Un exemple d’autoproduction de logements au Sénégal

Rédigé par - JOFFROY PASCALE ET GUILPAIN LAURELINE
Publié le 25/03/2020

Un bureau municipal d'urbanisme a pu être créé grâce à la cartographie de 6000 parcelles à l'aide d'un drone

Dossier réalisé par - JOFFROY PASCALE ET GUILPAIN LAURELINE
Dossier publié dans le d'A n°279

Dans un quartier informel de la banlieue de Dakar où les inondations étaient récurrentes, la convergence entre des collectifs d’habitants, une association sénégalaise de professionnels de l’urbain et l’ONG suisse UrbaMonde a généré un processus de « production sociale de l’habitation ». La population finance, décide et construit, aidée par un encadrement technique désireux surtout de l’entendre et de lui donner ses droits.

À partir de la fin des années 1980, les quartiers irréguliers de la commune de Djiddah Thiaroye Kao dans la banlieue de Dakar ont subi des inondations récurrentes envahissant plusieurs mois par an l’intérieur des maisons et rendant les espaces urbains impraticables. Touchant 300 000 personnes pendant près de vingt ans, ce phénomène a conduit à l’abandon de certaines zones d’habitation, les habitants reconstruisant plus loin ou vivant ailleurs dans des conditions précaires. En 2005, un plan d’urgence de l’État sénégalais prévoit la création de bassins de rétention et le relogement à 30 kilomètres de là. Il soulève l’indignation des populations désireuses de conserver leur habitation. Un collectif d’associations actives dans le développement local entreprend de relever le sol en cuvette pour mettre les maisons hors d’eau. Ces travaux de remblais se soldent par un échec.

À la recherche de partenaires techniques, le collectif rencontre alors l’ONG UrbaMonde, créée en Suisse en 2005. Celle-ci épluche les rapports techniques et s’allie l’expertise de l’université de Lausanne et de l’École des ponts et chaussées en France. La conclusion renverse les déclarations officielles : les inondations ne sont pas dues à la pluviométrie forte mais à l’urbanisation : avant les années 1940, la nappe phréatique affleurait à la surface, créant de petits marais propices à la culture maraîchère et à la collecte de l’eau potable : puis le pompage d’eau pour la capitale voisine les a asséchés, et l’urbanisation s’est développée ; lorsque la capitale a entrepris d’acheminer l’eau de plus loin, les quartiers ont subi les débordements de la nappe contenue.

Après ce diagnostic, la reprise des pompages d’eau vers Dakar est d’abord obtenue. Sur cette base, un processus de planification participative est mis en place, appuyé sur un collectif d’associations locales (CADDTK) qui s’est structuré pour protéger le droit des habitants à conserver et à reconquérir les lieux. La création en 2009 d’urbaSEN, ONG sénégalaise qui réunit des professionnels de l’urbain pour l’aide aux populations vulnérables, apporte bientôt une structure d’appui technique. Elle s’attache à réunir les compétences nécessaires, forme des artisans, crée une briquèterie. Elle se rapproche des Slum Dwellers International (SDI), réseau des habitants de bidonvilles présent dans 32 pays, pour s’inspirer du mode de financement « à plusieurs étages » dont il diffuse la méthode. Ainsi est créée la Fédération sénégalaise des habitants (FSH), destinée à collecter l’argent auprès des populations, en partant d’un renforcement de l’activité locale. UrbaSEN et la FSH sont fondées sur un axiome collaboratif : les habitants doivent devenir acteurs de leur logement. « Quand on parle d’habitat social, ça ne doit pas être l’État ou les communes, c’est tout le monde », explique Papa Ameth Keita, coordinateur d’urbaSEN, lors d’une conférence-film organisée par le Lavue à l’École d’architecture Paris-Val de Seine. Et particulièrement les habitants des quartiers informels, dans un pays qui en compte plus de 2,5 millions.

 

Jeux de planification

Des séances de travail et « jeux de planification » s’organisent, « du bas vers le haut », pour financer, connaître les besoins, échanger les savoir-faire. « On ne peut pas connaître de l’extérieur les problèmes qu’ont les gens dans les quartiers. Ce sont eux qui ont la solution, il faut d’abord regarder comment ils résolvent les problèmes tous les jours », explique Papa Ameth Keita.

