Evaporated Appartements, IBA-Hamburg, Allemagne, 2010. |
Dossier réalisé par Philippe RAHM L’architecture est l’art de construire des climats.
L’objet de l’architecture, c’est l’espace, celui qui est soustrait à l’espace général de l’atmosphère terrestre, que l’on va contenir entre quatre murs, un plancher et un plafond, car seulement ainsi, seulement en confinant un certain volume d’air, on va pouvoir modifier les caractéristiques physiques de l’air (température, hygrométrie, vitesse, nature des gaz) et de la lumière (lumière visible, infrarouges, rayonnement ionisant et non ionisant) dans le but de rendre cet espace habitable pour l’homme, quand tout autour l’espace naturel est trop chaud ou trop froid, pluvieux ou neigeux, trop humide, trop ensoleillé ou trop sombre, c’est-à -dire inhabitable. |
L’homme habite l’invisibilité de l’air et non pas la visibilité des murs.
La finalité de l’architecture, c’est le creux de l’espace dans lequel on pénètre et non pas le plein des murs qui nous reste inaccessible.
L’architecte doit dessiner des climats plutôt que des formes géométriques.
Par l’art, l’architecture modifie une portion du climat naturel, édulcore une certaine quantité d’atmosphère terrestre, anthropise un espace naturel.
La raison d’être de l’architecture, c’est de rendre artificiellement habitable un climat quand ce climat est naturellement inhabitable par l’homme.
La mission de l’architecture, c’est de modifier les paramètres physiques de ce climat pour le rendre habitable pour l’homme.
Tout l’art de l’architecture est d’élaborer des mesures thermiques, hygrométriques, chimiques, électromagnétiques.
Quelles en sont les moyens ? Paradoxalement, l’architecte trace avec son crayon les pleins (qui correspondent aux murs et donc n’ont aucun intérêt pour l’architecte autre que celui de confiner l’air) et non pas les vides (qui correspondent aux espaces et sont la cible ultime de l’intérêt architectural). Au temps du structuralisme et du postmodernisme, l’architecte portait toute son attention au visible et aujourd’hui, quand il devra s’intéresser à l’invisible, puisque c’est dans l’invisible de l’air creux qu’on habite et non pas dans le visible des murs pleins. On devrait donc changer le mode de dessin, tracer les vides plutôt que les pleins, dessiner l’espace plutôt que les murs, représenter le climat plutôt que l’opacité des pleins, noircir le vide et laisser blanc le plein. Cette révolution du mode de la représentation, cette inversion du centre d’attention du visible vers l’invisible a lieu grâce aux nouveaux outils informatiques de représentation de l’invisible, de l’air, de la vapeur d’eau, des ondes, de la lumière. Il y a d’abord les logiciels de modélisation des comportements physiques des fluides que l’on appelle CFD (Computational Fluid Dynamics) qui permettent de modéliser l’air et d’en montrer les mouvements convectifs en fonction de la gravité, des sources de chaleur ou de froideur. On peut encore modéliser les mouvements de l’air selon des phénomènes de pression-dépression. Il y a ensuite les logiciels informatiques qui permettent de modéliser la lumière, son incidence et sa réflexion sur les surfaces et son déploiement dans l’espace, en fonction de l’heure de la journée, de la latitude. Il y a encore la possibilité de modélisation et de représentation des effets de conduction dans les parois, la radiation thermique selon l’émissivité des matériaux. L’ensemble de ces nouveaux outils de modélisation et de représentation permet d’approcher la matière même de l’espace, de travailler directement avec le vide, de donner forme à l’invisible, de façonner l’atmosphère, de construire le climat.
Changement de paradigmes
Ce que nous constatons dès lors que l’on travaille sur l’espace vide lui-même et non plus sur ses bordures pleines, c’est que les modes de composition changent. On ne recourt plus à la géométrie, à la morphologie, à la composition de points, de lignes et de surfaces, aux relations d’ordre entre ensembles, aux transformations géométriques, à l’addition, la soustraction, l’inclusion, la symétrie, etc., mais on commence à introduire toute une science météorologique, où les modes de compositions architecturales se révèlent tout à coup être la convection, la conduction, l’évaporation, la pression, la conduction, la radiation. La géométrie euclidienne comme base du dessin de l’espace et des formes architecturales laisse sa place à la météorologie.
