Atelier Kempe Thill, immeuble de logements en accession, bureaux, commerces, parking, livré en 2019. Panamarenko-plein, Anvers, Belgique |
Dossier réalisé par André KEMPE À l’été 2019, j’ai proposé à ARCH+, magazine allemand d’architecture, de consacrer un numéro à l’architecture française contemporaine. Coïncidence, ils avaient eu cette même idée. Ils m’ont alors proposé de coréaliser ce numéro, comme rédacteur invité. Naturellement, il fallait que cette initiative soit menée en partenariat avec la France. C’est pourquoi nous avons choisi de collaborer avec Emmanuel Caille et le magazine d’a pour un numéro qui partage de nombreux d’articles, mais adapté à la nationalité de son lectorat. |
Pourquoi se lancer dans une telle entreprise ? Vu depuis l’étranger, cela fait longtemps qu’une scène architecturale française n’avait pas fait envie et attiré l’attention. Jusqu’alors, la perception de l’architecture en France ne se résumait qu’à quelques architectes singuliers, à l’œuvre cohérente et remarquable, comme Jean Nouvel, Lacaton & Vassal ou Dominique Perrault. Pour simplifier, et sans vouloir être irrévérencieux (seulement honnête), la grande majorité de la production architecturale n’intéressait guère. À tort ou à raison, elle était perçue comme superficielle, incompréhensible ou provinciale, mais rarement inspirante. Ce qui est d’autant plus regrettable pour un pays à la culture aussi riche.
Avec la
revue ARCH+, nous avons choisi
quelques architectes qui ont attiré notre attention au cours des dernières
années : Éric Lapierre, Bruther, Muoto, Grau, CAB, Data, BAST, Bourbouze
& Graindorge, l’AUC, LIST, NP2F, Sophie Delhaye, Inessa Hansch, Armand
Nouvet. Il y en a bien d’autres encore, mais nous n’avions malheureusement pas
suffisamment de pages pour les y intégrer.
Ces
architectes font partie de la « génération Europe ». Ils ont étudié,
et souvent travaillé à l’étranger. Ils sont d’ailleurs parfois étrangers et se
sont installés en France pour y exercer. Ils sont de plus en plus souvent
invités à des concours internationaux, enseignent dans des écoles à l’étranger
et gagnent des prix européens. Leur travail est intensément ancré dans le
sillon des grands architectes modernes, comme Auguste Perret, Tony Garnier,
Fernand Pouillon ou Jean Prouvé – architectes qu’ils citent souvent en
référence. Ils entretiennent un lien fort avec la génération précédente,
notamment Lacaton & Vassal, Finn Geipel/LIN et Ibos et Vitart, et aussi avec celle d’encore
avant, en particulier Jean Nouvel et Dominique Perrault.
Un esprit commun
Chacun et
chacune de ces architectes ont leur propre identité et leurs caractéristiques.
Mais dans ces individualités, il y a des similitudes. Plutôt qu’à des questions
d’ordre stylistique, nous nous sommes attachés à regarder en profondeur ce qui
se cache derrière ces similarités, et si un discours prenait forme autour de
cette question. Je pense qu’il existe clairement une attitude commune qui
dépasse la mode ou le style et que nous croyions plus substantielle.
On y retrouve
toujours un certain sens des priorités et des choix sur lesquels se fondent les
projets. On peut caractériser le travail de cette génération d’architectes par
la très grande clarté, ce qui est très direct et déjà provocant. Leurs
priorités sont évidentes. Les bâtiments qu’ils créent ont de grandes baies
vitrées, offrent des vues dégagées, ce qui est particulièrement remarquable
pour du logement social. Il y a beaucoup d’espaces extérieurs, de grandes terrasses. Les qualités qu’ils visent
sont donc très simples et très honnêtes. Il s’agit de qualités objectives.
Mais comment
arrivent-ils à réaliser de tels projets ? La structure est conçue suivant
une trame régulière et répétitive, aux portées optimisées. Les éléments
techniques ne sont pas cachés mais plutôt délibérément visibles. Les matériaux
sont laissés bruts et apparents. La structure devient façade. Tout cela ne
relève pas d’intentions stylistiques mais d’une volonté de trouver une
stratégie économique rationnelle, stratégie qui permet d’offrir d’autres
qualités améliorant concrètement la qualité de vie des usagers pour un budget
identique.
Cette
architecture n’est pas « normale », bien au contraire. Il s’agit
d’une architecture spécifique, chargée de caractère, malgré son systématisme
initial. Elle vit plutôt de ses subtilités, de ses proportions, de sa recherche
de générosité et de noblesse, tranquille mais profonde. Dans cet esprit-là ,
cette architecture fait sens. Il s’agit d’une architecture de raison.
Vers une architecture européenne
Cette nouvelle architecture est bien ancrée
dans le contexte européen. Les coûts objectifs de la construction diminuent
partout. Les marchés publics s’évaporent. La promotion privée gagne du terrain,
en remplaçant l’action
publique par des moyens légaux. Le pragmatisme de l’architecte devient de plus
en plus nécessaire pour survivre dans la profession. Un certain minimalisme
n’est plus un choix, mais une nécessité.
Des
architectures du même courant ont également émergé en Flandres depuis un peu
plus de dix ans. Des agences
belges, comme Office KGDVS, De Vylder Vinck, Baukunst, Jo Taillieu ou
Dierendonckblancke cherchent aussi des collaborations directes avec des Français,
comme Éric Lapierre Experience, NP2F ou Bruther. Aux Pays-Bas, en Suisse et en
Allemagne aussi des architectes émergent, et des nouvelles collaborations ont lieu.
Si cette architecture se ressemble, c’est sans doute que les conditions de
production se rapprochent de plus en plus. Il devient difficile de parler de
courants nationaux. C’est enfin le potentiel d’une architecture européenne qui
s’affirme, et ce, vis-à -vis des approches, des moyens utilisés, mais aussi plus
littéralement des échanges et des collaborations entre les pays, dépassant les
frontières culturelles et de langue. La réduction des moyens engendrée par la conjoncture
n’offre-t-elle pas finalement le potentiel pour l’émergence d’une architecture
plus essentielle ? Pourrait-on parler d’un
« essentialisme » architectural transnational ? Il y aurait donc
le potentiel d’une architecture internationale mais pas
dans le sens des « starchitectes », des lauréats du Pritzker,
phénomènes qui semblent résolument appartenir au passé, mais plutôt une
architecture moyenne, une architecture de masse, qui s’approcherait d’une
logique Ikea.
Finalement,
il est peut-être moins important et moins inspirant de savoir si cette
architecture est rationaliste, ou si l’on y retrouve l’esprit de l’École des beaux-arts,
que de comprendre que ce courant se fonde sur une base socioéconomique
européenne commune. C’est cette base qui semble-t-il crée des œuvres interculturelles
et transfrontalières, qui développe une poésie mettant en avant la « découverte
culturelle » entre les genres, et qui permet des synthèses plus riches car
augmentées des backgrounds de chacun.
C’est
pour cela que nous sommes convaincus de la nécessité de soutenir cette
architecture, de la prendre comme un standard pour les décennies à venir. Cette
architecture permet de redécouvrir la richesse culturelle européenne, en
travaillant ensemble. Cette architecture aurait le potentiel à « faire
Europe », et pourrait être le visage d’une Europe unifiée.
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