D’a : En tant qu’architecte spécialiste de la construction en terre, comment considérez-vous le temps du chantier à l’échelle d’un projet ?
Pour nous, le chantier prend toujours des allures de défi car nous travaillons souvent de manière prototypique. De plus, parce que la qualité de la tâche de construction dépend généralement du travail des artisans, il doit être supervisé en conséquence. Nous essayons d’excaver au maximum sur le site tout ce dont nous avons besoin pour réaliser un bâtiment.
D’a : Le chantier est-il un moment qui vous offre la possibilité d’expérimenter ? Quelle est votre marge de manœuvre ?
Cela varie beaucoup d’un projet à l’autre. Les bases sont anticipées, mais plus le travail manuel et artisanal est important, plus le chantier revêt une dimension expérimentale. Nous construisons très souvent avec des éléments en terre crue, préfabriqués dans notre usine [Lehm Ton Erde (argile-limon-terre) à Schlins, en Autriche] et c’est là que réside la majeure partie de la créativité, dans la planification de l’usine, l’interface entre l’architecture et l’exécution. La préfabrication nous a permis d’élargir considérablement notre champ des possibles. Le potentiel de développement est immense.
D’a : Dans votre travail, le chantier prend une dimension très concrète puisqu’il s’agit du moment de la transformation du matériau…
L’aspect passionnant et durable de notre métier d’architecte et de constructeur est que nous n’altérons pas l’essence du matériau terre. Nous développons constamment de nouveaux outils, des techniques constructives et un langage architectural et nous cherchons à améliorer les détails, les assemblages, afin de le mettre en œuvre. Ce faisant, nous nous efforçons toujours d’explorer les limites de la construction en terre et de trouver un équilibre entre les normes de construction en vigueur (certifications, rapports d’expertises…) et les potentiels inexplorés de mise en œuvre.
D’a : Le chantier est-il donc une période d’apprentissage ?
Absolument. Malheureusement, nous souffrons d’une pénurie massive de travailleurs qualifiés et, par conséquent, le chantier est souvent un terrain d’apprentissage par nécessité. « L’apprentissage par la pratique » est au cœur de notre pratique. C’est pourquoi je suis souvent moi-même actif sur le terrain pour enseigner, transmettre des connaissances mais aussi pour apprendre moi-même et rendre possible l’innovation.
D’a : En étant très présent sur le chantier, comment travaillez-vous avec les artisans ?
Nous essayons de dialoguer sur place avec tous les artisans, car nous devons impérativement leur transmettre la sensibilité de la construction en terre afin de protéger notre propre métier. La culture de la construction sur le chantier a considérablement changé, si bien qu’il y a actuellement plus d’assembleurs que de constructeurs sur le terrain. Avec la construction en terre, les deux sont nécessaires.
D’a : Celle-ci implique-t-elle des spécificités sur un chantier ?
La logistique de la construction en terre est souvent un défi, comme pour la construction en bois. La protection contre les intempéries sur un chantier « ouvert » et en terre doit être planifiée avec précision et constamment adaptée. Le séquençage et la programmation exigent une grande réflexion lorsqu’il s’agit de combiner notre système de construction atypique avec d’autres méthodes plus établies.