Concours pour l'office des brevets, à la Haye : projet non retenu, agence XTU (2004) © Artefactory |
Dossier réalisé par Christine DESMOULINS |
Gilles Perraudin : En 1981, nous avons gagné l'école d'architecture de Lyon (7 000 m2 shon) avec une esquisse au 500e sur un panneau A0, et une fois lauréat nous nous sommes associés à un BET agréé par le maître d'ouvrage. Comparons avec notre dernier concours : un bâtiment de 3 500 m2 de shon. Pour rester dans le cadre de l'esquisse, le rendu au 500e devait être agrandi au 200e sur deux planches A0. La rémunération, 16 000 euros, est inférieure en francs constants à celle du concours de 1981 bien que le BET ait dû modéliser une étude sismique. L'estimation déguisée requise au concours masque souvent un avant-projet qui alourdit la charge de travail. Pourtant, ces concours sont jugés sur des options assez générales.
Christian Hauvette : Le concours à la française est une valeur, mais l'argent public se raréfie et par crainte du FPQ…NRA (« faudrait pas qu'on puisse nous l'reprocher après », les maîtres d'ouvrage n'accompagnent plus l'architecte dans son projet. Ils multiplient les phases d'études et les révisent sans cesse.
Philippe Madec : Le système des concours entraîne une certaine équité, et ils débouchent souvent sur la meilleure solution. Ses points faibles sont ceux des hommes : copinage, compromission, bassesses. Le marché de définition a le mérite du retour à la parole, mais c'est aussi une perversion du système et une façon de naviguer à vue. Les maîtres d'ouvrage ont tendance à exiger trop de choses. La mise en commun aide le maître d'ouvrage à préciser son programme, et l'on ne sait plus sur quoi l'on est jugé.
Sagnes et Pette : Les marchés négociés où l'on nous demande juste une proposition d'honoraires se sont généralisés avec le Code 2004, ce qui paraît pervers et inopérant. Ils induisent une baisse inexorable des taux de rémunération et incitent certains maîtres d'œuvre au « dumping ». Ils permettent de légitimer le choix du maître d'ouvrage en faveur d'un concepteur qu'il peut avoir choisi d'avance tout en « maquillant » correctement la consultation. A contrario, comment un maître d'ouvrage de bonne foi peut-il choisir un maître d'œuvre sur aussi peu de critères ? Dans la région de Toulouse, nous avons la conviction que de plus en plus de consultations et de concours sont joués d'avance (pour preuve, les mises en examen d'élus du Conseil général). Les petits seigneurs locaux maîtrisent aujourd'hui parfaitement les procédures pour servir leurs intérêts avec la complicité des entreprises et des maîtres d'œuvres. Certains maîtres d'ouvrage travaillent avec un cercle restreint de prestataires, et très souvent on connaît les lauréats des nombreux concours « pipés » avant même la sélection des candidatures. Un maître d'ouvrage qui veut favoriser une équipe a plusieurs stratégies : lors de la sélection, il retient des équipes moins capables que son poulain. Au stade de l'esquisse, il lui donne des informations décisives ; et lors de l'analyse des offres, il oriente le rapport de la commission technique (les candidats n'ont pas le droit de réponse, et les jurés pas le temps de vérifier).
Laurent Salomon : à l'origine, les concours étaient destinés à imposer le débat sur la commande publique à des édiles qui n'y songeaient pas. En vingt-cinq ans, les élus ont évolué, et ils se targuent désormais d'une compétence pour juger la maîtrise d'œuvre. Les architectes ont ainsi considérablement perdu de leur influence. Dès lors, on doit donc se demander s'il s'agit d'une procédure alibi ou s'il existe une volonté politique de favoriser l'architecture. De plus, le défaut du concours d'architecture anonyme est d'avoir détourné le dialogue, car le maître d'ouvrage dialogue avec le programmateur et non plus avec l'architecte.
L'anonymat
Henri Gaudin : […] Couvrir d'un masque notre identité, imposer l'anonymat, on en sait l'hypocrisie. Il existe encore quelques individus dont le mouvement de la pensée, de la plume comme du pinceau est encore reconnaissable ! Là n'est pas l'essentiel. Ce qui me paraît le plus dommageable à l'architecture réside dans l'encouragement à pallier la difficulté de lecture par la simplicité de l'écriture. Ne nous y laissons pas prendre [...] La simplicité pallie l'absence de commentaires. On livre ainsi au jury ce qu'il est apte à reconnaître. Des projets qui le délivreraient de l'appréhension de juger […] Les concours avaient le mérite de stimuler la création architecturale et de défendre l'intérêt public. En écarter, au prétexte de l'anonymat, ceux qui sont les seuls défenseurs de la nécessaire complexité de l'architecture est une erreur grave. L'anonymat s'avère être une incitation à livrer aux jurés des projets frustres, écrits d'une façon simpliste pour pallier les difficultés de toute lecture d'un texte ayant trait à l'espace dont la représentation (comme toute représentation des vides comme des pleins) requiert des connaissances précises. Témoins de l'indigence, toutes les caisses qui font
désormais notre environnement.
