Revisiter les savoirs du charpentier : Halle de Faverges - Atelier Nao

Rédigé par Stéphane BERTHIER
Publié le 12/10/2020

Halle de Faverges - Nao Architectes

Dossier réalisé par Stéphane BERTHIER
Dossier publié dans le d'A n°284

Mi-halle, mi-église, l’atelier Nao a réalisé à Faverges, près d’Annecy, une nef qui assemble une forêt dense de petits bois locaux. Les concepteurs s’appuient sur les savoir-faire ancestraux du métier de charpentier et les transcendent dans une écriture architecturale contemporaine qui cherche à dépasser, sans les disqualifier, les méthodes modernes de la charpente bois du XXe siècle.

L’agence d’architecture Nao basée à Grenoble (Adela Ciurea, Anastasia Terres et Jacques Anglade) réunit dans une même équipe les compétences d’architecte et d’ingénieur structure bois. Elle vient de livrer à Faverges une halle de marché au centre du village d’origine médiévale. Leur engagement en faveur de manières d’agir alternatives n’est pas nouveau. Jacques Anglade a par exemple consacré l’essentiel de sa carrière à produire des charpentes originales en bois massif qui renouvelle le métier de charpentier, par-delà les recettes de l’ingénierie performancielle du siècle dernier. Selon lui, il n’y a rien de plus urgent aujourd’hui que d’innover pour retrouver les techniques constructives d’avant la révolution industrielle et de les remettre en Å“uvre avec nos moyens contemporains.

 

Nouvelle urbanité

La commande de la halle est issue d’un concours organisé par la municipalité, sur l’emplacement d’un îlot qui menaçait ruine, dans le cadre d’une opération de rénovation du centre-bourg. Le programme demandait néanmoins la conservation d’une petite tour, vestige de l’ancien rempart médiéval, qui avait fini par être engloutie dans les constructions ultérieures. La halle est bordée au nord par la place de l’office du tourisme et à l’ouest par la vieille demeure du tabellion de Faverges, discrète bâtisse qui s’ouvre sur un petit jardin de cœur d’îlot que la mairie souhaite restaurer prochainement. Le règlement de consultation invitait aussi les candidats à favoriser les circuits courts par l’emploi de ressources locales, sur le périmètre de la nouvelle grande région administrative Rhône-Alpes-Auvergne.

L’édifice est orienté est-ouest, le long de la place de l’office du tourisme. À l’est, sa toiture en croupe se referme à l’environnement urbain tandis qu’elle s’ouvre largement à l’ouest, face au jardin du tabellion et son hêtre centenaire. À première vue, cette architecture interroge sa destination : halle ou église ? Ses proportions, sa haute nef de bois, la tour médiévale flanquée contre sa façade nord à la manière d’un clocher contribuent à l’hésitation. De même, l’escalier qui mène à la tour présente un repos qui s’ouvre sur la nef comme une chaire. Pour un peu, le vieux tabellion pourrait être le presbytère. [Figs 01, 02, 04]

 

Une forêt de petits bois

La halle elle-même est une charpente en bois, constituée d’une trame resserrée de fermes espacées de 1,35 mètre. On retrouve ici le goût de Jacques Anglade pour les structures denses faites de petits bois massifs, inspirées de la tradition médiévale des « chevrons-formant-fermes(1) Â». La nef est ainsi constituée de 15 fermes en partie courante qui se raccordent en croupe avec les neuf demi-fermes de la façade est, sur deux arêtiers. [Fig. 07] [pdf. Stb01-3, p 1/3] La couverture imposante est décomposée, sur chaque rampant, en quatre grands toits de tavaillons qui se soulèvent les uns par rapport aux autres comme des ouïes pour laisser filtrer la lumière à l’intérieur. Les larges débords de toiture forment des rives japonisantes, foisonnement de chevrons empilés qui évoquent la grande pagode de Nara. [Fig. 03]