Un groupe de femmes de la FSH prend activement soin de la collecte de l’argent à travers des slogans politiques affirmés avec vigueur : « L’union fait la force », « Chaque femme doit avoir sa maison », ou encore « Une femme, un toit ». La place donnée aux femmes a été voulue, dans ce pays en partie polygame, pour leur assurer une place dans les décisions. Et aussi, explique Papa Ameth Keita, « parce que donner l’argent à la femme, c’est avoir la certitude qu’il sera investi dans la maison. Beaucoup d’argent circule, mais personne ne sait où il passe ! ». Chaque famille membre de la FSH épargne à la fois au sein d’un groupe autonome pour la réalisation des chantiers individuels et auprès de la fédération pour les projets collectifs, le portage auprès des autorités et le relais vers un fonds rotatif qui permet aux membres d’emprunter des sommes supérieures à leur épargne, sans intéressement. Aucun appui n’est attendu du gouvernement. L’épargne fonctionne sur la dynamique plus que la contrainte : « Si tu demandes une caution ou une garantie à quelqu’un qui n’a pas à manger demain, tu l’exclus. »

Un bureau municipal d’urbanisme a été créé, premier du genre au Sénégal et rapidement financé par la commune de Djiddah Thiaroye Kao. Une vaste enquête de terrain et un drone ont permis d’identifier et de cartographier pour la première fois plus de 6 000 parcelles, avec le partenariat de SDI.

Quant aux études urbaines et techniques conduites par urbaSEN, elles ont mobilisé une quinzaine de permanents locaux et des étudiants de passage. Venus de Suisse, France, Finlande et du Japon à la fin de leurs études, ces derniers sont parfois restés plusieurs mois ou années sur place. Chaque chantier est accompagné par l’équipe technique d’urbaSEN tout au long du processus de chiffrage, de suivi et de réception du chantier. Les artisans sont recrutés dans le voisinage, habitants de ces quartiers ou proches de leurs familles, ce qui favorise l’économie locale. Pour la montée en qualité, un atelier d’échange autour des « bonnes pratiques » constructives est organisé chaque mois.

Le bilan est aujourd’hui de près de 500 maisons reconstruites, avec toilettes et assainissement individuel.

 

Jeu de force subtil

UrbaSEN conduit parallèlement un travail de clarification des statuts fonciers. Trois statuts existent au Sénégal : terrain appartenant à l’État, à un particulier ou « non immatriculé » – ces derniers pouvant être néanmoins habités depuis un siècle. Dans ce contexte, urbaSEN oppose de façon militante la légalité que défend l’État à la légitimité de l’habitation. « Même l’oiseau, même la fourmi habitent quelque part », résume Papa Keita. Les politiques de déguerpissement (expulsions et chasse à l’informel) sont arrêtées au Sénégal depuis 1985. La tendance politique est aux programmes de régularisation, mais les besoins sont immenses. Dans un jeu de forces subtiles, urbaSEN produit des « attestations d’occupation foncière » qui, sans valeur juridique réelle, sont reconnues désormais comme des documents de recensement et d’étude par les municipalités. « Le jour où l’État voudra régulariser, on aura dégrossi la situation d’au moins 40 % », explique Papa Keita. Une démarche caractéristique d’urbaSEN : contourner plutôt qu’affronter, agir hors des champs officiels et « d’abord chez nous et entre nous ». Cela suppose une connaissance précise des sujets, et on ne s’étonne pas d’apprendre que Papa Keita a occupé dans une autre vie un poste d’adjoint au maire et de conseiller régional à Dakar.

La fédération d’habitants FSH compte aujourd’hui près de 5 000 membres organisés en 230 groupements d’épargne dans une quinzaine de communes de la banlieue de Dakar et au-delà. Elle travaille à pérenniser le fonds rotatif pour permettre rapidement à 600 nouvelles familles de reconstruire. Le projet « Vers un mouvement citoyen des quartiers précaires de la banlieue de Dakar » est désormais cofinancé par l’Union européenne et l’agence danoise Cisu Danida pour le renforcement des capacités d’action collectives. Il s’agit de capitaliser et de partager les outils mis en place, afin d’élargir la portée opérationnelle des actions en faveur des populations urbaines défavorisées. La gestion des risques d’inondation est programmée sous la forme d’ouvrages concernant six communes, dont les habitants seront les maîtres d’ouvrage. La FSH et urbaSEN continuent de revendiquer une gouvernance urbaine locale et participative, pour combler un vide dans la chaîne de construction de la ville. Aidés désormais par des fonds extérieurs, les groupes d’habitants veillent à leur indépendance. « “La démarche projet”, nous n’aimons pas beaucoup ça », sourit Papa Keita.

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