(« Des concours pour faire simple ». Extraits de l'article écrit par Henri Gaudin dans Le Monde du 24 septembre 2004).
Philippe Robert : Quand un bâtiment est construit, son architecte n'est plus là pour le défendre. Je suis donc pour les concours anonymes qui évitent tout effet de « tchatche ». Par ailleurs, je saisis mal pourquoi, dès lors que l'on impose aux architectes le respect de règles européennes, les gares et les aéroports ne donnent pas lieu à concours.
Trois choses à changer
Bernard Ropa : Sur des sujets importants, comme le concours des Archives nationales à Pierrefitte, on devrait revenir à des concours ouverts qui, comme pour la Grande Arche, engagent un débat. Cela manque aujourd'hui, et les jeunes architectes travaillant avec nous s'inscrivent à des concours en Suisse ou en Autriche. À propos d'archives, je regrette aussi que les maîtres d'ouvrage diffusent aussi peu les résultats des concours. Une fois le projet choisi, le travail fourni s'évapore. En Autriche, la revue Wettbeverbe est à cet égard un excellent outil de diffusion. Enfin, la question des références, qui rassure les maîtres d'ouvrage, est regrettable. Je n'ai ainsi jamais fait de logements, alors que j'aimerais bien m'y frotter.
R.R. : Filmer et rendre publics les débats des jurys. Les jurés, et notamment les maîtres d'œuvre, éviteraient des discours très suspects.
G.P. : Revenir aux consultations sur esquisse avec oral.
C.V. : Indiquer, comme au Luxembourg ou en Allemagne, le nom des membres du jury dès l'avis de consultation. Inutile d'y aller si leur sensibilité s'oppose à la mienne. Exclure les journalistes des jurys, et les faire présider par des architectes comme en Allemagne.
Concours à l'étranger et en France, quelles différences ?
G.P. : à Genève, un concours de gare ferroviaire fait avec Bruno Dumétier m'a paru fondé sur une bonne base : non anonyme, avec une rémunération correspondant aux trois quart du montant des études d'un APS.
C.V. : En Allemagne, pour s'inscrire, on envoie une lettre, éventuellement des références, et un organi-
gramme, soit dix pages A4. Ici, formats et supports variant, un dossier est lourd à préparer. Entre le secrétariat et la documentation, on peut occuper quelqu'un pendant quinze jours, dépenser 3 000 euros, et tout jeter si l'on n'est pas retenu ! L'Ordre des architectes devrait se préoccuper de cette gabegie. L'inscription à l'Ordre devrait suffire !
Adam Yedid : Se poser les problèmes contextuels dans des situations contrastées est intéressant, mais en dehors du petit réseau des short lists l'information sur les concours Ã
l'étranger est très inégalement diffusée auprès des architectes français.
Ph. M : On m'a proposé de participer à un concours d'écoles organisé par la ville de Rome. Vu l'ampleur des prestations demandées, et seuls les trois premiers étant rémunérés, je n'ai pas répondu.
Ch. H. : En Suisse, de même qu'en Allemagne, les frais d'inscription peuvent être élevés pour des concours non rémunérés au rendu type APS. Sans être adossé à une stratégie commerciale, c'est risqué. Je préfère notre système.
Lettres de motivation et notes méthodologiques
G.P. : Un architecte qui répond est motivé. Rédiger une note méthodologique est un travail très lourd qu'il faudrait réglementer pour éviter l'ambiguïté des demandes fourre-tout.
C.V. : Le développement des procédures non rémunérées est une façon de détourner les concours. Je suis favorable à une esquisse rémunérée et non à la rédaction d'un « roman fleuve méthodologique » disant ce que je ferais sans avoir le droit de le faire. Ces notes, non payées, ne correspondent à aucune réalité.
Ch. H. : Le plaisir du fonctionnaire est de nous demander des copies d'écoliers, quand nous cherchons du travail. Notre motivation, la voici : « On sait faire les gars ! Pas besoin d'"encuculiser" les gens. »
A.Y. : à l'origine, la lettre de motivation était destinée à ouvrir la commande aux jeunes équipes ; elle est devenue un élément discriminant qu'il faudrait supprimer.
Ph. R. : La lettre de motivation est importante, elle nous permet de nous situer. Je ne suis pas sûr qu'elle soit lue par les membres du jury.
La niaiserie des avis
R. R. : Un paysagiste pour restructurer un immeuble en centre-ville, un ergonome pour un cimetière, un psychiatre, un parachutiste, un prof de yoga… Tout ça en exclusivité sous dix jours… On a ce qu'on mérite, les architectes craintifs et sympathiques en oublient le devoir critique.