L’air chaud monte naturellement. C’est le phénomène de la convection atmosphérique. Les masses d’air chaud montent, poussant l’air plus froid qui retombe plus loin. Dans la maison, il fait plus chaud sous le plafond que sur le plancher. Si l’on veut économiser de l’énergie, on aura intérêt à profiter de cette stratification thermique naturelle. On se déshabillera en haut, on s’habillera en bas. On se lavera en haut, on dormira en bas. Voilà comme prend forme l’espace selon des principes météorologiques, comment se dessine une coupe en fonction de la météorologie plutôt que de la géométrie. Et bien sûr, derrière cela, l’intérêt est de baisser les émissions de CO2 pour réduire le réchauffement climatique puisque l’énergie consommée pour faire fonctionner les radiateurs provient encore pour 90 % des énergies fossiles. Car en se déshabillant en haut, on profite des pertes naturelles de chaleur qui désertent le plancher pour le plafond en en réchauffant l’air. Réduire le chauffage dans les bâtiments est la première mesure à prendre pour diminuer les émissions de CO2.
Concevoir l’espace selon des principes formels météorologiques plutôt que géométriques peut se faire aussi selon le dessin des flux d’air que l’on retrouve nécessairement dans les bâtiments à cause de la mise en place de la ventilation nécessaire pour évacuer l’humidité de l’air et renouveler l’oxygène. Ainsi, on peut accepter de dessiner le bâtiment autour de ce flux d’air, de structurer l’espace autour d’un courant d’air, en étudiant son flux et ses variations de vitesse comme autant de lieux que l’on peut occuper différemment. Ainsi on doit beaucoup plus ventiler une salle de travail, occupée par beaucoup de personnes qui vont chacune respirer et rejeter de la vapeur d’eau, qu’une bibliothèque occupée par des livres, qui ne respirent pas, et qui accueille peu de monde. À chaque fois que l’on ventile, on doit en hiver réchauffer l’air froid pris du dehors pour en élever la température jusqu’à atteindre celle du confort thermique de l’homme, autour de 21 °C, ce qui entraîne une nouvelle dépense d’énergie.
On comprend donc que, pour lutter contre le réchauffement climatique, il faut essayer de ventiler le moins possible, ou plus exactement il faut changer l’air d’une pièce selon des quantités très précises en fonction du nombre de personnes et de leur activité à l’intérieur (plus leur activité physique est intense, plus on devra changer l’air rapidement). Ainsi, si l’on doit placer des hommes et des livres dans une même pièce, on peut le faire en fonction du courant d’air, en dessinant l’espace et le bâtiment comme une rivière, avec ses accélérations (comme un torrent) et ses décélérations (comme un lac), son flux central rapide et ses bas-côtés où stagne l’air. En dessinant ce flux, on peut placer là où le courant d’air est le plus véloce les places de travail, et là où l’air a tendance à languir les livres. Ainsi, on ne renouvellera pas pour rien l’air des bibliothèques, économisant ainsi de l’énergie. En s’appuyant sur la mécanique des fluides plutôt que sur la géométrie euclidienne, on peut ainsi résoudre ensemble des problèmes d’espace et de lutte contre le réchauffement climatique, inventer des formes selon des logiques météorologiques plutôt que plastiques.
Dernier exemple, celui de la lumière. En cartographiant la répartition naturelle de la lumière, on peut ainsi voir quels sont les lieux qui en reçoivent en moyenne plus que d’autres et établir toute une gradation d’intensité lumineuse. On mettra le lieu de travail dans l’endroit qui bénéficie le plus de lumière, tandis que le lieu où l’on stockera les vivres sera placé dans celui le plus sombre. Mais au-delà de cette répartition, on peut aussi dessiner l’espace selon cette gradation lumineuse, faisant émerger des formes qui profitent au maximum de l’apport solaire, ce qui permettra d’économiser autant d’électricité pour l’éclairage que pour le chauffage.
Ces quelques exemples ici pour expliquer comment dessiner l’architecture à partir du vide plutôt que du plein, comment projeter un bâtiment à partir de l’espace plutôt que des murs. L’architecture se fonde ici sur la météorologie plutôt que sur la géométrie, en prenant avantage de phénomènes climatiques pour baisser la consommation d’énergie tout en découvrant de nouvelles formes de vides et d’espaces, de nouveaux modes de vie et d’habiter.