Les poteaux, très minces mais profonds de 1,3 mètre, constituent des façades-filtres, frontales et transparentes à la fois. Entre chaque trame, des volets de bois peints en blanc à la manière de cloisons légères nipponnes se replient dans la profondeur des poteaux. Ils permettent de refermer la halle lors de certains événements ou simplement de protéger de la pluie, du vent ou du soleil. [Fig. 05]

 

L’art de la charpente

Pour s’affranchir des bois lamellé-collé et limiter le recours aux liaisons métalliques onéreuses, les fermes de 13 mètres de portée sont faites d’un assemblage savant de madriers de 12 cm x 22 cm, en douglas massif, brut de sciage. Les arbalétriers se dédoublent en une paire de quatre madriers qui moisent les poteaux. En partie rampante, ce moisement permet aussi de pincer les cales qui donnent leur inclinaison aux toitures en écaille. Au faitage, les arbalétriers se croisent et s’assemblent à mi-bois, dans un seul plan. Le même principe d’assemblage à mi-bois permet de moiser les poteaux, constitués eux aussi de quatre madriers. Ils sont fixés au sol sur d’épais massifs en béton en forme de bancs. Ces socles protègent les bois de l’humidité et définissent les limites de la halle et ses entrées. Chaque ferme mesure une cinquantaine de centimètres d’épaisseur totale – sans doute plus importante que ce qu’il aurait été possible de réaliser avec des bois industriels collés. L’impression de finesse domine pourtant grâce aux assemblages très ajourés. [Fig. 08]

Pour parfaire le contreventement de l’ouvrage, les madriers des poteaux sont renforcés en âme par des panneaux trois plis qui disparaissent derrière les volets repliés. La stabilité longitudinale est garantie par une poutre en bois contrecollé, située au niveau de la sablière, qui relie les 15 fermes entre elles. Cette charpente, qui fait la part belle aux assemblages bois-bois, a été modélisée dans ses moindres détails puis taillée sur les machines à commande numérique de l’entreprise Giguet, basée à Ugine, à quelques encablures de Faverges. [pdf. Détail D02]

 

La quête des ressources

Jacques Anglade précise qu’il avait observé dans les alentours de nombreuses charpentes historiques réalisées en épicéa local, avec lequel il souhaitait travailler. Cependant, les normes contemporaines ne reconnaissent pas cette essence comme naturellement durable en bois charpente. Il aurait alors fallu transporter ces bois pour les faire traiter chimiquement avant de les ramener tout près de leur massif, aux dépens du bilan carbone de l’opération. Il a donc jugé préférable d’utiliser des douglas non traités venu des monts du Forez, près de Saint-Étienne, lesquels ne demandaient finalement pas beaucoup plus de transport et impliquaient moins de transformation industrielle, pour une empreinte écologique plus légère. Les tavaillons de la toiture furent initialement imaginés en mélèze des Hautes-Alpes, mais la production actuelle ne propose que des tavaillons sciés, or ces tuiles demandent à être refendues pour garder intacts les fils du bois le long desquels l’eau s’écoulera. Les architectes ont donc reporté leur choix sur des tavaillons de châtaignier, fabriqués en Auvergne dans les règles de l’art. Le sol de la halle est quant à lui revêtu d’un granit gris, dont les montagnes proches ne manquent pas.

L’atelier Nao offre une œuvre architecturale sans âge qui constituera sans doute une pièce du patrimoine de la commune, en dialogue avec le château médiéval perché sur la colline. Si cette expérience rassure sur le potentiel créatif des circuits courts, elle interroge le besoin d’évolution des normes en vigueur, favorables aux produits industriels et qui n’ont pas encore accepté dans leur giron les matériaux et les techniques que le siècle dernier avait délaissés.

 

(1) Stéphane Berthier, « Les charpentes de Jacques Anglade, une contre-culture constructive Â», Criticat,n° 17, printemps 2016, pp. 69-87.

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