Ch. H. : Ayant construit deux grandes banques, je n'avais pas les références requises pour la Banque centrale européenne en Allemagne. Seules dix agences au monde avaient construit un assez grand nombre de mètres carrés pour pouvoir y prétendre.
Les jurys
G.P. : Les jurys sont de moins en moins compétents. Car, au titre du tiers de maîtres d'œuvre, on peut appeler des BET ou des économistes. On a donc en fait rarement un tiers d'architectes, et de plus tous ne sont pas des concepteurs.
C.V. : Pour juger soixante candidatures en une demi-journée, les jurys s'appuient sur la pré-
sélection de la commission technique, ce qui limite la pertinence du choix. Par ailleurs, si les architectes siégeants se divisent, les candidats retenus ne sont pas toujours les meilleurs. Mieux vaut donc des architectes ayant une autorité que trop d'architectes de sensibilités opposées.
Ch. H. : Le Centre Pompidou avait démontré l'importance des jurys. Aujourd'hui, même si de temps à autre un maître d'ouvrage met en avant des critères architecturaux, les jurys sont rarement indépendants. Tout maître d'ouvrage peut choisir son jury, et pervertir le système pour influer sur le résultat.
A.Y. : Après son unique expérience du jury de Cannes, François Truffaut évoquait le problème du partage de valeurs communes entre des personnalités aussi diverses que Sophie Desmarest, Mel Ferrer et Jean Dutourd. Pour moi, un jury réussi est un lieu magique où des gens d'horizons très différents se rejoignent autour de ces valeurs communes. La façon dont les architectes siégeants parlent d'architecture est décisive s'ils « lancent un pont de confiance vers le maître d'ouvrage ». Appréhendée sans partisanerie esthétique, l'architecture devient alors un bien commun.
À Tignes, j'ai participé à un jury où un très jeune maire a parfaitement saisi l'enjeu que représente le projet de sa nouvelle mairie près d'une église moderne des années 1950. Il n'empêche, constituer un jury est une tâche délicate pour recueillir des jugements compétents et impartiaux.
Ph. R. : Il y a trop de monde dans les jurys français, et il faudrait laisser aux architectes
le soin de faire l'architecture. Ces jurys perdent leur pertinence. Ils jugent des images et des plans que peu comprennent et s'interrogent rarement sur la capacité des projets à évoluer dans le temps.
Programmiste, commission technique, maître d'ouvrage délégué
R.R. : La commission technique peut être terrible, et le programmiste n'est jamais responsable de ses sous-estimations. Quant aux maîtres d'ouvrage délégués, c'est un métier qu'il faut apprendre – et qu'ils connaissent mal. À défaut, on nous demande de la pédagogie ; ce n'est pas notre métier.
G.P. : Un programme de concours trop léger rend ardu le respect des budgets, alors que des programmes apparemment trop lourds fixent des options. Mais si le programmiste ne sait pas « tenir » les utilisateurs, ils en demandent toujours plus, d'où un risque de dérive. En ce qui concerne la commission technique, étant moi-même tour à tour candidat et juré, j'ai constaté que, par manque de compétence, ses rapports peuvent comporter des erreurs, qui sont impossibles à recadrer avec l'anonymat.
C.V. : En Allemagne, des cabinets d'architectes sont missionnés pour organiser les concours et faire la programmation. En France, la programmation est un métier de « spécialistes ». Ils détiennent souvent des monopoles ainsi qu'un un pouvoir excessif, et l'on voit dans les programmes des « coupés/ collés » qui laissent songeur.
L'impact des images
C.V. : Calmons le jeu ! Ce n'est pas le plus gros compte en banque que l'on juge… Lors du concours sur le hangar d'Airbus, à Toulouse, on demandait un film animé alors qu'une maquette suffit pour traduire la justesse d'un projet.
Ch.H : On ne sait jamais quelle image va toucher. Une image atroce pour l'un sera suave pour l'autre. Moi, j'aime les images froides. Quant aux maquettes, les jurés les voient comme des jouets leur rappelant leur enfance.
Les concours promoteur-architecte et PPP
R.R. : Le contrat est souvent à l'origine de conflits et de difficultés. L'essentiel est le
positionnement de l'architecte dans le contrat. Pour le secteur privé, la faiblesse de l'architecte a pour corollaire la médiocrité de résultats qu'il ne contrôle pas. L'immobilier privé, c'est tout à fait affligeant. L'ayant vécu personnellement, je peux témoigner que c'est sans solution, ou presque.
G.P. : Qu'il s'agisse du public ou du privé, la notion de qualité repose souvent sur une personne, et quand une volonté de qualité s'affirme l'architecte a une mission complète. Si l'on peut trouver des maîtres d'ouvrage privés soucieux de qualité, c'est un peu plus aléatoire avec de grands groupes d'investisseurs. n
N.B. : Les propos rapportés n'engagent que leurs auteurs.
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