De ce que dit le plein à ce que fait le plein
Il y a ensuite nécessairement un avis à avoir sur le plein, sur ces barrières dressées pour contenir l’air de la maison que sont les murs, le toit, le plancher. Quelle est leur nature, de quoi sont-elles faites, que font-elles au vide qu’elles entourent ? L’architecture structuraliste postmoderne les voyait comme des signes qui devaient dire quelque chose. Le mur disait : « je suis riche », s’il était en marbre. « Je suis parisien », s’il était en calcaire. « Je suis rock’n’roll », s’il était noir. Dans l’architecture météorologique, le mur ne dira plus rien, mais on fera attention de savoir si sa composition chimique n’est pas en train de polluer l’air en dégageant des composés organiques volatiles cancérigènes, s’il n’est pas en train de refroidir l’espace intérieur parce que sa conduction thermique est trop grande, qu’il n’est pas assez isolé et que tout le froid de l’extérieur le traverse en hiver, nous forçant alors à brûler encore plus de fioul pour garder l’intérieur de la maison chaud, amplifiant en conséquence le réchauffement climatique.
En analysant météorologiquement les matériaux de construction plutôt que linguistiquement, on choisira alors leur valeur d’émissivité et d’effusivité, pour savoir si en m’asseyant par terre je vais me refroidir ou garder ma chaleur pour moi, parce que si l’effusivité du matériau du sol est élevée (comme c’est le cas pour le marbre), il va alors au contact me sucer ma chaleur corporelle et me refroidir, ce qui, en hiver, m’obligera à chauffer d’autant plus ma pièce, participant alors à une élévation néfaste des émissions de gaz à effet de serre. On s’intéressera aussi à la valeur d’émissivité du mur et du plafond, car si l’émissivité du matériau est haute, alors en hiver il me sucera par radiation la chaleur de ma peau, me refroidissant, m’obligeant à dépenser plus de fioul, participant alors au réchauffement climatique.
Ici, les critères de décision, les valeurs qui orientent les choix bougent fondamentalement entre le structuralisme d’après-guerre et le climaticisme d’aujourd’hui. Choisir un matériau pour sa façade ou la cloison de sa chambre ne relève plus d’un propos narratif, symbolique, analogique, mais climatique, énergétique et sanitaire.
Comment la ville qui se structurait sur une perspective visuelle se structure sur un courant d’air aujourd’hui
À l’échelle urbaine, ce sont aussi des changements profonds de paradigme qui s’opèrent. Durant la première partie du XXe siècle, la voiture et de façon plus générale les modes de transport ont réorganisé les tracés des rues et le tissu urbain. Durant la seconde partie du XXe siècle, l’industrie touristique et la préservation de la mémoire historique ont transformé la ville européenne en œuvre d’art, à seule valeur symbolique, tandis que dans les climats désertiques ou tropicaux l’air conditionné a fait surgir des villes ne survivant que grâce à une gigantesque consommation d’énergie fossile, en démembrant aussi la valeur de l’espace public extérieur, de l’ombre, de la fraîcheur d’une fontaine, au profit des espaces intérieurs climatisés. Ce qui se produit aujourd’hui est une réorganisation totale des modes d’urbanisation, où la voiture disparaît au profit des mobilités sans carbone, où l’espace public est revalorisé en tant que lieu partagé de fraîcheur pour l’été, de chaleur pour l’hiver, tandis que le tracé des vides, rues et places, reprend corps dans le mouvement de vents qui rafraîchissent en été autant qu’ils évacuent les particules fines polluantes de l’air.
Comment l’architecture peut devenir météorologique
Nous sommes aujourd’hui à un tournant, celui où on doit réinventer les modalités de l’architecture et de l’urbanisme face à la violence du réchauffement climatique et ses auxiliaires caniculaires et polluants. Les modes de conceptions structuralistes/postmodernes doivent laisser place aux raisons climaticistes/postcritiques. Il est alors nécessaire de retourner aux fondamentaux climatiques, énergétiques, sanitaires de l’architecture et de l’urbanisme dont l’urgence est aujourd’hui principalement celle-ci : dépasser la dépendance aux énergies fossiles, réduire les émissions de CO2 et contrer les canicules et la pollution de l’air.
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