux des Beaux-Arts et des écoles qui furent créées après la fermeture de sa section d’architecture s’efforcèrent d’adapter à ce qu’il était alors convenu d’appeler la « production du cadre bâti » les concepts marxiens. Cette attitude semble aujourd’hui aussi sympathique qu’elle était mécanique, réductrice de toute pratique à son inscription dans les rapports de production. L’anti-intellectualisme et l’hostilité à l’invention esthétique propre à ce milieu se dissipèrent dans les années 1970 et ce fut alors le corpus de la théorie de l’architecture qui fut ignoré, pendant que les sciences humaines et la théorie critique devenaient hégémoniques. Cet appétit pour les discours extérieurs à la discipline semble aujourd’hui révolu, et les approches plus internes sont devenues la règle, notamment en France. Les architectes présentés ici entendent aujourd’hui « vivre leur vie », pour reprendre le titre d’un film de Godard tourné trois ans plus tôt.
Une génération et son
moment
Toute tentative permettant de reconstituer la matrice dans laquelle se sont formées ces équipes ne peut que conduire, dans un premier temps en tout cas, à explorer à la fois leurs lieux de formation et d’apprentissage, et le « bain » culturel dans lequel elles ont été immergées. Elle impliquerait donc de s’interroger sur les écoles que leurs membres ont fréquentées, sur les agences dans lesquelles ils ou elles ont travaillé et sur les œuvres et les villes auxquelles ils ou elles ont été exposé·e·s. Mais il ne s’agirait là que d’une généalogie trop courte, qui ne suffirait pas à saisir les idéaux et les méthodes de conception d’un groupe dont la cohérence est toute relative et qui ne constitue, il convient de ne pas l’oublier, qu’une fraction d’un univers professionnel et culturel plus ample, dans lequel d’autres groupes d’âges et d’autres types d’agence coexistent.
S’il est facile en termes démographiques de
considérer ce groupe comme l’émanation d’une génération, il est moins aisé de
définir avec tant soit peu de précision ce qui constitue celle-ci en tant que
telle. Certains textes classiques des sciences sociales donnent des clés pour
saisir cette notion déterminante. Dans Le Monde
de l’esprit, le philosophe
Wilhelm Dilthey a défini la génération comme étant « un groupe d’individus
reliés en un tout autonome par le fait qu’ils dépendent des mêmes grands
événements et changements survenus durant leur période de réceptivité ». Quels
pourraient être dans cette perspective les événements ayant marqué les
architectes qui nous occupent ? La fin de la Guerre froide et l’apparition
d’un monde multipolaire ? La crise écologique et le réchauffement
planétaire ? La numérisation généralisée des activités humaines ?
Tous ces changements se composent pour façonner l’espace dans lequel ils ou elles
évoluent.
Dans son essai
classique Le Problème des générations, le sociologue Karl Mannheim a donné en 1928 des indications toujours
pertinentes, affirmant que « la contemporanéité chronologique ne suffit pas
à constituer des situations de génération analogues ». Mannheim permet de
comprendre la logique des ruptures qui scandent tant l’architecture que la
politique, en mettant l’accent sur la conflictualité : « Deux
générations qui se suivent ont chacune à combattre un autre adversaire à l’extérieur
et à l’intérieur d’elles-mêmes. Alors que les vieux combattaient encore quelque
chose en eux-mêmes ou dans le monde et que tous leurs sentiments et toute leur
volonté, mais aussi leurs conceptions se définissaient par rapport à cet
adversaire, cet adversaire est disparu pour la jeunesse. »
Si l’on applique cette analyse au cas de ces architectes,
on pourrait dire par exemple que la fixation positive ou négative sur Le Corbusier
des générations s’étant succédé pendant les Trente Glorieuses et au cours des
années Mitterrand, typique des « vieux », n’a plus de sens pour ce
que l’on peut dénommer avec Mannheim la « jeunesse ». L’adulation
propre à Henri Ciriani et ses épigones et la détestation affirmée de Jean
Nouvel envers l’auteur de la villa Savoye, deux positions marquant les bornes
du discours des années 1980 et 1990, ne trouvent plus guère d’échos non plus. Un
temps, les seize agences regroupées à l’enseigne de la « French
Touch », recyclant une marque née dans le champ de la musique techno au
début des années 1990, semblèrent promettre une nouvelle identité collective. Animée
notamment par l’Atelier Philéas, Koz Architectes, Périphériques et
Hamonic+Masson, la « French Touch » publia plusieurs éditions d’un Annuaire
d’architecture optimiste, mettant en avant des projets plus engagés
esthétiquement, mais difficiles à assimiler à une stratégie cohérente et
convergente.
