En 1985, la convention de Grenade pour la sauvegarde du patrimoine architectural de l’Europe établit une liste de critères permettant l’identification du patrimoine architectural. En élargissant la définition de patrimoine aux ensembles construits cohérents et aux sites ou le travail en commun de l’Homme et de la nature est remarquable, la convention fixe le cap des politiques publiques de la conservation, dès 1987, en y intégrant de facto le bâti « ordinaire ». Ainsi les grands ensembles de banlieue et les axes de villages aux airs faubouriens, jusqu’ici livrés à eux-mêmes et souvent associés à la France moche, trouvent une valeur à conserver au même titre que les monuments historiques. Pourtant, les termes encore trop vagues – qui laissent libre cours à l’appréciation de chacun et à l’interprétation des décideurs – ne garantissent pas la protection de ce patrimoine de tous les jours. La systématisation du recours à l’encapsulage par isolation thermique extérieure (ITE), qui semble malheureusement faire consensus des milieux économiques à l’ensemble des partis politiques, montre que le travail d’acculturation est le premier des chantiers à mener.
Le terme « passoire thermique » semble aujourd’hui avoir remplacé celui de « bâti ancien ». Pourtant, cette catégorie existe : elle a été officiellement définie par l’Insee, qui a retenu la date de 1948. Avant, l’architecture anticipait naturellement les notions du développement durable, du local et de l’économie de moyens : elle faisait avec les moyens disponibles et reposait sur la tradition. La maison et les bâtiments étaient ainsi le reflet du paysage. Après 1948, la plupart des savoir-faire ont cessé d’être transmis et les matériaux utilisés ont fondamentalement changé de caractéristiques. Les matériaux d’avant 1948 sont sensibles à l’humidité : ils sont hygroscopiques, capillaires et surtout perspirants. Après 1948, les matériaux deviennent insensibles à l’humidité. Le bâti moderne est « étanche », et c’est pourquoi il peut être « isolé ». Au contraire, le bâti ancien est ouvert à son environnement.
En 2007, un rapport ministériel intitulé « Connaissance des bâtiments anciens & économies d’énergie » établissait grâce à un échantillon représentatif du bâti, en fonction de critères environnementaux, constructifs et d’occupation, que les constructions d’avant 1948 étaient loin d’être des « passoires thermiques ». Elles relevaient généralement de la catégorie D ou C du DPE, qui est une performance comparable à celle des bâtiments réalisés après la première réglementation thermique, créée à la suite du choc pétrolier de 1973.
Après 1948, les constructions de l’après-guerre puis celles érigées en réponse à l’exode rural massif des trente glorieuses ne répondent pas non plus à un modèle unique aisément quantifiable. De nombreux travaux portent sur l’adaptation des typologies de bâti de cette époque au confort moderne. Mathilde Padilla et l’agence Archipat ont par exemple élaboré des protocoles d’identification et d’intervention sur les façades légères préfabriquées typiques de l’époque de massification des constructions. Un exemple parmi tant d’expérimentations menées par les agences d’architecture soucieuses de préserver la qualité patrimoniale tout en ajustant la qualité du cadre de vie au standard de notre époque. Ainsi, ne considérer les bâtiments qu’en tant que passoires thermiques tant avant qu’après 1948 est partiellement faux et cela conduit à globaliser les solutions, comme le fameux décret sur les travaux embarqués qui impose des isolations thermiques par l’extérieur, aujourd’hui encore considérées comme « le meilleur » moyen d’atteindre les objectifs de performance thermique. Les maux provoqués par la solution globale de l’ITE sont connus sur le bâti inadapté : les pans de bois sont (...)