Quand la ville de Paris se met aux coopératives de logement

Rédigé par - JOFFROY PASCALE ET GUILPAIN LAURELINE
Publié le 31/03/2020

Une projection de l'immeuble de 17 logements

Dossier réalisé par - JOFFROY PASCALE ET GUILPAIN LAURELINE
Dossier publié dans le d'A n°279

Première société coopérative d’habitants à Paris, UTOP porte la propriété et la gestion d’une opération de 17 logements sur rez-de-chaussée d’activités dans le quartier Gambetta. Composée des 14 ménages futurs habitants de l’immeuble, du bailleur Habitat et Humanisme et de la coopérative immobilière Coopimmo, propriétaire du foncier, elle se veut pionnière d’une promotion des opérations alternatives par la ville de Paris, malgré une complexité qui interroge sur sa capacité à faire école.

UTOP fait partie des trois projets lauréats de l’appel à projets « pour le développement de l’habitat participatif Â» lancé en septembre 2014 par la ville de Paris, assistée de l’agence d’architecture Atelier 15 et de Cuadd conseil. Lancé sur trois sites auprès de potentiels futurs habitants, il promeut selon son cahier des charges le développement de projets « d’habitat innovant d’un point de vue socioéconomique et écologique Â» autour de valeurs de « solidarité, non-spéculation, mixité sociale et respect de l’environnement Â». Un vaste programme, rassemblant du moins dans les termes les principaux enjeux du logement aujourd’hui. Les trois sites proposés sont trois parcelles en bord d’îlot situées dans le 20e et le 19e arrondissement, maîtrisées foncièrement par la ville de Paris : non bâties, elles sont mobilisables rapidement.

L’appel à projets s’inscrit dans le cadre des nouvelles dispositions juridiques de la loi Alur, votée en mars 2014, pour encourager le développement de l’habitat participatif en France et notamment les coopératives d’habitants (porter collectivement une propriété) et les sociétés d’autopromotion (porter collectivement un projet de construction). Si l’habitat participatif s’entend dans le langage usuel comme une part prise par les futurs usagers à la conception du programme et de l’architecture du projet, il ne nécessite pas en soi de forme juridique particulière ; il en est cependant tout autre dès que les futurs usagers souhaitent autoproduire et ou autogérer une partie plus ou moins grande du projet, en partageant des moyens financiers, de production, voir même in fine, comme ici, la propriété du lieu. C’est cette propriété collective via une société coopérative que loi Alur légalise, afin d’encourager des projets alternatifs à la propriété individuelle et au logement social.

À Paris, la procédure de l’appel à projets s’est décomposée en trois phases pré-sélectives, reprenant les étapes classiques d’un projet en autopromotion : une première de constitution du groupe d’habitants et de rédaction du projet de vie collective, une seconde de formalisation d’un programme détaillé et d’une esquisse architecturale, une dernière où les équipes finalistes, composées à ce stade de l’association d’habitants, d’un assistant à maîtrise d’ouvrage et d’une équipe de maîtrise d’œuvre, présentent une faisabilité financière comprenant la construction et la gestion de l’immeuble, ainsi qu’un avant-projet sommaire. La ville, pendant l’ensemble de la procédure, met à disposition une ingénierie importante : une plateforme de mise en réseau, des ateliers de formation, une équipe technique d’assistance, Atelier 15 et Cuadd conseil, pour formaliser les projets de vie ou recruter les AMO et maîtres d’œuvre, des aides financières pour rétribuer les professionnels engagés auprès des groupes d’intérêt.

 

Une pièce unique plus qu’un prototype

En mars 2016, le projet UTOP de la SCOP d’architecture ArchiEthic est déclaré lauréat du site Gambetta, presque deux ans après le lancement de l’appel à projets ; la convention de mise à disposition du terrain de la ville à la coop HLM Coopimmo, qui en devient propriétaire pour en louer l’usage à la coopérative, est signée en octobre 2018 ; le chantier devrait démarrer en janvier 2020. La volonté de la ville de céder le terrain à un projet entièrement sécurisé juridiquement et financièrement a largement allongé les durées de procédures après la fin de l’appel à projets, dans des temporalités finalement similaires aux rares projets autonomes français.

La complexité de montage opérationnel et juridique d’UTOP en dit long sur les difficultés de concrétisation d’une coopérative de logement sur le sol français. La société coopérative est dite d’habitants mais inclut un opérateur foncier (Coopimmo) et un bailleur social (Habitat et Humanisme) qui prend en gestion trois logements sociaux dans l’opération. La Caisse des Dépôts octroie un prêt sur quatre-vingts ans à Coopimmo pour financer le foncier tandis que la coopérative a contracté un prêt locatif social pour la construction du bâtiment.

Si à l’arrivée la charte de fonctionnement des coopérateurs fait, selon l’architecte Romain Parent d’ArchiEthic, primer l’intérêt collectif sur l’intérêt privé, la complexité du montage ne semble pas de nature à favoriser sa reproductibilité hors d’une prise en charge étape par étape, donc dépendant des volontés politiques, interrogeant sur le véritable usage démocratique de ces outils juridiques.

Il s’agit pourtant d’un projet vitrine, politiquement très soutenu par les pouvoirs publics : garanties auprès des établissements bancaires, aides, partenariats, avances de frais pour les études… Sans parler de l’accès au foncier, qui dans les métropoles reste le nerf de la guerre, Paris intra-muros en étant une caricature extrême : il s’agit ici d’un résidu urbain sur des carrières, ce qui expliquerait son prix avantageux, encore fallait-il pouvoir en disposer !

 

Architecture de maîtrise d’usage

La proposition architecturale met en forme quelques principes clefs : 17 logements collectifs tous différents pour une population de « 6 enfants et 19 adultes de 1 à 66 ans à revenus limités Â», explique Romain Parent, une évolution des plans facilitée par des loggias cloisonnables et des murs non porteurs entre les logements, des paliers largement dimensionnés et éclairés naturellement, des espaces collectifs mutualisés au rez-de-chaussée. Il est clair qu’ici l’architecture s’entend surtout comme la possibilité d’une forme de proximité avec les habitants et leurs demandes, intégrant dans les arbitrages les pratiques, l’entretien et ses coûts à long terme, cela dès la programmation. Une « maîtrise d’usage Â» revendiquée par l’architecte et formalisée comme une mission à part entière en complément de celle de maîtrise d’œuvre, auprès de Coopimmo. L’omniprésence de cet acteur institutionnel, AMO du groupe d’habitants pendant la phase d’appel à projets, maître d’ouvrage déléguée pour la construction puis propriétaire du foncier, laisse au final songeur sur la véritable « capacité à agir Â» donnée aux habitants dans une expérience dont ils sont moins les initiateurs que les rats de laboratoire.

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