Sur un autre plan, Mannheim donne une
définition non moins utile de l’« esprit du temps ». Considérant qu’il
« n’est pas celui de toute l’époque, mais que ce que la plupart du temps
on considère et estime comme tel », il le voit « trouver le plus
souvent son assise dans une couche sociale (simple ou composée) qui, à un
moment défini, a acquis une importance particulière et qui, par la suite,
imprime sa marque intellectuelle aux autres courants, sans cependant les
détruire ou les absorber ». D’où l’utilité pour mon propos de préciser
quel est le « moment défini » dans lequel se situe la génération des
architectes présentés ici, et en quoi il distingue des moments antérieurs. Tout
autant que d’un « moment » identifiable dans le temps, il s’agit d’une
conjoncture dans laquelle les politiques nationale et locale rencontrent la
demande sociale et les principales orientations de la culture au sens large et
de la culture architecturale dans un sens plus étroit.
Figures nationales
Afin de mieux cerner ce moment – ou cette
conjoncture –, et les déterminations qui en découlent, il n’est pas
inutile de l’inscrire dans une relative longue durée, non pas pour en réduire
la spécificité, mais plutôt pour mieux la saisir. Un point de référence évident
est la trop fameuse opposition suggérée par Sigfried Giedion entre l’École polytechnique
et l’École des beaux-arts, qui fait partie du sens commun, car elle est un des
pivots de ce best-seller que fut longtemps Espace, temps, architecture,
publié en 1941. Cette opposition, suggérée à l’historien suisse par Le Corbusier,
ne doit pas occulter le fait que la formation dispensée aux architectes dans
les écoles d’ingénieurs, comme Centrale ou l’École des travaux publics, a pu
prendre une dimension artistique prononcée et que les fractures internes aux
Beaux-Arts entre ateliers conservateurs obsédés par la composition et ateliers
rationalistes plus attentifs aux techniques et aux usages ont traversé toute
son histoire et ont été plus déterminantes en termes de production. Mais
surtout cette opposition ne doit pas faire oublier l’analyse proposée en 1928
par Giedion dans son premier livre sur l’architecture moderne, Construire en
France.
Dans cet ouvrage, la démonstration visuelle se
conjugue avec l’enquête historique pour démontrer une thèse fort claire. Ce n’est
pas le culte de la composition qui serait le trait le plus spécifique de l’architecture
française, mais bien cette « constante nationale » qu’il voit dans le
« tempérament constructif » se manifestant dans les ouvrages des
ingénieurs, tout comme dans les œuvres d’Auguste Perret, de Tony Garnier, de
Corbusier et de Robert Mallet-Stevens. Les rares critiques se hasardant alors Ã
proposer une vision d’ensemble de la scène française eurent des points de vue
convergents. Ce fut le cas dans les années 1930 des articles de Marie Dormoy et
des chroniques que Julius Posener dans L’Architecture d’aujourd’hui, qui
glosèrent également sur les théories de Perret, dont tous les deux étaient
proches à un titre ou à un autre.
