Vingt ans de rénovation urbaine ont vu la disparition ou la dénaturation d’une partie importante du patrimoine de logements sociaux, qu’il s’agisse de quartiers reconnus ou d’architectures plus ordinaires mais à forte valeur d’usage. Des quartiers sont effacés en silence (Les Îles à Bonneville, Haute-Savoie) ou avec un écho médiatique (cité des Poètes à Pierrefitte-sur-Seine) ; d’autres sont déstructurés par des démolitions, partielles (La Villeneuve à Grenoble) ou si conséquentes que le projet initial devient méconnaissable (Le Mirail à Toulouse) ; d’autres encore sont brisés1 après quinze ans de démolitions (La Madeleine à Évreux) ou dénaturés par des interventions qui mettent à mal les principes du quartier (La Maladrerie à Aubervilliers) et des rénovations énergétiques qui effacent complètement les qualités de l’architecture d’origine (Étouvie à Amiens). À la place des immeubles démolis, on voit émerger de petits collectifs cernés d’espaces privatisés, en général de moindre valeur architecturale que les projets qu’ils ont remplacés, quand les terrains ne restent pas tout simplement à l’état de friches, à moyen voire long terme, dans les secteurs faiblement tendus.
Pourtant, ces dernières années ont aussi été les témoins de quartiers sauvés par différentes formes d’action et de valorisation grâce à l’implication d’institutions patrimoniales (cité de l’Étoile à Bobigny, les Courtillières à Pantin), à l’engagement d’experts (Villetaneuse) ou à l’action des habitants (La Maladrerie). Des bailleurs, conscients de la qualité et du potentiel de leur patrimoine à être transformé, ont également préservé leur parc, en s’appuyant sur des valeurs patrimoniales (Abreuvoir à Bobigny), d’usage (Grand Parc à Bordeaux), ou sur les qualités de l’architecture d’origine (Les Aubiers à Bordeaux, Maurepas à Rennes).
Aujourd’hui, les démolitions toujours en cours impactent de nombreux quartiers qui risquent d’être effacés, déstructurés ou dénaturés. Afin de rendre visibles l’ampleur et la diversité des quartiers concernés, nous en avons analysé six représentatifs des politiques de logement social en France au XXe siècle – des cités-jardins des années 1930 aux quartiers expérimentaux des années 1970, en passant par des quartiers de logements ouvriers des années 1950 et des ZUP des années 1960. Cette analyse est basée sur un travail de terrain et d’entretiens avec des habitants, réalisé en collaboration avec Maxime Faure et Adam W. Pugliese, qui questionne les processus en cours et tente de reconnaître les valeurs menacées ainsi que les actions menées pour les sauvegarder.
1. Jacques Caron, Quartiers brisés, habitants spoliés : L’arnaque de la rénovation urbaine. La Madeleine d’Évreux, Éditions Non Lieu, 2010.
La Butte-Rouge, Châtenay-Malabry, 1931-1965
Architectes phases I-IV : Joseph Bassompierre-Serwin, Paul de Rutté, Paul Sirvin, André Riousse (paysagiste) ; phases V-VII : Pierre Sirvin
Bailleur actuel : Hauts-de-Bièvre Habitat
Logements : 3 580 / Surface : 70 ha (dont 40 ha d’espaces verts publics)
Interventions prévues : 43 % immeubles conservés, 18 % démolis, 39 % rénovation lourde ou reconstruction
Reconnaissance patrimoniale : Label Architecture contemporaine remarquable 2008 pour l’ensemble du site / Demande Site patrimonial remarquable partielle, non validée
La Butte-Rouge est un exemple représentatif de la politique de logements sociaux des cités-jardins du Grand Paris de l’entre-deux-guerres et un ensemble architectural, urbain et paysager de grande qualité, internationalement reconnu. Il a été développé en plusieurs étapes cohérentes et diverses, reliées par un projet de paysage basé sur les qualités du site. Aujourd’hui, dans un contexte de forte pression immobilière, ce patrimoine, qui n’est pas encore protégé comme c’est le cas d’autres cités-jardins en France (à Suresnes et à Stains) et en Europe (à Berlin), est confronté à (...)