Dans le catalogue de l’exposition « Interferenzen – Architektur, Deutschland, Frankreich »,
organisée à Strasbourg en 2013, Christian Freigang a commenté une lettre
extraordinaire adressée en 1933 par Hans Poelzig à Posener, son ancien disciple
de la TH de Berlin, dans laquelle il considère comme irréductible l’opposition
entre des architectures ancrées dans l’histoire des deux nations. Si toutes
deux aspirent à créer des « organismes », la démarche allemande est
« plus diverse, pas très claire et un peu effervescente », alors que
la française est « classique,
fondée sur un principe gothique ». D’un côté, une « expression » tendant à la subjectivité, et
de l’autre une rationalité tendant à l’objectivité. Bien qu’il se déclare
lui-même attaché aux théories de Viollet-le-Duc, Poelzig déclare que les
Allemands ont tiré de son œuvre avant tout une leçon spatiale tandis que les
Français y trouvaient des enseignements exclusivement structurels.
La généalogie de la
génération considérée ici inclut assurément, comme l’indique Emmanuel Caille, le néobrutalisme des années 1960, qu’illustrent
les démarches de l’Atelier d’Urbanisme et d’Architecture ou de l’Atelier de
Montrouge, dont le code génétique contient des chromosomes empreints d’une
rationalité devenue démonstrative et didactique. C’est cependant bien en amont
qu’il faut remonter pour en mesurer les données stables et les données
mutantes. Les connotations nationalistes encore présentes dans le second
après-guerre n’ayant plus court, ce n’est plus dans un jeu de miroirs avec les
voisins – Allemagne ou encore Grande-Bretagne et Italie – que se
construit le discours architectural. À l’heure des programmes comme Erasmus
pour ce qui est de l’éducation et EUROPAN pour ce qui est de la projection sur
des sites exotiques, les formations en alternance dans un pays ou un autre et
les agences multinationales sont devenues sinon la règle, du moins une réalité
fréquente. C’est donc dans sa plus grande extension géographique que cet
« état présent de l’architecture » considéré en 2015 par Jacques
Lucan doit être saisi. Plus qu’un état statique, contenu dans les frontières
nationales, il s’agit d’une série de démarches dynamiques, dont certaines ont
des origines lointaines et qui inspirent aux équipes françaises sympathie,
antipathie ou simplement indifférence.
Bien que les préjugés nationalistes se soient
dissipés, les lignes de continuité intellectuelles – dont Lucan reconnaît
d’ailleurs l’existence – se sont prolongées, et certains habitus – pour
faire écho au concept de Pierre Bourdieu – se sont révélés bien stables. Force
est par exemple de constater l’investissement de beaucoup d’architectes dans
les représentations graphiques des projets, comme si chaque édifice était
doublé de son ombre bidimensionnelle. Pratiquement tous formés à l’architecture
à l’ère du numérique, ces professionnels ne reproduisent ni les techniques qui
avaient été celles des Beaux-Arts, avec le culte du plan et de la façade
aquarellés, présentés comme des affiches, ni celles des post-soixante-huitards fixés
sur l’axonométrie, bien que ce mode de projection soit resté des plus populaires.
Représentations
Comme le montrent celles de NP2F pour l’Institut
méditerranéen de la ville et des territoires ou pour l’îlot 2B d’Euroméditerranée,
il s’agit moins avec les axonométries contemporaines de représenter l’architecture
en privilégiant sa structure, à la manière d’Auguste Choisy, que de donner une
vision ample des ensembles urbains échappant à l’impressionnisme des images
rendues en trois dimensions. Dans le même registre, l’isométrie de l’AUC pour
le Grand Paris simulé rapproche des interventions éclatées sur le terrain,
donnant une dimension systémique à des fragments disséminés sur le territoire
métropolitain.
Un autre registre fréquent dans la
communication des projets, et sans doute dans leur processus même de conception,
est celui du diagramme, selon les cas analytique ou prospectif. Le tableau
typologique établi par GRAU pour son projet de logements à Lormont, avec sa
codification coloriée, relève de cette approche, tandis que le dessin du quartier
conçu par cette agence pour Bordeaux propose une géométrie assez hermétique. Un
trait commun à l’ensemble des éléments visuels produits par tous les
architectes est le refus des simulations hyperréalistes et de leur démagogie. Guère
d’illusion perceptive à visée commerciale dans des images qui se donnent d’emblée
comme telles et aspirent plus à la communication des principes architecturaux
qu’à la production d’un effet d’ambiance. Peu de représentations tendent vers des
effets de réalité, comme on le sait toujours illusoires.
Beaucoup parmi ces images produites par le collage
d’éléments de projet, de personnages et de végétaux ont un aspect presque
enfantin, soulignant de façon quelque peu forcée la légèreté et la gaité du
parti qu’elles évoquent. Une élévation dessinée par GRAU pour le quartier de
Lormont s’apparente à un jeu de cubes, tandis que celle de NP2F pour un
immeuble de logements à la caserne de Reuilly s’apparente à un tableau naïf.
Les éléments du décor urbain venant en quelque sorte garnir l’ensemble de
logements de l’agence Concorde à Bondy-Villemomble s’inscrivent aussi dans une
veine évoquant les toiles du Douanier Rousseau, tandis que son projet d’espace
public du Plan d’Aou à Marseille est présenté à la manière d’une image d’Épinal
à découper et à coller.
Géographies
Passons des représentations, dont le spectre
est des plus étendu, à la substance de l’architecture qu’elles illustrent. La
première caractéristique qui la distingue de celle des générations précédentes
est une géographie de moins en moins parisienne. Dans la capitale et sa
périphérie, les opérations correspondent à des échelles très hétérogènes, des
interventions modestes à l’intérieur du tissu existant aux stratégies
métropolitaines. Quant aux opérations déployées dans les régions, qu’elles
soient le fait d’agences parisiennes ou d’équipes locales, elles révèlent l’atténuation
de la commande de l’État central et la complexité du tissu des opérateurs
publics et privés, et l’existence d’une clientèle de particuliers prêts à prendre
le risque de projets imaginatifs en rupture avec les stéréotypes. L’Europe
devient aussi un polygone de déploiement pour certaines équipes, telle LIST,
qui a élaboré des projets en Belgique, en Suède et en Autriche.
Cette géographie est aussi déterminée par la
nouvelle vague de la modernisation des villes françaises, qu’il faut situer par
rapport aux précédentes. Il est inutile de revenir sur l’intense production
publique des années 1960 et 1970, marquée par le passage de ce que l’on peut
considérer comme un fonctionnalisme académique d’État à une architecture
aspirant à un retour à l’urbanité, sous l’effet de la critique des Grands
Ensembles. Pendant qu’une vague d’habitations individuelles submergeait les
zones suburbaines, cette production s’est poursuivie sous les deux mandats
présidentiels de François Mitterrand, qui ont correspondu à une politique
généreuse de construction d’édifices publics, répondant notamment à la
multiplication des appareils d’État régionaux et locaux.
L’enjeu n’est évidemment pas aujourd’hui de refaire
cette France moderne toute neuve, même si l’entretien de projets construits rapidement
pose parfois problème, mais plutôt de compléter son tissu déjà dense, au
travers d’interventions dans les tissus existants et de programmes novateurs
correspondant à de nouvelles orientations des politiques de recherche et des
formes de travail collectif, mais aussi à des pratiques résidentielles
inédites. Le carcan des catégories normatives qui enserrait les projets des
générations antérieures semble ainsi avoir été en partie brisé – sauf en
ce qui concerne la réglementation thermique devenue incontournable, ce qui a
déplacé du même coup le poids de l’imagination programmatique, à laquelle
participent les concepteurs. Dans ce jeu délicat avec les normes, les équipes
présentées parviennent à élaborer des ensembles de logements sociaux d’une réelle
qualité. Tant leur insertion urbaine que l’imagination déployée pour les rendre
plus habitables, en dépit de leurs surfaces relativement restreintes, en font
des œuvres qui ne se contentent pas de se fondre dans le paysage répétitif de
la ville contemporaine.
Les langages avec lesquels ces programmes
trouvent leur interprétation bâtie peuvent être inscrits dans ce j’appellerai une
continuité critique avec les précédents français. Cette permanence des
attitudes vis-Ã -vis des principes architecturaux se conjugue avec une grande
liberté d’interprétation. Elle porte moins sur la reprise littérale d’éléments
d’écriture ou de stylistique qu’elle ne reproduit des attitudes dans lesquelles
l’écho d’une culture transmise dans l’enseignement et dans les agences est
perceptible. Je tenterai de cerner les contours de cette culture souvent plus
implicite que clairement formulée par des concepteurs parfois rétifs devant l’expression
écrite de leurs positions. Ce mutisme n’est pas unanime, comme le montrent par
exemple les réflexions élaborées par le fondateur de LIST Ido Avissar sur les
« intensités du neutre », indice d’une forme de pratique qui ne
serait pas exclusive d’une posture de recherche attestée. Dans la cohorte
immédiatement antérieure, la position d’Éric Lapierre est aussi fondée sur la
poursuite parallèle de l’écrit, du projet et de l’exposition.
La cage souveraine
La première composante de cette culture est un
certain éclectisme dans l’utilisation des structures et des matériaux. La
tyrannie du béton armé, qui fut longtemps considéré comme le support du
« rayonnement de la pensée et de la création françaises dans le
monde », pour reprendre le titre d’une plaquette de propagande de 1950, semble
révolue. Repensé dans sa composition de sorte à atteindre une plus haute
résistance, capable de prendre les formes plus flexibles que permet le béton
fibré ultra haute performance, il a bénéficié des progrès de la recherche
scientifique, donnant ainsi raison à Giedion qui voyait en lui en 1928 un
matériau « de laboratoire ». La maison-atelier Hamra plantée, telle
un rocher, par le Collectif Encore sur une lande suédoise n’utilise pas ces
nouvelles potentialités. En dépit de ses formes anguleuses, ce monolithe
domestique évoque plutôt les habitacles qu’André Bloc avait sculptés dans les
années 1960.
Si béton il y a, il est plutôt mis en œuvre sous
la forme d’une ossature, le plus souvent visible, sinon exhibée. L’idéal de l’« abri
souverain », formulé par Auguste Perret en application de la théorie de
Viollet-le-Duc, qui préconisait que la structure et l’apparence se confondent,
s’y trouve appliqué, transmuté en une sorte de « cage souveraine ». Les
manifestations de ce paradigme produisent le plus souvent des effets
tectoniques vigoureux, donnant aux programmes qu’elles servent une forte
présence urbaine et paysagère. La Cathédrale des sports édifiée par NP2F Ã
Bordeaux illustre parfaitement cette démarche, tirant le meilleur parti
expressif d’une ossature orthogonale dans laquelle les pratiques les plus
diverses trouvent chacune leur place, se déployant dans la lumière naturelle.
Sur un thème proche, l’équipement sportif
construit par Muoto sur le campus d’Orsay confère une présence monumentale à un
type de programme souvent traité comme une grande boîte industrielle opaque et
indifférente. À Lille, Muoto réconcilie dans son immeuble de bureaux Euratech
le principe radical de la maison Dom-ino de Le Corbusier – au fond
son seul projet jugé recevable, avec le jeu de ses poteaux et de ses dalles –,
et celui de l’abri de Perret, avec une cage d’une transparence inattendue. Le
projet de N2PF pour l’Institut méditerranéen de la ville et des territoires
encadre les différentes entités le constituant dans une grille orthogonale de
colonnes et de planchers, qui tend un miroir déformant à la bibliothèque
universitaire de Fernand Pouillon. Pour peu que sa trame soit plus resserrée,
la cage de béton armé permet aussi de régler les différents volumes d’ensembles
d’habitation insérés dans un tissu dense, comme celui de la ZAC du Port de
Pantin, avec lequel CAB parvient à donner une unité à des volumes inscrits à la
fois dans une séquence de formes basses et une continuité de blocs formant une
façade urbaine.
Nul fétichisme ne s’applique cependant à la
« cage souveraine » en termes de matériaux, le béton étant parfois
remplacé par de l’acier, dans des problématiques qui trouvent des précédents
dans les projets américains de Mies van der Rohe, mais aussi dans ceux de
l’équipe parisienne d’Eugène Beaudouin, Marcel Lods et Vladimir Bodiansky. L’ossature
de la Maison du technopôle à Saint-Lô, dessinée par Muoto, ne peut pas manquer
de faire penser à cette tout autre « maison de verre » qu’était, à en
lire ses thuriféraires, la Casa del Fascio de Giuseppe Terragni à Côme. Ailleurs,
quand bien même le système constructif reste constitué de panneaux massifs, une
sorte de simulacre de cage y est tracé, comme sur les façades du foyer de
handicapés à Rennes de Bourbouze et Graindorge.
Des enveloppes
reformulées
Après que les années 1980 et le début des
années 1990 ont vu coexister les héritiers de Le Corbusier – hégémoniques
un temps –, et ceux de Pierre Chareau, dont se réclamait fortement Nouvel,
une tentation récurrente des architectes français devint le perfectionnement de
l’enveloppe des édifices, le fétichisme du verre se substituant souvent à celui
du béton armé, et les géométries curvilignes remplaçant les trames
orthogonales. Les projets des équipes rassemblées ici montrent que ces
approches ont été dépassées et que le travail sur les surfaces extérieures s’est
diversifié. Une problématique plus ornementale se manifeste aussi sous des
formes allant du simple travail sur la surface à des démarches plus
sculpturales.
Le lexique de l’enveloppe est diversifié. Elle est
constamment changeante lorsqu’elle est générée par le jeu des stores, qui donnent,
lorsqu’ils sont tirés, aux logements de Muoto dans le 20e arrondissement
de Paris un visage muet, tranchant avec la physionomie plus avenante des autres
appartements. La Maison Julie-Victoire-Daubié de Bruther à la Cité
universitaire de Paris se transforme au fil des saisons et des journées en
fonction du jeu combiné des stores et des fenêtres horizontales. Des vagues
bleues de panneaux opaques, dont la trame correspond à celle des vitrages qui s’y
superposent, scandent celles du groupe scolaire de Muoto à Boulogne. Aux
antipodes de cette sophistication, ce sont les simples ondulations d’une tôle
bien prosaïque qui habillent la maison suburbaine de BAST à Toulouse.
Le travail à fleur de peau sur l’enveloppe
renvoie à une autre expérience historique de l’architecture française du XXe siècle
– celle de tous les efforts déployés autour de la culture du métal. Loin
de la cage souveraine et de la logique du remplissage qui en est le corollaire,
elle participe de ce « parti du détail » qu’a analysé Hubert Damisch en
1973 dans son étude sur l’œuvre de Jean Prouvé. Échappant à l’arbitraire
formaliste, ces enveloppes s’inscrivent dans une expérience qui fut
déterminante pour l’apparition de l’architecture dite high-tech, celle des
inventions structurelles du ferronnier de Nancy, qui fut à la fois capable d’imaginer
des constructions complètes et des composants apportant une touche élégante aux
édifices des autres. Découverte pour la génération des Nouvel et des
Portzamparc au travers des extraordinaires cours qu’il dispensait au
Conservatoire national des arts et métiers, sa démarche était fondée sur l’observation
des formes des automobiles et des avions, et s’opposait à la culture dominante
du béton. Dans beaucoup des projets évoqués, elle s’oppose moins à cette
dernière qu’elle ne se conjugue avec elle. Pour en revenir à l’allusion
cinématographique qui ouvrait ce propos, peut-être pourrait-on voir les
architectes rassemblés ici comme les enfants d’Auguste Perret et de Jean Prouvé ?
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